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     Guide de la révolution non-violente de Jean-Paul Alonso

 

 

GUIDE DE LA

 

RÉVOLUTION

 

NON-VIOLENTE

 

à la mémoire de Gandhi

(1869-1948)

 

 

Les éditions arte-politeia

 Jean-Paul ALONSO

 

 

 

 

Bienvenue aux éditions-arte-politeia.com

site créé en 2020 en 28 langues dont l’espéranto

 

 

 

 

 « C’est par des informations étendues et exactes que nous voudrions donner à toutes les intelligences libres les moyens de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde. »

Jean Jaurès    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos

Introduction

Chapitre I : Le constat

I-1- Discours d’Evo Morales à l’ONU

I-2- La décroissance économique pour une politique non-violente

I-3- La « crise financière » de 2008

Chapitre II : Les outils

II-1- La non-violence : origine – domaine d’application – religion – droit      – ONU – histoire – dissuasion et résistance – État

II-2- Portraits de vingt activistes non-violents

II-3- Petite biographie politique de Gandhi

II-4- La boîte à outils de l’activiste non-violent

II-5- Les lettres à l’ashram

II-6- La non-violence personnelle ou la méditation positive

Chapitre III : Le combat

III-1- La charte du consommateur responsable

III-2- Appel à la révolution non-violente planétaire

Repères bibliographiques

Autres productions de l’auteur

Remerciements

 

 

 AVANT-PROPOS

 

Cette édition numérique, réalisée par les éditions arte-politeia, reprend le texte de l’auto-édition papier réalisée par Jean-Paul Alonso en novembre 2020 avec l’ISBN 978-2-9525139-1-3.

 

 

 INTRODUCTION

 

« Je ne désire pas qu’un seul être me suive, si je n’ai pas fait appel à sa raison. »  Gandhi* 14 juillet 1920, journal Young India.

 

Le premier chapitre de cet ouvrage intitulé « Le constat » dresse le triste portrait de la civilisation occidentale, en rapportant le discours d’Evo Morales tenu en 2007 à l’ONU, et la contribution que j’ai écrite en 2007 intitulée « La décroissance économique pour une politique non-violente ». J’ai ajouté un article sur la « crise économique » de 2008. Le deuxième chapitre, intitulé « Les outils », expose l’évolution de la non-violence à travers les religions, le droit, des portraits d’activistes et leurs combats, une biographie de Gandhi, puis présente les différentes techniques de résistance non-violente (grève, boycott, marche ou défilé, etc.). La non-violence politique est un outil pour lutter contre les dérives autoritaires d’un État ou d’une tutelle quelconque, qui enfreint les droits fondamentaux de la personne humaine, de la nature ou des animaux. C’est une stratégie individuelle ou de masse, qui, sans user de la violence, cherche à faire plier l’adversaire en refusant de collaborer avec lui. Elle interpelle nos concitoyens par tous les moyens non-violents possibles. Cette deuxième partie présente aussi Les lettres à l’ashram de Gandhi*, que j’ai actualisées, ainsi qu’une méthode psychophysiologique pour atteindre la maîtrise de soi, afin d’améliorer son existence et de mener les luttes non-violentes. Le troisième chapitre, « Le combat », relie le sujet, qui est la non-violence, à son objet politique, en proposant des actions individuelles et collectives pour remédier aux abus et aux violences des lobbies et de l’État. Vous y trouverez une charte du consommateur responsable et un plan révolutionnaire.

Nous pouvons être non-violents et ne pas pratiquer de lutte non-violente : les Quakers et les Amish, par exemple, rejettent l’usage des armes, sans rien revendiquer politiquement. Et l’on peut être partisan de la violence et utiliser des techniques non-violentes comme la grève pour faire valoir ses droits. L’idéal est d’être non-violent et de pratiquer des luttes non-violentes, c’est-à-dire de pratiquer la non-violence dans tous les sens du terme. L’humanité ne guérira de ses troubles et de ses abus qu’à ce prix-là.

Les opinions non-violentes ne font pas de nous des non-violents, seuls les actes comptent. Il n’est pas question, dans cet essai, de philosophie, mais de guider le lecteur dans la compréhension et l’action non-violente. Contrairement à Gandhi*, ma vision de la non-violence ne repose pas sur des concepts religieux, mais laïques. Je n’exclus personne pour autant, les croyants liront avec profit cet essai.

La langue française se vautre dans le patriarcat, et je considère que les deux genres (féminin, masculin) devraient apparaître côte à côte, exemple « les femmes et les hommes sont des citoyens-nes ». Mais, pour ne pas surcharger le texte, je n’ai pas appliqué cette règle usitée dans les milieux alternatifs.

Les références des principaux ouvrages cités ou consultés sont données dans les repères bibliographiques, à la fin de ce livre ; par exemple (29p30) signifie ouvrage 29 page 30, et (29p30&35) fait référence à plusieurs pages du même livre ; un seul nombre, par exemple (29), renvoie à l’ouvrage et plusieurs nombres (14,15&40) renvoient à plusieurs ouvrages ; * signifie que la personnalité citée est présentée aux chapitres II-2 et II-3. Les lettres entre parenthèses, par exemple (a), renvoient à des notes à la fin des chapitres. La traduction des mots indiens, communs ou propres, varie d’un livre à l’autre. Je m’en suis tenu à une version choisie arbitrairement. (…) signifie que j’ai coupé le texte cité et … qu’il était coupé initialement.

 

 

 CHAPITRE I – LE CONSTAT

 

 

 I-1 DISCOURS D’EVO MORALES (a) A L’ONU

 

Le texte de ce discours est issu du site www.unisavecbové.com. La traduction simultanée a été améliorée. Des pétitions circulent sur Internet pour que Morales obtienne le Prix Nobel de la Paix. Le 24 septembre 2007, Evo Morales s’exprimait ainsi à l’ONU :

« Sœurs, frères Présidents et chefs d’État des Nations Unies : le monde est saisi de la fièvre du changement climatique et la maladie se nomme le modèle de développement capitaliste. Tandis qu’en dix mille années l’augmentation du dioxyde de carbone (CO2) sur la planète a été approximativement de 10 %, dans les deux cents dernières années de développement industriel, la croissance des émissions de carbone a été de 30 %. Depuis 1860, l’Europe et le nord de l’Amérique contribuent à 70 % des émissions de CO2. 2005 a été l’année la plus chaude du dernier millénaire planétaire.

Différentes recherches démontrent que sur les 40 170 espèces vivantes recensées, 16 119 sont menacées d’extinction. Un oiseau sur huit peut disparaître pour toujours. Un mammifère sur quatre est menacé. Un amphibien sur trois peut cesser d’exister. Huit crustacés sur dix et trois insectes sur quatre sont en risque d’extinction. Nous vivons la sixième crise d’extinction des espèces vivantes dans l’histoire de la planète Terre, le rythme d’extinction est cent fois plus rapide que celui des temps géologiques.

Devant ce triste futur, les intérêts des transnationales imposent de poursuivre comme si de rien n’était et de peindre la machine en vert, c’est-à-dire, poursuivre avec cette croissance et ce consumérisme irrationnel et inégal générant de plus en plus de profit sans se rendre compte qu’actuellement nous sommes en train de consommer en un an ce que la planète produit en un an et trois mois. Devant cette réalité, la solution ne peut être le maquillage environnemental.

Pour pallier les impacts du changement climatique, je lis dans des rapports de la Banque Mondiale qu’il faut en finir avec les subventions aux hydrocarbures, payer le prix de l’eau et promouvoir les investissements privés dans les secteurs des énergies propres. À nouveau ils veulent appliquer les recettes du marché et de la privatisation pour faire des affaires en dépit des problèmes engendrés par cette politique. La même logique s’applique avec les biocombustibles, alors que pour produire un litre d’éthanol il faut 12 litres d’eau, et que, pour avoir une tonne d’agro-combustible, il faut occuper un hectare de terre.

Devant cette situation, nous les peuples indigènes et les habitants humbles et honnêtes de cette planète, nous voulons renouer avec nos racines, avec le respect dû à la mère terre, à la Pachamama comme nous l’appelons dans les Andes. Aujourd’hui, les peuples indigènes de l’Amérique latine et du monde sont convoqués par l’histoire pour devenir l’avant-garde de la défense de la nature et de la vie. Je suis convaincu que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples indigènes, approuvée récemment après tant d’années de lutte, doit passer des promesses à la réalité pour que nos savoirs et notre participation nous aident à construire un nouvel avenir d’espérance pour tous.

On ne saurait se passer des peuples indigènes pour que s’opère le virage de l’humanité pour la préservation de la nature, des ressources naturelles que nous utilisons d’une manière ancestrale. Nous avons besoin d’un bon coup de gouvernail, fondamental, et à un niveau mondial pour arrêter d’être les condamnés de la terre. Les pays du Nord doivent réduire leurs émissions de carbone entre 60 et 80 % si nous voulons éviter que la température croisse de plus des deux degrés prévus, et que le réchauffement global atteigne des proportions catastrophiques pour la vie et la nature. Nous devons créer une Organisation mondiale du milieu ambiant (environnement) avec un pouvoir inaliénable, et discipliner l’Organisation mondiale du Commerce qui nous engage sur la voie de la barbarie. Il n’est pas possible de parler de la croissance du Produit National Brut sans prise en compte de la destruction et de l’épuisement des ressources naturelles.

Nous devons adopter un indicateur qui permette la prise en compte, d’une manière combinée, de l’indice du Développement Humain et de l’empreinte écologique pour mesurer notre situation environnementale. Il faut appliquer de forts impôts sur la super-concentration des richesses et que soient adoptés des mécanismes effectifs de redistribution équitables. Il n’est pas possible que trois familles aient les revenus supérieurs aux PIB réunis de 48 pays les plus pauvres. Nous ne pouvons parler d’équité et de justice sociale tout en perpétuant cette situation.

Les États-Unis et l’Europe consomment en moyenne 8,4 fois plus que la moyenne mondiale. Pour eux, il est nécessaire de baisser le niveau de consommation et de reconnaître que, tous, nous sommes les hôtes d’une même terre, de la même Pachamama. Je sais que ce n’est pas facile d’opérer un changement quand une partie extrêmement puissante est invitée à renoncer à ses extraordinaires profits pour que survive la planète Terre. Dans mon propre pays, je souffre, avec le front haut, de ce sabotage permanent, pour que soient maintenus leurs privilèges, parce que nous devons en finir avec les privilèges pour que nous puissions tous “vivre bien” et non mieux que nos semblables.

Je sais que le changement mondial est beaucoup plus difficile que dans mon pays, mais j’ai une absolue confiance dans l’être humain, dans sa capacité de raisonner, d’apprendre de ses erreurs, de récupérer ses racines et de changer pour forger un monde juste, divers, intégrant, équilibré et harmonieux avec la nature. » (Fin de citation)

Note a : Juan Evo Morales Ayma, dit « Evo Morales », est né le 26 octobre 1959 dans une modeste famille de paysans indiens boliviens, et doit quitter le lycée pour gagner sa vie. Il exerce alors des emplois aussi divers que maçon, boulanger ou bien encore trompettiste, avant d’effectuer son service militaire obligatoire. Il prend finalement le chemin du Chapare, la zone de colonisation des migrants andins dans les basses terres du département de Cochabamba. Face aux injustices dont sont victimes les habitants locaux, dont les revenus principaux sont générés par la production de coca, il décide de s’engager dans la lutte syndicale et le combat politique. Juan Evo Morales Ayma a été élu Président de la Bolivie le 18 décembre 2005. (14)

 

 

 I-2- LA DÉCROISSANCE ÉCONOMIQUE POUR UNE POLITIQUE NON-VIOLENTE (b)

 

La maîtrise de l’énergie travail (vapeur, électrique, pétrochimique, nucléaire), puis du traitement de l’information et du calcul avec l’informatique ont entraîné des révolutions industrielles sans précédent, qui ont refaçonné le monde moderne et progressivement abouti à ce qu’on appelle la mondialisation. Les espaces concentrationnaires sont apparus avec les usines, qui regroupent de puissants outils de production et le prolétariat. Le travail à la chaîne a fait disparaître quantité d’artisans et de travailleurs indépendants en confisquant l’outil de production et en baissant les qualifications. Le chômage a augmenté et les plus pauvres ont été concentrés dans des cités « HLM ». Les capitaux ont été accumulés dans les mains de quelques patrons et actionnaires. La surproduction industrielle est devenue tellement importante que le pouvoir d’achat des travailleurs n’a pas suffi pour écouler les produits manufacturés. Les publicistes sont passés maîtres dans l’éducation des masses au consumérisme, pendant que les plus pauvres manquent de biens de première nécessité. Pour couronner l’exploitation, les banquiers ont proposé des crédits, qui pillent et surendettent les ménages. À cela s’ajoute l’industrialisation de l’agriculture qui a détruit la paysannerie, endommagé la terre et les écosystèmes, continué à détruire le tissu des échanges locaux et accru la pauvreté.

Les grandes fortunes ont acheté les médias pour mieux asseoir leur emprise psychologique et leurs empires militaro-industriels. Mieux encore, ils ont convaincu les politiciens de gauche et de droite que la croissance économique ou du produit intérieur brut (PIB) est la solution pour combattre le chômage, alors que ces problèmes ne sont pas conjoncturels, mais structurels. L’idée que la défense par la force armée est supérieure à toutes les autres stratégies de défense a été entretenue pour mieux assujettir les peuples. La recherche scientifique et le développement ont privilégié l’armement et la surproduction d’objets manufacturés jetables et renouvelables, en laissant croire que la pollution et les déchets qui en résultent n’ont aucun prix environnemental, et que les ressources sont inépuisables. Les matières premières, véritable dot universelle de l’humanité, sont devenues un enjeu stratégique clé pour les grandes puissances industrielles et le vol des pays du Sud a été orchestré. Après la décolonisation, l’Occident, avec la complicité des dictateurs africains et des paradis fiscaux, poursuit le gaspillage des matières premières au nom de la croissance des pays du Nord, et les pays émergents nous emboîtent le pas. L’Afrique au riche sous-sol piétine toujours dans le sous-développement. Pour venir en aide aux nouveaux déshérités du sud de la planète massacrés ou affamés, l’Occident a inventé les organisations non gouvernementales (ONG), et le commerce dit           « équitable » pour venir en aide aux petits exploitants agricoles du Sud. Mais la production agricole pour le Nord empêche bien souvent les cultures vivrières et les échanges intersud de se développer et entretient la misère. Le commerce équitable devient très inéquitable et anti-écologique, quand il importe de l’artisanat du sud vers le Nord. À cela s’ajoute l’exportation de produits agricoles subventionnés par les Américains ou les Européens et vendus à bas coût, qui ruinent les petits paysans du Sud.

Nous savons que les activités humaines depuis toujours puisent dans les écosystèmes et engendrent une pollution et des déchets. Mais depuis les années 1980, cette destruction ne permet plus à la terre de renouveler ses richesses naturelles, la biosphère s’appauvrit, quantité d’espèces animales et végétales disparaissent, la terre se réchauffe et bouleverse les climats, l’humanité est menacée. Au Nord la médecine a amélioré la longévité humaine, mais de nouvelles maladies apparaissent et certaines comme le cancer augmentent de manière inquiétante (voir l’œuvre du professeur Belpomme). Les dépenses de santé progressent plus vite que l’augmentation du PIB. L’accélération du rythme de vie, et la quantité croissante de travail demandée aux cadres et aux salariés fait que les Français sont les plus gros consommateurs d’antidépresseurs et de médicaments. Mais le système économique actuel est plus soucieux de vendre des médicaments que de faire de la prophylaxie. À cela s’ajoute la fracture sociale entre ceux qui ont la chance d’avoir un travail, si j’ose encore dire, et ceux qui n’en ont pas. S’ajoutent le fossé économique entre le Nord et le sud affamé par les dictateurs, les guerres organisées, la spoliation de son sous-sol et de son agriculture.

Parfois des initiatives humanitaires maladroites enrichissent les dictateurs et entretiennent l’illusion que l’Occident peut avoir la conscience tranquille. Près d’un milliard d’humains manquent de ressources vitales et cent mille d’entre eux meurent du sous-développement chaque jour (o). Pour maintenir sa capacité de production, le Nord où vit 20 % de l’humanité accapare plus de 80 % des richesses terrestres en prônant toujours, à des fins d’enrichissement outrancier, une croissance économique illimitée sur une terre aux ressources limitées et à la population qui croît constamment. Nous sommes dans l’impasse générale, tout le monde le sait ou s’en doute. D’aucuns avancent qu’il faut intégrer le déficit environnemental et social dans les indicateurs économiques, mais trop rares sont ceux qui font la corrélation entre la croissance économique et la destruction de la nature, entre l’opulence du Nord et la pauvreté du Sud. Assistons-nous à une mondialisation ou à une nouvelle féodalisation du monde ? Il n’existe pas encore de dénomination précise pour le crime contre l’humanité et contre la nature que nous vivons.

Des universitaires (c) ont mis au point dans les années 1990 le calcul de l’empreinte écologique (d). Il en ressort que si nous voulions étendre le mode de consommation des Américains moyens à tous les terriens, il nous faudrait multiplier par cinq ou six les ressources naturelles de la terre afin de soutenir la croissance. Cela signifie en d’autres termes que, pour rétablir l’équilibre Nord/Sud, ces mêmes Américains devraient diviser leur consommation d’autant. Les destructions écologiques qui démontrent que le système économique mondial qui nous gouverne nous entraîne vers l’asphyxie générale et la disparition de l’espèce humaine ne sont plus un secret pour personne. Vous comprenez pourquoi certains osent proposer la décroissance économique pour les pays industrialisés ; un vrai danger pour les patrons et les politiciens qui prétendent créer de la croissance pour diminuer le chômage et affirment que le pouvoir d’achat qui augmente est bon pour l’économie et le moral des Français. La décroissance est aussi une hérésie pour les syndicats ouvriers, qui luttent contre les patrons pour une meilleure répartition du capital et l’augmentation du pouvoir d’achat ; hérésie pour les appareils politiques de gauche marxistes ou trotskistes qui rêvent d’une économie productiviste planifiée ou autogérée. Pour cette raison, les antilibéraux qui ont conservé la culture des appareils politiques et syndicaux n’ont aucune prise sur le système capitaliste qu’ils dénigrent. La plupart sont des collaborateurs du productivisme et des consuméristes et nombre d’entre eux se disent productivistes. Certains humanitaires aussi grincent des dents en dénonçant cette hérésie qui veut faire décroître la consommation des plus pauvres, voire augmenter le chômage. Les nantis tiennent le même langage pour protéger leur pouvoir bâti sur la valeur de l’argent. Plus grave encore, il existe des écologistes qui sont en faveur du libéralisme économique et de la croissance. Ils pensent qu’il suffit de produire et d’acheter des écoproduits et de recycler les déchets pour échapper à l’apocalypse environnementale. Si elle est réaliste et solidaire, la décroissance économique n’est pas pour autant populaire.

Le concept de la décroissance n’est pourtant pas nouveau, c’est une théorie économique que nous devons au Roumain Nicholas Georgescu-Roegen (e). Son ouvrage majeur, The Entropy Law and the Economic Process, a paru en 1971. Inventeur de la bioéconomie, Georgescu-Roegen est l’un des premiers économistes évolutionnistes à avoir souligné que les ressources terrestres, qui sont en quantité limitée, rendaient impossible la croissance économique à l’infini des pays industriels. Certains parlent aujourd’hui de « décroissance soutenable ». Le rôle de l’humanité n’est pas de précipiter sa propre perte en développant et en généralisant sur terre une économie incontrôlée et mortifère, qui pourrait anéantir de manière irréversible la nature, si nous ne changeons pas de cap. Il s’agit de contrôler les activités humaines, de veiller à la répartition équitable de la dot terrestre, de baisser la consommation des pays riches pour qu’ils respectent une empreinte écologique soutenable.

Les valeurs suivantes de la mondialisation sont à changer : la surexploitation des ressources naturelles et des personnes ; la surproduction industrielle ; la ghettoïsation des plus pauvres dans des quartiers et le racisme social ; le déséquilibre Nord/Sud ; l’augmentation croissante des dépenses de santé ; l’augmentation du transport routier de marchandises et des personnes ; le mensonge et le matraquage publicitaires ; l’appropriation des médias par les grandes fortunes ; la surconsommation de masse au Nord ; le surarmement ; le surendettement des consommateurs et de l’État ; la surproduction de déchets et la pollution de l’environnement ; l’absence de parité des monnaies et un dollar flottant ; la surcapitalisation boursière ; le surprofit des actionnaires et des patrons ; l’augmentation de la fracture sociale (Quart et Tiers-Monde). Nous pourrions encore augmenter la liste.

Les corrections en profondeur impliquent : la maîtrise de la démographie ; le développement des énergies renouvelables ; la relocalisation des outils de production et des échanges économiques ; le développement de l’artisanat ; la distribution de terres agricoles aux petits paysans ; une agriculture biologique ; la réduction des transports de marchandises ; l’augmentation des transports en commun ; la mixité sociale ; plus de lien social et moins de biens marchands ; une production d’écoproduits durables et recyclables ; la réduction de la pollution ; une publicité qui vante l’éthique et l’écologie des produits ; une consommation qui repose sur les besoins et la démystification de la consommation qui n’est pas la seule utopie du bonheur ; le désendettement des consommateurs et de l’État ; des médias indépendants des puissances de l’argent ; la parité des monnaies pour vaincre la spéculation ; la fin de la capitalisation boursière et des prises de risques économiques inconsidérés ; le désarmement des nations au profit d’une armée onusienne ; l’éducation des peuples aux techniques de résistance civiles non-violentes ; une meilleure répartition des richesses ; l’amélioration de la santé ; la baisse des dépenses publiques ; le développement de l’amitié entre les peuples ; l’arrêt de la spoliation et l’aide au Sud ; à l’identique du programme de la station orbitale internationale, une internationalisation du domaine de la recherche et du développement soutenable ; etc.

Remplacer la logique de la surexploitation et du profit, par le respect de l’humain, de la nature et des animaux, résume presque ce vaste programme. Mais dénoncer un modèle économique ne suffit pas pour transformer le monde. Il ne s’agit plus de remplacer l’économie productiviste libérale par une économie productiviste autogérée par le prolétariat, ou que la production productiviste offre soudainement des écoproduits recyclables sans se soucier de l’empreinte écologique. Le mal réside dans l’idéologie économique de la mondialisation qu’on ne peut plus qualifier de libérale. La Chine, deuxième puissance économique mondiale (f), est le « plus grand atelier du monde », communiste dans la gestion de sa production et capitaliste dans la gestion de ses profits. Qu’adviendra-t-il de la Déclaration universelle des droits de l’homme quand la Chine sera très bientôt la première puissance mondiale ?

Le capitalisme, le productivisme et le consumérisme témoignent peut-être d’un processus d’humanisation encore non abouti. L’Homo œconomicus s’est substitué à l’Homo sapiens attendu. Les partisans de la décroissance économique veulent vivre dans un monde responsable et solidaire, qui permettra à la nature de se renouveler, aux générations futures d’exister, au Sud de se développer, en écartant le spectre d’une apocalypse écologique. Entrer en décroissance signifie moins et mieux produire pour moins et mieux consommer. Nous devons consommer pour vivre et non pas vivre pour consommer, travailler pour vivre tout en nous réalisant, et non pas vivre pour travailler. Les citoyens convaincus doivent faire pression par des actions non-violentes sur les institutions onusiennes ou les autres instances internationales pour que des mesures rapides de correction économique soient prises. La Révolution de la décroissance économique ou la grande Réforme économique qui s’impose sera aussi difficile à gagner que la révolution copernicienne. Mais les grands réformateurs ont prouvé qu’à chaque étape de son histoire l’humanité enlisée pouvait rebondir. Gandhi*, qui a délogé l’Empire britannique de l’Inde, a démontré qu’avec les luttes non-violentes tout devient possible sur terre.

Note b : Contribution que j’ai écrite en juin 2007 pour les assises de la Gauche Alternative, révisée pour ce guide, et proposée en article au Monde diplomatique.

Note c : Mathis Wackernagel, docteur en planification de l’Université de Colombie-Britannique et William Rees, professeur et directeur de l’École de planification communautaire et régionale de la même université. Leur livre Notre empreinte écologique est édité aux éditions Sociétaire, 1999, Montréal au Québec. Voir la revue Silence à Lyon pour le commander.

Note d : Voici le meilleur test automatique d’empreinte écologique que j’ai trouvé sur la toile en 2006 : http://www.footprint.ch/. Je l’ai découvert par l’intermédiaire de l’adresse suivante, un site intéressant pour la jeunesse : http://www.place-publique.fr/article677.hhtml-32k

D’autres tests existent, mais ne prennent pas suffisamment en compte les gestes citoyens écologiques que font déjà bon nombre d’entre nous. L’empreinte est donc majorée d’office. Ceux qui font un long voyage en avion tous les 2 ou 3 ans par exemple doivent relativiser cette empreinte spécifique, en la divisant par 2 ou 3, idem pour les autres domaines.

Note e : Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994) est né en Roumanie et décédé aux États-Unis. Il passe sa thèse de docteur en statistiques en 1930 à la Sorbonne à Paris. Il enseigne à l’Université de Bucarest et à Strasbourg en 1977-1978 et à l’Iued de Genève en 1974, et occupe d’importants postes dans la fonction publique de son pays. Sa rencontre avec son maître J. Schumpeter à Harvard au milieu des années 1930 l’oriente vers la science économique. Il émigre aux États-Unis en 1948 où il fait une carrière de professeur d’écono­mie à l’Université Vanderbilt de Nashville (Tennessee). Son livre majeur, The Entropy Law and the Economic Process, a été publié en 1971. Son oeuvre est présentée et commentée sur Internet sur les sites : http://www.uqac.uquebec.ca & http://www.decroissance.org

Note f : source : Le Monde du 20/12/2007, selon une étude de la Banque mondiale publiée le 15/12/2007.

Note o : Pour la dénonciation de la violence structurelle imposée par les civilisations occidentales au Tiers-Monde, voir l’œuvre de Jean Ziegler, écrivain, ex-député socialiste suisse, rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation de la commission de l’ONU. Il a publié notamment aux Éditions Fayard, l’Empire de la Honte en 2005. Voir également les rapports de la FAO sur le site www.fao.org

 

 

 I-3- LA « CRISE FINANCIÈRE » DE 2008 (q)

 

Je qualifie de gigantesque escroquerie du XXIe siècle cette « crise financière », où quelque 3500 milliards de dollars vont être arrachés principalement aux plus pauvres. Nous sommes victimes d’une violence économique structurelle inouïe. La ruse des hommes politiques via les médias est d’avoir parlé en termes de « pertes » à éponger et non de gains, de « crise » pour les plus pauvres pendant que ceux qui ont empoché des gains sablent le champagne.

Le risque financier issu de la déréglementation est la « règle » admise mondialement et dangereusement entretenue par les pouvoirs politiques en place. Quelle surprise de voir certains membres du gouvernement monter au créneau pour moraliser la finance internationale (fin des paradis fiscaux, parité des monnaies, renoncement au paiement de la dette publique des États-Unis par le reste du monde, etc.) et on ne pourrait qu’applaudir les mesures annoncées si elles étaient réellement appliquées un jour ! Ce bien étrange spectacle est relayé par les grands médias. Les citoyennes et les citoyens, instrumentalisés par la désinformation, sont transformés en moutons de Panurge. Les parlementaires devraient exiger une commission d’enquête pour savoir qui a encaissé l’argent, exiger une réglementation internationale de la finance, qui mette un terme à la spéculation, et aux gains qui ne reposent pas sur le travail.

Le grand responsable c’est le système, nous dit-on, pas les hommes politiques qui l’ont mis en place (fin des accords de Bretton Woods, le dollar flottant…) et qui l’ont entretenu pour faciliter l’enrichissement privé et outrancier de quelques-uns, et encore moins les financiers, qui ont spéculé et perdu (ou énormément gagné en coulisse) et dont on nationalise les pertes.

Une chose est claire, quand les États-Unis perdent mille milliards de dollars à la bourse, cela signifie que cet argent est tombé dans une autre poche, et que l’immense appauvrissement du monde profite à quelques-uns : financiers, terroristes, politiques abrités par les paradis fiscaux,  qui sait ? Le système n’est que l’arme du crime, pas les coupables de la prétendue banqueroute. Soudainement                       « l’économie virtuelle » et « l’économie réelle » apparaissent dans le langage des médias. Vous faites erreur, nous dit-on, cet argent perdu n’existe pas, il est « virtuel ». La note à payer par les contribuables et la misère qui va suivre ne seront pas virtuelles, celles-là. Quelle honte !

Annuler les paradis fiscaux c’est démasquer les escrocs, les criminels et la fripouille politique. C’est mettre un terme au grand banditisme et au capitalisme qui ont du sang sur les mains. C’est condamner un système qui a fait l’opulence des pays du Nord en pillant les richesses du Sud ; ces pays consomment jusqu’à cinq à six fois ce que la terre peut produire pendant que des enfants meurent de faim dans le Sud.

Les gesticulations du gouvernement masquent sa peur de la grave crise sociale qui est devant nous, et qu’il devra assumer durant son quinquennat. Il pouvait craindre une révolution populaire, mais rien, pas même une manifestation nationale de protestation. C’est inacceptable, intolérable. Les pauvres, les sans-emploi, les sans-domicile de notre pays, le milliard de sous-alimentés du Sud vont augmenter en nombre.

Le peuple va-t-il continuer longtemps à se laisser manipuler et plumer ? Va-t-il encore longtemps collaborer à ce système criminel odieux ? Si le peuple, qui est le seul producteur des vraies richesses dit NON, tout est possible.

Ce dimanche 16 novembre 2008, alors que je travaille aux dernières corrections de cet essai, je viens d’apprendre par France Inter que la réunion du G20 à Washington n’a abouti qu’à de vagues promesses.

Peuples du Nord ! Peuples du Sud ! Je vous invite à prendre le pouvoir par la révolution non-violente.

Note q : ceux qui veulent des explications techniques se reporteront à l’article du professeur Michel Aglietta, 10 clés pour comprendre la crise, paru dans le nouvel Observateur du 25 septembre 2008

 

 

 

 CHAPITRE II- LES OUTILS  

 

 

 II-1- LA NON-VIOLENCE : ORIGINE – DOMAINE D’APPLICATION – RELIGION – DROIT – ONU – HISTOIRE – DISSUASION ET RÉSISTANCE – ÉTAT

 

 « La non-violence commence à partir de l’instant où l’on aime ceux qui nous haïssent. » Gandhi* (19p154)

 

II-1-1- L’origine du mot « non-violence »

La non-violence, selon le dictionnaire Larousse, est une « action politique qui refuse le recours à la violence en quelque circonstance que ce soit ». Le terme « non-violence » était absent des dictionnaires occidentaux avant 1924. Il nous vient de l’Inde, grâce aux articles publiés en Occident par Romain Rolland* sur les différents combats de Gandhi* en Inde. « Non-violence » est tiré du mot sanscrit « ahimsa » qui signifie « ne pas nuire » ou « non-nuisance ». Des chercheurs précisent qu’en sanscrit les mots composés avec le préfixe « a » privatif ne désignent pas tant la notion niée que la qualité positive qui lui est contraire ; ainsi en sanscrit « abhaya », littéralement « non-peur », signifie « courage » (11p81). L’Ahimsa est donc une impulsion positive qui pousse à respecter la vie et à construire la paix.

Gandhi* écrit au sujet de la non-violence : « Je l’ai présentée comme une méthode politique destinée à résoudre des problèmes politiques (…) » (8) et Nehru écrit au sujet de la libération de l’Inde : « On a dit que l’action non-violente était une chimère, elle a été, ici, le seul moyen réel d’action politique. » (9p26).

Tout commence pour Gandhi* en 1906 en Afrique du Sud, alors qu’un décret exige l’enregistrement des Asiatiques (Indiens inclus) du Transvaal et rend le port de leur carte d’identité obligatoire. Gandhi* demande aux Indiens de désobéir collectivement à cette loi en s’abstenant de toute violence envers les autorités britanniques. Il précise ce moyen d’action en inventant le mot « satyagraha ». C’est Maganlal Gandhi, le cousin germain de Gandhi*, qui vit dans la colonie de Phoenix, qui propose le terme « sadagraha » (fermeté dans la conduite droite ou fermeté dans la bonne cause). Mais Gandhi* préfère le préfixe « vérité » à celui de « fermeté » (34p68). Le mot « satyagraha » est composé de « satya » qui signifie « vérité » et de «graha» synonyme de force (34p44), on le traduit par « force de la vérité ». Le satyagraha est la désobéissance civile (g) de Thoreau* appliquée collectivement et sans violence. Il s’accompagne d’un développement personnel et spirituel des satyagrahis (résistants non-violents).

C’est en dénonçant l’injustice grâce à la loi d’amour appliquée à l’adversaire, en mettant à jour les abus ou la vérité devant l’opinion publique grâce aux médias, que Gandhi* et les autres activistes non-violents comme Martin Lutter King*, réussissent à faire plier les autorités politiques, qui sont encadrées par les Droits de l’Homme.

Note g : Selon le dictionnaire, l’adjectif « civique » est relatif au citoyen (instruction civique) et « civil » à l’ensemble des citoyens (guerre civile, société civile). Généralement, l’adjectif « civile » est employé pour qualifier la désobéissance menée par un citoyen ou un ensemble de citoyens. Le terme « dissuasion civile » est réservé à des actions non-violentes utilisées pour résister à une invasion étrangère armée. Le pasteur M.L. King* a répandu le terme « résistance civile » aux États-Unis pour lutter contre le racisme.

 

II-1-2- Domaine d’application de la non-violence

La non-violence s’applique à trois domaines :

Personnel : contrôle de soi, conscientisation et bienveillance.

Interpersonnel : non-réciprocité et acceptation de la différence. Sociétal : non-collaboration et programmes constructifs.

Ce livre ne traite pas de la non-violence interpersonnelle. Pour aborder ce sujet, je renvoie les lecteurs à l’œuvre de Jacques Salomé.

 

II-1-3- La non-violence et la religion

 

Introduction

Le facteur religieux joue un rôle important dans les luttes non-violentes. La majeure partie des peuples de la terre est croyante, et la tolérance nous invite à la respecter. Martin Luther King* était pasteur et un grand prédicateur. Gandhi* était considéré comme un saint en Inde. Il avait recours fréquemment à la prière et au jeûne, et réunissait parfois jusqu’à 500 000 personnes de plusieurs confessions pour la prière. Il ne s’adressait pas seulement aux hindous en lisant la Bhagavad-Gita, aux musulmans en lisant le Coran, aux chrétiens en lisant la Bible, etc., mais également en mélangeant ces textes pour les différentes confessions. Voici quelques citations de Gandhi* : « Si j’étais sûr de trouver Dieu dans une caverne de l’Himalaya je m’y rendrais sur-le-champ. Mais je sais qu’Il n’est nulle part ailleurs qu’au cœur de l’humanité. » – « La religion est un seul arbre avec de nombreuses branches. Si on ne voit que les branches, on est tenté de dire qu’il y a beaucoup de religions ; mais si on voit l’arbre entier, on comprend qu’il y a une seule religion. » – « Une connaissance approfondie des religions permet d’abattre les barrières qui les séparent. » – «  (…) même les athées n’ont jamais mis en doute la force inéluctable de la vérité (…) » – «  Je rejette toute doctrine religieuse qui ne soit pas consonante à la raison et qui s’oppose à la morale. » – « Quand je vois un homme tomber dans l’erreur ou même se fourvoyer dans le vice, je me dis que cela m’est arrivé il n’y a pas si longtemps. Je me sens, de ce fait, le frère de tout homme et, pour être heureux, j’ai besoin de voir consoler le plus petit de mes semblables. » – « Si j’étais dictateur, j’exigerais la séparation entre la religion et l’État. » (19p 120 121 127 131 140 142&145). Je ne me suis pas livré à une lecture de tous les textes religieux. J’en cite quelques-uns pour illustrer mon propos.

 

Les Peuples premiers

Ils sont le plus souvent animistes, et évitent la pratique de la violence, parce qu’ils croient en la survivance de l’âme du défunt, et qu’ils craignent qu’elle ne se venge une fois dans l’au-delà ; d’où la pratique de rituels avant et après la chasse et l’évitement du crime en général. Ils respectent la nature parce qu’ils voient en elle la manifestation de divinités ou de dieux qu’il faut vénérer et en aucun cas maltraiter. Ils s’abstiennent de gaspiller la Terre-Mère.

 

Le jaïnisme

Cette religion de l’Inde a 2500 ans. Elle exclut toutes les formes de violence imaginables et prône la non-violence absolue à l’égard de tous les êtres vivants. Le premier des cinq vœux des moines jaïns, est de ne « pas nuire aux cinq catégories d’êtres vivants » conformément au principe fondamental de l’ahimsa. La communauté jaïne nous apporte la preuve que des sociétés humaines peuvent traverser des millénaires en étant végétaliennes ou végétariennes et en respectant la vie sous toutes ses formes. Mais la plupart des religions n’excluent pas le fait de tuer, bien au contraire, certaines pratiquent des sacrifices d’animaux et ne s’opposent pas à la peine de mort.

 

La Bhagavad-Gita

C’est le texte religieux hindou le plus connu, sixième livre du Mahabharata (composé entre environ 1000 av. J.-C. et le 6e siècle). Il rapporte les propos qu’échangèrent le prince Arjuna, de la caste des guerriers, et son cocher Krishna avant une immense bataille. Arjuna, armé sur son char, éprouve un profond désarroi quand il découvre les visages familiers de ceux qu’il doit combattre. Krishna l’encourage à combattre au nom de sa caste, alors qu’Arjuna, animé de bienveillance, s’interroge jusqu’à la dernière minute de l’utilité de la violence et du meurtre. Au terme d’un long et merveilleux dialogue, qui prêche la non-violence, Arjuna décide de combattre.

 

Le Tao-tö king

Cette œuvre du chinois Lao-tseu (570-490 av. J.-C.) est la « Bible » du taoïsme. Citation : « Les armes sont des instruments néfastes et répugnent à tous. Celui qui comprend le Tao ne les adopte pas (…). Les armes sont des instruments néfastes, elles ne sont pas des instruments de gentilhomme. Celui-ci ne s’en sert que par nécessité, car il honore la paix et la tranquillité et ne se réjouit pas de la victoire » dit le verset XXXI, qui ne condamne pas vraiment la violence.

 

Le judéo-christianisme

Le cinquième commandement de Dieu dit : « Tu ne tueras point (…) », mais dans l’Exode 20:24 Dieu dit : « Tu me feras un autel de terre, sur lequel tu immoleras tes holocaustes (…) ». Dans le Nouveau Testament, l’épître de Paul aux Romains dit de l’autorité politique :       « Mais si tu fais le mal, crains, car ce n’est pas pour rien qu’elle porte l’épée (…) ». L’apôtre Matthieu dans le Nouveau Testament, au début de notre ère, donne la bonne réponse à la violence 5:38 : « Vous avez appris qu’il a été dit : “Œil pour œil et dent pour dent” (l). 5:39 Et moi, je vous dis de ne pas résister au mauvais. Mais quelqu’un te donne-t-il un coup sur la joue droite, tend-lui aussi l’autre. 5:40 Et à qui veut te citer en justice et prendre ta tunique, laisse-lui aussi ton manteau. » Le verset suivant exprime le pouvoir du don de soi 9:6 : « Eh bien ! pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a pouvoir sur la terre de remettre les péchés, lève-toi, dit-il alors au paralytique, prends ton lit et va-t’en chez toi. » 9:7 « Et, se levant, il s’en alla chez lui. »

Note l : il s’agit de la loi du Talion (citée dans : Ex. 21:24 ; Lev. 24:20 ; Deut. 19 : 21) présente dans la Torah ou Pentateuque, le livre du judaïsme, qui est constitué des cinq premiers livres de la Bible (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome).

 

Le Coran

Le verset 34 de la sourate 41 témoigne de la non-violence : « Le mal et le bien ne sauraient marcher de pair. Rends le bien pour le mal, et tu verras ton ennemi se changer en protecteur et ami. » Mais le Coran n’est pas plus que la Bible un texte pacifiste et non-violent. Par exemple le verset 191 de la sourate 2 dit : « Tuez-les partout où vous les trouverez, et chassez-les d’où ils vous auront chassés. La tentation à l’idolâtrie est pire que le carnage de la guerre (…). »

 

Le Dhammapada

Ces écrits bouddhistes rédigés au IVe ou IIIe siècle av. J.-C. répondent au problème de la violence ainsi dans le verset 129 : « Tous tremblent devant le bâton – Tous craignent la mort – Que l’on s’identifie avec autrui – Ressentant ce qu’il ressent – Et l’on ne tuera pas – L’on n’incitera pas à tuer ». Dans le Dhammapada la violence est absente.

 

II-1-4- La non-violence et le droit

« Si la machine (gouvernementale) par nature veut faire de vous l’instrument de l’injustice envers votre prochain, alors, je vous le dis, violez la loi. » Thoreau* (33p14)

La non-violence ne doit pas être abordée en vertu des religions, mais bien en vertu du droit international accouché des luttes sociales. Ces luttes ont progressivement abouti à la Déclaration des droits de l’Homme en 1789 ; à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1793, dont la valeur juridique a été reconnue par le Conseil constitutionnel français en 1971 ; à l’abolition de l’esclavage en 1848 ; aux Droits de la Femme en 1944 ; à la Déclaration universelle des droits de l’Homme le 10 décembre 1948 ; puis aux Droits de l’Enfant le 20 novembre 1989. La peine de mort a été abolie en France en octobre 1981, mais elle persiste dans de nombreux pays. Le droit de vote des femmes a été obtenu en France avec les Droits de la Femme et en 1893 en Nouvelle-Zélande.

La désobéissance aux lois qui bafouent les Droits de l’Homme s’appelle la désobéissance civile. Elle est en accord avec les articles 33, 34, et 35 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Article 33 : La résistance à l’oppression est la conséquence des autres Droits de l’Homme – Article 34 : Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé – Article 35 : Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.

On sait depuis le procès de Nuremberg que la désobéissance civique peut être une vertu lorsqu’il s’agit de résister à un ordre injuste. Le général de Gaulle fut condamné à mort pour désertion par les tribunaux de Vichy. Et il n’est pas inutile de rappeler que notre république est fille d’une insurrection et que notre droit s’est construit en grande partie sur des désobéissances à la loi, que ce soit le droit du travail et le droit de grève, la loi sur l’objection de conscience, etc. (14)

Le 12 janvier 2006, le tribunal correctionnel de Versailles prononçait la relaxe des neuf membres de la Confédération paysanne, poursuivis pour le fauchage de Guyancourt (22 juillet 2003), au nom de « l’état de nécessité » selon l’article 122-7 du Code pénal et la Convention européenne des Droits de l’Homme. Les sociétés Pionner, Monsanto et Geves, ont été intégralement déboutées de leurs demandes de dommages et intérêts. Une décision équivalente a été rendue par le tribunal d’Orléans, le 9 décembre 2005 (50).

L’article 122-7 du Code pénal dit : « Lorsqu’une personne qui, sans avoir été agressée, se trouve dans une situation ou un danger imminent qui menace la sauvegarde d’un intérêt supérieur, et que ce danger peut être écarté par la commission d’une infraction, cette personne se trouve face à un choix difficile. La loi dans certaines conditions va rendre irresponsable l’auteur de l’infraction salvatrice, parce que son auteur n’a aucune intention de nuire (…) ». Une autre interprétation dit : « l’état de nécessité, c’est l’état d’une personne qui, sans avoir été agressée, commet une infraction pour échapper à une menace ou un danger qui la menace ou pour faire échapper un tiers à un danger qui le menace. On est donc en présence d’une personne qui doit subir un danger ou commettre une infraction pour éviter ce danger. » (16)

Le principe de précaution est apparu dans le traité de l’Union européenne de Maastricht en 1992, et la Conférence de Rio tenue la même année. La France a reconnu ce principe en 2005 dans la Charte de l’environnement. L’article 5 dit : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attribution, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » (17)

 

II-1-5- La Société des Nations ou la SDN (14-25-27)

« Si la non-violence est la loi de notre être, le futur appartient à la femme (…) » Gandhi* (19p272)

Aux XVIIIe et XIXe siècles, des associations humanitaires et pacifistes se créent, et influencent les gouvernements. En 1892, est créé à Berne le Bureau international de la paix, qui reçoit le Prix Nobel de la paix en 1910. En 1899 et 1907, deux conférences aboutissent à la création de la Cour d’arbitrage international de La Haye. La Première Guerre éclate, et les pacifistes féministes organisent un Congrès international de femmes, qui se tient le 15 avril 1915 à La Haye, et regroupe 1136 femmes venues de 12 pays différents. Leurs gouvernements les accusaient de trahison. Seules trois Anglaises, qui se trouvaient déjà hors de Grande-Bretagne, purent assister au Congrès, tandis qu’aucune Française ne parvint à s’y rendre. Les participantes, pour mettre fin à la guerre et promouvoir la paix, élaborent un programme qui prévoit la création d’une Société des Nations. À l’issue du Congrès, des délégations de femmes partent présenter ce programme aux gouvernements d’Europe et des États-Unis. Le président américain Wilson (1856-1924) présente le 8 janvier 1918 (26), dans son message annuel au Congrès américain, une initiative de paix en 14 points pour mettre fin à la guerre, inspirée du programme précédent, et de l’idée d’une « police des nations » émise en 1910 par le Français Léon Bourgeois (1851-1925). Ce dernier est le premier président de la SDN, il reçoit le Prix Nobel de la paix en 1920.

En avril 1919, la Conférence de la paix, réunie à Versailles, élabore la charte de la Société des Nations ; Genève devient le siège de l’organisation. La SDN qui regroupe à l’origine 45 pays, puis 57, est dominée par l’Europe et « divisée entre le groupe des États capitalistes libéraux, la Russie communiste et le groupe des États fascistes » (27p4). L’Allemagne y est admise en 1926 et l’URSS l’a rejointe en 1934, les États-Unis n’y adhèrent pas. La SDN a trois buts fondamentaux : faire respecter le droit international ; abolir la diplomatie secrète ; résoudre les conflits par arbitrage. Plusieurs organes sont rattachés à la SDN : la Cour permanente internationale de justice de la Haye, qui juge les affaires de guerre entre États et les crimes contre l’humanité ; l’Organisation internationale du Travail (qui deviendra le Bureau international du Travail), créée en 1919 ; et la Commission internationale de Coopération Intellectuelle (CICI) fondée en 1921, qui a pour mission de promouvoir la paix internationale grâce à l’éducation des citoyens. La CICI sera remplacée en 1946 par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).

Mais la SDN souffre de défauts : les décisions prises à l’Assemblée et au Conseil le sont à l’unanimité, et chaque membre dispose d’un droit de veto. La SDN se réserve le droit d’appliquer des sanctions économiques et militaires envers ses pays membres, mais elle ne dispose pas de force d’intervention armée, ou civile. En 1919, elle ne peut s’opposer à la prise de Fiume en Hongrie par les Italiens. En 1931, le Japon prend le contrôle de la Mandchourie et quitte la SDN en février 1933. En 1932, l’Allemagne quitte la Conférence sur le désarmement à Genève et commence une succession de coups de force, qui aboutit à la Seconde Guerre mondiale. L’Italie devenue hitlérienne la quitte en 1933. La SDN a échoué dans son rôle de maintien de la paix, sa fin date de 1939, sa dissolution juridique de 1946 ; elle sera remplacée par l’ONU à laquelle adhéreront les États-Unis.

 

II-1-6- L’Organisation des Nations Unies (14,24,27,28&40)

« Nous, peuples des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui, deux fois en l’espace d’une vie humaine, a infligé d’indicibles souffrances, à proclamer à nouveau notre foi dans les Droits fondamentaux de l’Humain, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des Droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites, à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international, à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande, et à ces fins, à pratiquer la tolérance, à vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon voisinage, à unir nos forces pour maintenir la paix et la sécurité internationales, à accepter des principes et instituer des méthodes garantissant qu’il ne sera pas fait usage de la force des armes, sauf dans l’intérêt commun, à recourir aux institutions internationales pour favoriser le progrès économique et social de tous les peuples, avons décidé d’associer nos efforts pour réaliser ces desseins. En conséquence, nos gouvernements respectifs, par l’intermédiaire de leurs représentants, réunis en la ville de San Francisco, et munis de pleins pouvoirs reconnus en bonne et due forme, ont adopté la présente Charte des Nations Unies et établissent une organisation internationale qui prendra le nom de Nations Unies. » (27p5). Ainsi commence la Charte de l’ONU.

Le 14 août 1941, en pleine guerre de l’Atlantique, le président des États-Unis Franklin Roosevelt et le Premier ministre britannique Winston Churchill signent une série de principes moraux, pour l’avènement « d’un meilleur avenir pour le monde », qui devient la Charte de l’Atlantique. En janvier 1942, les 47 pays en guerre contre l’Axe signent la Déclaration des Nations Unies. Ce projet, formulé dans la Déclaration de Moscou en octobre 1943, déclare (art.4) : « la nécessité d’établir, aussitôt que possible, une organisation internationale (…) afin d’assurer le maintien de la paix et de la sécurité internationales » (27p5). Suivent la Conférence de Dumbarton Oaks en 1944, les accords de Yalta en février 1945, et la Conférence de San Francisco d’avril à juin 1945, qui compte 50 signataires. La Charte de l’ONU, dont l’initiative vient des trois grandes puissances combattantes et victorieuses, les États-Unis, l’URSS et la Grande-Bretagne, est ratifiée à la fin de la guerre en juin 1945, et entre en vigueur au mois d’octobre de la même année. Le siège de l’ONU est à New York.

La Chine puis la France rejoignent l’ONU, qui est une organisation intergouvernementale, et qui se compose de six organes principaux dont les plus importants sont : l’Assemblée générale, la Cour internationale de justice et le Conseil de sécurité qui veille au maintien de la paix internationale. Ce dernier est composé de quinze membres, dont cinq permanents, les États-Unis, l’URSS, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, la France et la Chine, et de dix membres élus pour deux ans (28p7). Il a pour mission de maintenir la paix et la sécurité du monde et de réglementer les armements. Il peut imposer ses décisions aux différents États membres. La première Assemblée générale se déroule à Londres, dès janvier 1946, suivie bientôt de la réunion du Conseil de sécurité. Mais le début de la Guerre froide gèle les actions de l’Organisation. En effet, les relations entre les États-Unis et l’URSS se dégradent et de nombreuses décisions de l’ONU sont bloquées par leur droit de veto. Effectivement, l’article 27-3 dit au sujet du vote du Conseil de sécurité que toutes les questions qui ne touchent pas les procédures « sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents ». (28p7)

Dans ce contexte difficile, l’ONU tente de régler les conflits mondiaux. Exemples : En 1947, elle coupe la Palestine en deux, ce qui déclenche le conflit israélo-arabe ; et 61 ans plus tard, un État indépendant palestinien n’est toujours pas créé. De 1950 à 1953, l’ONU soutient la Corée du Sud face aux attaques de la Corée du Nord communiste, soutenue par la Chine et l’URSS. En 1956, suite à la nationalisation du canal de Suez, l’ONU met en place la FUNU (Force d’Urgence des Nations Unies), pour régler la crise entre l’Égypte et l’alliance du Royaume-Uni, de la France et d’Israël. Enfin en 1960, l’URSS s’oppose à l’envoi de forces spéciales dans l’ex-Congo belge. À la fin des années 1960 jusqu’au début des années 1970, l’ONU ferme les yeux sur de nombreuses atteintes aux Droits de l’Homme, telles que le Printemps de Prague, la guerre du Vietnam, l’entrée de l’URSS en Afghanistan ou la guerre entre l’Iran et l’Irak. Elle œuvre alors sur le plan humanitaire avec l’UNESCO, l’Unicef, FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture de l’ONU) ou l’OMS. L’ONU met fin à l’invasion irakienne au Koweït en 1991. Et l’opération APRONUC (Autorité Provisoire des Nations Unies au Cambodge) de 1991 à 1993 rétablit le calme au Cambodge. Mais dans les années 1990, elle échoue face aux conflits qui éclatent en Somalie, en Yougoslavie, en Angola et au Rwanda ; et nous connaissons la triste situation du Darfour aujourd’hui. Elle est impuissante lors de la guerre en Irak menée par George Bush fils dès 2003, qui accusait l’Irak d’être membre de l’organisation terroriste Al-Qaïda. Rappelons l’article 2-3 : « Les Membres de l’Organisation règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques (…) » l’article 2-4 de la charte de l’ONU dit entre autres : « Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». L’article 51 reconnaît le droit naturel de légitime défense individuelle ou collective, dans le cas où un membre de l’ONU serait l’objet d’une agression armée. Cependant, le lien entre la mouvance d’Al-Qaïda, à l’origine des attentats du 11 septembre 2001 sur le territoire américain, et la dictature de Saddam Hussein en Irak n’a pas été établi.

J’ai lu en première page du Monde diplomatique de juillet 2007, que la résolution 1244 de l’ONU a mis fin, en juin 1999, à la guerre entre la Serbie et le Kosovo en déployant la KFOR (Force de maintien de la paix au Kosovo), en reconnaissant l’appartenance du Kosovo à la Serbie. Mais le 10 juin 2007, Bush fils déclarait « qu’il fallait savoir dire “assez” quand les négociations se prolongeaient trop. » Selon lui « le Kosovo devait bientôt déclarer unilatéralement son indépendance. » Ignatio Ramonet l’auteur de l’article dénonce la précipitation diplomatique : « Nous avons sous les yeux les hallucinants dégâts causés au Proche-Orient par les initiatives irresponsables de l’actuel président des États-Unis. Sa lourde incursion, maintenant, dans un théâtre aussi explosif que celui des Balkans (…) consterne et atterre. » Le Kosovo a déclaré son indépendance le 17 février 2008, laquelle a été aussitôt rejetée par la Serbie.

Comme l’ONU ne dispose pas du droit d’ingérence, sa tâche est souvent impossible à mener dans les guerres civiles. De plus, elle bénéficie rarement de l’aide des pays membres, quand ils voient leurs intérêts économiques menacés. L’ONU dépend du bon vouloir des grandes nations, capables de fournir des Casques bleus et les moyens nécessaires au règlement des conflits. En 1958 l’ONU comptait 82 États membres ; après la décolonisation et la chute du mur de Berlin, elle regroupe en 2006, 193 États. Les pays du Sud sont devenus majoritaires à l’Assemblée générale et tentent de contraindre les grandes puissances occidentales à faire respecter les Droits de l’Homme conformément à la charte onusienne. Face à ses échecs, l’ONU tente d’améliorer son organisation. Le 15 mars 2006, l’Assemblée générale a adopté une résolution décidant d’instituer le Conseil des Droits de l’Homme, qui vient remplacer la Commission des Droits de l’Homme. Le Conseil sera chargé de promouvoir le respect universel et la défense de tous les Droits de l’Homme et de toutes les libertés fondamentales, en toute justice et équité. La Cour Pénale Internationale, ou CPI créée le 1er juillet 2002 avec 60 États, juge les individus coupables de génocide ; crimes de guerre ; crimes contre l’humanité et autres crimes pouvant être définis par la CPI. La CPI comptait 103 pays en 2006. C’est le premier tribunal international permanent, qui remplace les tribunaux internationaux temporaires ou TPI. (24)

La Charte ne peut être amendée « qu’après approbation des deux tiers des membres de l’Organisation, y compris tous les membres permanents du Conseil de sécurité » (27p41). L’ONU n’est pas une organisation intergouvernementale démocratique et impartiale.

 

II-1-7-  La grève générale pour la paix internationale

Après la reconnaissance du droit syndical en 1884, la Confédération générale du travail est créée en 1895. En 1906, la CGT adopte la       « Charte d’Amiens » qui supprime le lien organique entre partis politiques et syndicats. Cependant, les anarcho-syndicalistes et les socialistes de l’époque s’entendent sur les moyens à mettre en œuvre pour mettre un terme aux guerres en Europe. Les socialistes Jean Jaurès et Édouard Vaillant font adopter la même année par la SFIO la nécessité d’une action contre la guerre dans chaque pays, début de citation : « par tous les moyens depuis l’intervention parlementaire, l’agitation publique, les manifestations populaires jusqu’à la grève générale ouvrière et l’insurrection. » Cette position valut à la SFIO les vives attaques de la grande presse possédée par les grands propriétaires. Les socialistes partisans de Jules Guesde considéraient qu’il n’y avait pas lieu de combattre le militarisme et le capitalisme séparément. (13).

Poussés par le nationalisme et le bellicisme, depuis le tout début du vingtième siècle, les pays européens avaient dépensé des sommes importantes dans l’armement. Jean Jaurès est assassiné et la Première Guerre mondiale éclate. Pour les militants ouvriers, la déception est immense de constater que le prolétariat mondial n’a pas réussi à maintenir la paix par la grève générale internationale. Le bilan de la guerre 14-18 est lourd. Il y a eu 8,6 millions de morts et 6 millions d’invalides. La France a perdu 1,4 million de soldats, soit 10 % de sa population valide masculine.

Mais douze ans plus tard, la Seconde Guerre mondiale approche ; Louis Lecoin* écrit dans sa biographie : « Sans que les masses, que nous nous étions tant acharnés à prévenir, le soupçonnent, nous vivions depuis 1930 sur un volcan, bouillonnant (…). Et voici que la politique franco-anglaise, notamment celle, plus lointaine, d’un Poincaré, est parvenue à hisser Hitler au pouvoir. Les chauvins, les militaristes, les profiteurs de guerre d’un peu partout, sont comblés. Ils voulaient cela : un fou à la tête du gouvernement, au-delà du Rhin, pour posséder tous les prétextes à mal faire n’importe où (…) Laval, s’étant rendu à Moscou, a rapporté dans sa serviette l’ordre aux communistes français de ne plus confondre officier avec “gueules de vaches”, de respecter, dorénavant, l’armée et de s’apprêter à défendre éventuellement la patrie. Ceux-ci, dociles, se sont d’abord seulement inclinés ; puis très vite, ils sont devenus des patriotes, brandissant les trois couleurs et s’égosillant avec “La Marseillaise” (…). Je me vois encore en ce printemps 1936, dans une salle de la Bourse du Travail où se trouvaient assemblés les conseils syndicaux de la région parisienne (…). J’obtins de parler dix minutes pour demander aux syndicalistes de balayer devant leur porte. Je leur reprochais de critiquer le militarisme allemand et de ne rien dire du militarisme français ; de s’élever contre le réarmement outre-Rhin et de ne point mentionner le colossal budget de guerre de notre pays. “Prenez garde ! leur criai-je, vous êtes en train de vous rendre complices des prochaines hécatombes.” À un interlocuteur qui me lançait : “Si on nous attaque, si l’on tente de nous ravir la liberté, nous ne pouvons nous laisser faire”, je répondis qu’aucun régime, que pas une liberté, ne valait que l’on fît la guerre pour tenter de les sauver ; (…) qu’on ne pouvait préconiser un remède pire que le mal. (…) s’il m’était démontré, absurde hypothèse, qu’en faisant la guerre mon idéal aurait chance de prendre corps, je dirais quand même NON  à la guerre. Car on n’élabore pas une société de rêves sur des monceaux de cadavres ; on ne crée pas du beau et du durable avec des peuples malades, diminués physiquement et moralement. Plutôt désespérer de l’avenir que de l’hypothéquer de cette façon. Je n’obtins aucun succès. » (31p158-159)

Jean Giono*, de son côté, pour mettre un terme aux guerres, demande dans sa Lettre aux paysans en 1938 ce qui suit : « La paysanne doit refuser d’être la remplaçante. Dès le début de la guerre elle doit détruire ses stocks de blé et ne garder strictement que ce qui est nécessaire à sa vie à elle et à la vie des enfants (…). Vous avez la famine à votre disposition : affamez les parlements et les états-majors jusqu’à ce qu’il soit indispensable de renvoyer vos hommes aux champs (…). Mais vous pouvez sauver vos hommes plus tôt encore. Vous pouvez même empêcher qu’on pense la guerre. Vous qui ne savez pas écrire vous pouvez écrire la phrase la plus puissante et la plus noble de tous les temps : “Les paysannes soussignées s’engagent en cas de guerre à détruire le stock de blé qui sera en leur possession et à ne plus cultiver la terre que pour leur propre nourriture.” Engagez-vous dans la croisade de la pauvreté contre la richesse de guerre. Vos plus beaux chevaux de bataille sont vos chevaux de labour, vos charges héroïques se font pas à pas dans les sillons. Votre bouclier a la rondeur de toute la terre (…). L’intelligence est de se retirer du mal. » (39p227-228)

Mais rien ne stoppe la folie meurtrière, et la Seconde Guerre mondiale de 1939-1945 fait 38 millions de morts. Près de douze millions de personnes ont été exterminées dans les camps par les nazis, dont six millions de juifs sur les 8,6 millions recensés (15). Quand les peuples réaliseront-ils, qu’ils ne sont, pour les capitalistes, que des robots-producteurs-consommateurs et de la chair à canon ?

 

II-1-8- La dissuasion et la résistance civiles non-violentes

« En 1931, Gandhi* commence à réfléchir à ce que devrait être la défense d’une Inde indépendante ; fidèle à ses convictions, il n’envisage pas de forces armées, mais l’organisation d’une résistance non-violente massive à tout envahisseur sur le modèle de celle qu’il mène alors contre l’occupation britannique ; idée qu’il ne parviendra jamais à faire accepter par le parti du Congrès. » (11p104)

À partir de la fin des années cinquante, quelques chercheurs scandinaves et anglo-saxons cherchent à élaborer « un système de défense fondé sur l’organisation planifiée de la résistance non-violente de toute la population. » (11p101). L’hypothèse est qu’un envahisseur armé ne peut pas s’imposer durablement sans la collaboration, active ou résignée, d’une partie de la population. Des exemples de résistance civile non-violente existent comme par exemple la grève qui met en échec le putsch monarchique de Kapp à Berlin en 1920 ; la grève générale de la Ruhr en 1923, contre l’occupation franco-belge ; les six jours de la résistance tchèque en août 1968, contre les Soviétiques. En 1984, la France a demandé une étude qui a été publiée en 1985 sous le titre La Dissuasion civile (Perspectives pour la prise en compte des principes et des méthodes de la résistance civile non-violente dans la stratégie globale de défense de la France) de Christian Mellon, Jean-Marie Muller, Jacques Semelin, éd. FEDN (Fondation pour les Études de la Défense Nationale), 1985. Elle visait à contrer une invasion soviétique après une défaite armée dans le contexte de la guerre froide, et s’inscrivait dans une stratégie globale où la violence n’était pas exclue. (11)

La sécurité d’un pays, d’une nation, face à des agresseurs potentiels, s’obtient par la dissuasion. Cette stratégie doit faire en sorte que les pertes engendrées par une éventuelle agression soient supérieures aux profits économiques, politiques et idéologiques de soumission escomptés par les agresseurs. La dissuasion militaire, par exemple nucléaire, élève le facteur coût en opposant une puissance de frappe redoutable qui fait appel à de lourds moyens de recherche, lesquels précisons-le, sont à la charge des contribuables. Ce genre de dissuasion armée n’est pas prévu pour faire échec aux facteurs politiques et idéologiques de soumission, contrairement à une autre approche non militarisée, qui consiste en une dissuasion civile. Cette dernière repose sur une résistance civile non-violente de toute la population du pays à ses agresseurs. Elle devrait faire appel à un service civil adéquat, organisé par un ministère de la Défense de la Liberté, non-violent et sans arme. Non seulement la violence ne peut pas maintenir une paix durable, mais de plus elle est ruineuse en armes et en armées, et souvent en dégâts civils collatéraux, humains, matériels et écologiques. L’État et la population doivent sortir du paradigme qui confond le pouvoir avec la force et la force avec la violence. Pour cela, nous devons retenir que le terme « non-violence » n’est pas synonyme de « pacifisme » et encore moins de faiblesse et d’absence de pouvoir.

Sur un plan théorique, la résistance non-violente et la résistance armée ne peuvent pas fonctionner en même temps : il faut choisir l’une ou l’autre. Les deux stratégies procèdent d’une mentalité ou d’un comportement psychologique et de valeurs sociétales différents. L’annulation récente du service militaire en France, la professionnalisation des armées et le développement récent des sociétés militaires privées vont dans le sens opposé d’une responsabilisation des citoyens pour mener une résistance civile. De plus, notre société cultive l’individualisme et présente le matérialisme et la compétition entre les individus comme la seule utopie du bonheur ; c’est toute l’échelle de nos valeurs qui est à revoir. La non-violence et la dissuasion civile devraient être enseignées, dès la maternelle, en utilisant des jeux.

La non-violence fait appel à un paradigme différent de celui de la violence, tout comme la dissuasion civile non-violente est différente des missions d’interposition armées, menées par l’ONU avec des Casques bleus. La dissuasion civile non-violente repose sur une conscientisation de la population tout entière d’un pays et sur l’usage exclusif de la non-violence et de ses techniques, que nous passerons en revue dans ce livre. Elle ne nécessite plus une ingérence militaire étrangère pacifique programmée par l’ONU. Rappelons que cette organisation intergouvernementale reste sous la coupe des grandes puissances armées et fabricantes d’armes. Même si le cadre institutionnel et international semble incontournable, il n’est pas certain, ni même souhaitable que la médiation de l’ONU demeure ; sinon, sa tâche serait considérablement allégée. On comprend que les gouvernements des pays, qui s’inscrivent à l’intérieur du paradigme de la pensée unique, qui repose exclusivement sur la violence, ne soient pas disposés à former leur population à résister à l’oppression par des techniques non-violentes. Elles ont trop peur que ces instruments ne se retournent contre leur propre autoritarisme et que les peuples ne disposent un jour enfin d’eux-mêmes.

 

II-1-9- La non-violence et l’État

Gandhi* tire son modèle de l’État minimaliste de Tolstoï*, et il est en faveur des États laïques, et non d’une théocratie, même s’il encourage fortement la morale en politique. Ici, je vais en profiter pour lever une ambiguïté qui apparaît dans Tous les hommes sont frères (19), qui est une anthologie. Les différents textes placés bout à bout au paragraphe « Le peuple et la démocratie » semblent en contradiction les uns avec les autres et je pense qu’ils ont besoin d’une explication. Gandhi* se défend d’être un autocrate (p244), mais ensuite il dit : « Ceux qui prétendent guider le peuple doivent être décidés à ne pas se laisser mener par lui. » – « Chaque fois que mon peuple fera un faux pas, je n’hésiterai pas à le dire. Le seul tyran que j’accepte en ce monde est la “petite voix sereine” qui parle en moi-même. » (p243). Et il dit que le peuple doit s’en remettre à la conscience de ses chefs, alors qu’il écrit dans ce même chapitre : « La désobéissance civile est le droit imprescriptible de tout citoyen. » (p235) et « La désobéissance civile est la clé du pouvoir. » (p240). Cela signifie que seuls les hommes qui ont une morale infaillible, qui renoncent aux richesses et à toute promotion sociale comme lui, sont aptes à conduire droitement les peuples, et qu’il ne faut pas s’en remettre aveuglément « à la doctrine du plus grand bien pour le plus grand nombre. » (p244), mais à « celle du plus grand bien pour tous. » (p245). Le bien n’émane pas toujours de la majorité, surtout quand elle est manipulée par les médias, qui sont au service des profits de quelques-uns. Mettre à la tête d’un État un homme cupide, qui fait l’apologie de la réussite par l’argent est un mauvais choix.

Gandhi* critique les partis politiques de son temps ainsi : « Les socialistes et les communistes disent qu’à l’heure qu’il est ils ne peuvent encore rien faire pour établir l’égalité économique. Ils se contentent de faire de la propagande en sa faveur en cultivant le sentiment de haine. Ils disent que quand ils auront le contrôle de l’État, ils établiront de force l’égalité. Au contraire, selon mon plan, l’État sera le serviteur de la volonté du peuple, et non un indicateur qui lui impose sa volonté. Je ferai l’égalité par la non-violence, en convertissant le peuple à ma manière de voir, en remplaçant les forces de la haine par celles de l’amour. » (34p32). Dans Young India du 2 juillet 1931, il emploie l’expression « État d’anarchie éclairée » pour définir l’État idéal, il reprend une idée de Thoreau* en disant : « (…) le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins. » (19p238). Selon Gandhi*, ceux qui pratiquent « la lutte des classes » se trompent de combat et n’ont rien compris à la non-violence. Il dit : « Aussitôt que le travailleur prend conscience de sa force, il se trouve en position de devenir le co-associé du capitaliste au lieu de rester son esclave. » (19p232). La non-coopération est, d’après Gandhi*, le meilleur moyen pour les travailleurs de riposter à ceux qui violent les droits du peuple. (34p33)

 

 

 II-2- PORTRAITS DE VINGT ACTIVISTES NON-VIOLENTS

 

« C’est uniquement pour servir que nous mangeons, buvons et dormons. » Gandhi* (19p133)

J’ai rangé dans ce chapitre quelques exemples de personnalités qui ont contribué au développement de la non-violence, par leurs idées, leurs actes et leurs écrits.

 

Erasme (Geert Geertsz) est né à Rotterdam vers 1469 et meurt à Bâle en 1536. Le pseudonyme latin grec qu’il choisit Desiderius Erasmios, qui signifie Désiré Aimé traduit son intérêt pour les langues anciennes et sa dualité, qui oscille entre l’amour du Christ, qui pousse au retrait du monde, et la vie d’un écrivain humaniste proche des cours royales, qu’il cherche à convaincre de ne jamais faire la guerre.

Fils d’un prêtre et de sa concubine, orphelin de mère vers 16 ans, et de père vers 17 ans, le jeune Geert entre au couvent avec son frère et reçoit un enseignement influencé par la Renaissance italienne. Il ne tarde pas à lire Sénèque, Cicéron, saint Jérôme, saint Augustin et Horace, qu’il considère comme son alter ego. Il veut être poète, mais ses vers manquent de qualité. Sa piété se manifeste dans son amour pour le Christ, et non dans la pratique des rites religieux (jeûnes, cérémonies, etc.).

En 1492, il est ordonné prêtre et part étudier la théologie à la Sorbonne à Paris. Locataire du Collège de Montaigu en 1495, il dénonce la crasse, la cruauté de l’ascétisme, la brutalité et les humiliations infligées aux jeunes élèves. En 1496, il publie un recueil de poèmes latins et séjourne en Hollande. Il se lie avec des lettrés et vit chichement en donnant des cours particuliers de lettres et de grammaire. En 1499, son élève le baron Mountjoy, l’invite en Angleterre où il rencontre Thomas More (1478-1535), qui deviendra avec lui un grand humaniste. John Colet l’incite à étudier le grec pour retrouver la lettre et l’esprit du Nouveau Testament. Rentré en France, Érasme ne tarde pas en 1502, à traduire Euripide, Lucien, Plutarque, et lit Platon, Homère, Aristophane et Origène, qui est son exégète favori. En 1500, il publie à Paris la première édition des Adages (800 proverbes) et des ouvrages de pédagogie.

En 1503, paraît son Manuel (ou : poignard) du soldat chrétien, commandé par un noble, qui est une synthèse de la « philosophie du Christ » influencée par le platonisme. De 1506 à 1509, il accompagne comme précepteur un élève en Italie, cette « Terre promise ». Il séjourne d’abord à Bologne, où il voit le pape Jules II entrer cuirassé à la tête de ses troupes dans la ville, après deux mois de siège. Durant un an il travaille pour Alde, un éditeur imprimeur, qui publie des hellénistes. Alde publie en 1508 Adages, un recueil de 3260 formules de citations grecques et latines, dans lequel Érasme se fait entre autres l’apôtre du pacifisme. L’adage 1401 Le sort t’a donné une Sparte, orne-la, signifie : « Tu as obtenu un royaume sans éclat : ne tourmente pas les voisins, mais orne ce que tu possèdes sans faire tort à d’autres. » (45p391). En 1511, paraît son Éloge de la folie et en 1516 à Bâle sa traduction du Nouveau Testament, qui fait de lui le plus grand humaniste européen. Sa Complainte de la Paix publiée en 1517 est une synthèse de ses idées pacifistes : « Je t’en supplie, ô prince chrétien, si tu es vraiment chrétien, contemple l’image de ton Seigneur, prends en considération la manière dont il prit possession de son royaume (…) et tu comprendras vite la façon dont il veut que tu gouvernes le tien (…) » (49p924). Il fonde un collège trilingue (latin, grec et hébreu) à Louvain. De retour à Bâle, il poursuit une controverse religieuse avec Luther (1483-1546) pour qui il publie en 1524 Essai sur le libre arbitre. Favorable à l’évangélisme, c’est-à-dire à une foi puisée directement dans les Évangiles, il ne rompt pas avec l’Église catholique pour autant. Il veut réaliser un syncrétisme entre le christianisme et l’humanisme. Ses contemporains font de ce militant de la paix « le prince des humanistes ». Hostile à tous les fanatismes et à la guerre, Érasme est le conseiller de Charles Quint, François Ier, Henri VIII et du pape Léon X.

 

Marie-Olympe de Gouges est née en 1748 à Montauban et a été guillotinée à Paris le 3 novembre 1793. Elle a vécu durant la période la plus féconde « du siècle des Lumières », du lancement de la souscription de l’Encyclopédie de Diderot (1750), à l’année de la mort de Voltaire et de Rousseau (1778). Montesquieu et Diderot admirent le système parlementaire anglais mis en place par Guillaume III en 1688. Mais les quelques ministres progressistes de Louis XVI sont limogés sous la pression des privilégiés, 13 ans avant la Révolution de 1789. Les révolutionnaires n’abolissent l’esclavage qu’en 1794, et ne donnent pas de droits aux femmes. De Gouges se forme en autodidacte dans une société où la plupart des femmes n’ont pas même droit à l’instruction. Devenue femme de lettres et polémiste, elle préconise la féminisation des noms de métier, des hôpitaux pour les femmes, la création d’ateliers nationaux pour les sans-emploi, l’abrogation de l’esclavage et de la peine de mort, l’égalité des droits des hommes et des femmes, le droit au divorce et à l’héritage, etc. Elle laisse de nombreux écrits en faveur des droits civils et politiques des femmes et de l’abolition de l’esclavage des Noirs. Elle publie en 1788, 1790 et 1792, trois Réflexions sur l’esclavage, et est l’autrice d’une Déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne (1791). Article X : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même fondamentales ; la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune ; pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi. » Elle est guillotinée pour avoir dénoncé les atrocités de la Révolution et les risques d’une dictature jacobine. En allant sur l’échafaud, elle crie : « Enfants de la patrie, vous vengerez ma mort. » (14,40,44 & le Monde diplomatique de novembre 2008 article de Pierre Sané de l’UNESCO)

 

Henry-David Thoreau est né le 12 juillet 1817 à Concord dans le Massachusetts aux États-Unis et est décédé le 6 mai 1862 dans la même ville. Diplômé de Harvard, il est essayiste, mémorialiste et poète ; d’ascendance quaker et puritaine, il mène une vie ascétique. Il vit 14 ans chez son maître le philosophe transcendantaliste Emerson, qui encourage les jeunes intellectuels à contempler la nature, et qui l’incite à écrire. Thoreau est un précurseur de la désobéissance civile et de l’objection de conscience. Il privilégie la conscience individuelle, et la loi morale à la loi politique. Il milite pour le respect des minorités, et invite ses concitoyens à désobéir individuellement aux lois injustes. Il place sa conscience et la vérité au-dessus de tout. Il écrit : « La vérité du juriste n’est pas la vérité avec un grand “V” (…) » (34p59). Il dit à ceux qui ne se révoltent pas contre les décisions injustes du gouvernement américain : « Ainsi, sous le nom d’ordre et de gouvernement civique, nous sommes tous amenés en dernier ressort à rendre hommage et allégeance à notre propre médiocrité » (33p12). Il a une très forte personnalité et « fut successivement, ou plutôt à la fois, instituteur, charpentier, arpenteur, fabricant de crayons, botaniste, écrivain, ermite et militant politique (non encarté) » (33p31). Thoreau, engagé comme maître d’école publique en 1838, est aussitôt renvoyé parce qu’il refuse de battre les enfants. Il crée avec son frère John une école « nouvelle » (33p19). En 1845, Thoreau passe une nuit en prison pour avoir refusé de payer la part de l’impôt destinée à financer la guerre contre le Mexique (1847-1848), qui s’est terminée par l’annexion d’un vaste territoire entre le Texas et la Californie. Il s’oppose également à la politique esclavagiste des États du sud, au traitement injuste infligé à la population amérindienne. Le 16 janvier 1848, Thoreau fait une conférence au Lyceum de Concord intitulée « Les droits et les devoirs de l’individu en face du gouvernement ». Le texte est publié l’année suivante sous le titre La Désobéissance civile (The Duty of Civil Disobedience) et constamment réédité depuis. Son essai inspire Tolstoï*, Gandhi*, Martin Luther King*, et bien d’autres activistes non-violents. Thoreau est végétarien et un précurseur de la simplicité volontaire. Sa devise est : « Simplifiez, simplifiez ! » Il passe deux ans (1845-1847) dans les bois de Walden, sur les terres d’Emerson, près de Concord, dans une cabane construite de ses mains. « Et, tout en observant le cycle de la nature, et en faisant le peu de culture nécessaire à sa survie, tout en lisant les livres sacrés de l’Inde, en recevant des amis (…), il trouve le temps de rédiger un volumineux journal publié sous le titre de Walden ou la Vie dans les bois, (…) » (33p32). Thoreau, qui veut parvenir à la connaissance de son âme, fait souvent référence à Dieu. Mais en 1859, il soutient les méthodes violentes de l’abolitionniste américain John Brown (34p61). Il n’est pas anarchiste, et pourtant il écrit : « Le gouvernement le meilleur est celui qui ne gouverne pas du tout. » (33p5). Gandhi* découvre l’œuvre de Thoreau dans une prison d’Afrique du Sud, et fait souvent référence à lui dans ses écrits : « La désobéissance civile est le refus d’appliquer des réglementations immorales. L’expression, à ma connaissance, a été inventée par Thoreau pour exprimer sa résistance aux lois de l’État esclavagiste. Il nous a laissé un traité magistral sur le devoir de désobéissance civile. Mais Thoreau n’était peut-être pas un champion inconditionnel de la non-violence (…). » (40& 34p67)

 

John Ruskin né à Londres le 8 février 1819 et décédé le 20 janvier 1900 est sociologue, théoricien et critique d’art, spécialiste de l’art gothique et du peintre Turner. Il reçoit une éducation puritaine et fait des études irrégulières aux Collèges de Londres et d’Oxford. Il écrit de nombreux livres sur l’art, la morale sociale et l’économie politique. Son livre Jusqu’au dernier, qui paraît en 1862, est un recueil de conférences sur ces deux derniers sujets, où il fait une brillante critique de l’économie libérale capitaliste (David Ricardo, Adam Smith, John Stuart Mill). Proust le considère comme le directeur de conscience de son époque. Ruskin pense que « l’esthétique et l’éthique ne sont que les éléments d’un même ensemble. À ses yeux, apprendre la beauté, c’est apprendre à être bon dans la vie. » (34p96). « (…) les ouvrages suivants doivent être distribués : La désobéissance civile de Thoreau*, Hind Swaraj et l’Apologie de Socrate écrit et traduit par moi, la Lettre aux libéraux russes de Tolstoï* et Jusqu’au dernier de Ruskin. » (34p86) écrit Gandhi*. Ce dernier ouvrage, également traduit par Gandhi*, est paru sous le titre de Sarvodaya (le bien être de tous). Mais pour Ruskin « les inégalités des richesses seront toujours là » (34p105). Par ailleurs il dit : « (…) la division de la propriété, c’est sa destruction, et, avec elle, la destruction de tout espoir, de toute industrie et de toute justice, c’est tout simplement le chaos (…) » (34p111). Chez Ruskin l’État contrôle les moyens de production, contrairement à Gandhi* qui envisage une structure politique non-violente horizontale constituée de communautés de villages avec un pouvoir décentralisé. Il n’a gardé de Ruskin que l’égalité des salaires, la simplicité des outils de production, l’opposition au capitalisme, le concept de coopération qui s’oppose à la compétition entre individus. Ruskin utilise la fortune héritée de son père à des fins philanthropiques et culturelles ; il a été vénéré dans toute l’Europe.

 

Léon Tolstoï ou le comte Lev Nikolaïevitch Tolstoï est né le 9 septembre 1828 du calendrier grégorien, à Iasnaïa Poliana en Russie et il est mort le 20 novembre 1910 à Astapovo. Il est, avec Dostoïevski, un des géants de la littérature russe. Orphelin jeune, il est élevé par sa tante et sort de l’université de Kazan sans diplôme. Il voyage et dit partout que l’école enseigne la servitude. Il renonce à son statut d’aristocrate, et veut donner en 1848 ses terres aux serfs, qui les refusent. En 1851, il s’engage dans la guerre du Caucase. Ses trois premières publications autobiographiques Enfance, Adolescence, Jeunesse (1852 à 1857) le rendent aussitôt célèbre. Il rapporte comment un fils de riches propriétaires terriens réalise ce qui le sépare de ses camarades de jeu fils de paysans. Il est mobilisé durant la Guerre de Crimée (1853-1856) qu’il relate dans Récits de Sébastopol (1855). Marié à Sophie Behrs en 1862, le couple a treize enfants, dont cinq meurent en bas âge. Sophie dirige le domaine familial. Tolstoï relate les guerres contre Napoléon dans Guerre et Paix puis écrit Anna Karénine. Ces deux romans le rendent célèbre mondialement. En écrivant Anna Karénine  (1873-1877), il entame une sorte d’introspection, en forme de quête spirituelle. Il est inspiré par des penseurs de la non-violence tels le philosophe américain Henry David Thoreau* et le prophète Baha’Ullah (k). Athée, en 1879 il se convertit au christianisme et devient moralisateur avec le livre Confession, écrit en 1882, et Ma religion. Son christianisme est empreint de rationalisme, détaché du matérialisme et tourné vers la non-violence. Vers 1883, il veut vivre comme un paysan. « De ses mains, il se mit à travailler la terre et à faire des chaussures, sans relâche, chaque jour, huit heures durant. » (19p209). La Mort d’Ivan Ilitch (1884-1886) est une admirable réflexion sur la solidarité humaine et sur la mort. Il écrit plusieurs pièces de théâtre à but éducatif. Il préconise le « pacifisme végétarien » et le respect de la vie sous toutes ses formes, même les plus insignifiantes, et adopte un régime végétarien en 1885. Il considère que la consommation de chair animale est « absolument immorale, puisqu’elle implique un acte contraire à la morale : la mise à mort ». L’Église orthodoxe l’excommunie en 1901, après la publication en 1899 de son œuvre Résurrection. Tolstoï est favorable à l’espéranto, langue internationale qu’il dit avoir apprise en dix heures. Vers 1894 il écrit : «Les sacrifices que fera tout homme de notre monde européen, en consacrant quelque temps à son étude, sont tellement petits, et les résultats qui peuvent en découler tellement immenses, qu’on ne peut se refuser à faire cet essai.» En 1897, dans Qu’est-ce que l’art ? il dénonce « l’art pour l’art ». Il conçoit l’art véritable comme un moyen de communication des émotions et d’union entre les hommes, étranger à la recherche du plaisir purement esthétique. Tolstoï dénonce l’effet corrupteur de tout pouvoir, et réclame l’abolition des intérêts personnels : « La loi du Christ, dit-il, c’est l’amour altruiste, celle qui écarte totalement la violence. La hiérarchie politique et le clergé bafouent l’égalité des fils de Dieu. » Pour lui, le sentiment moral est ce qu’il y a de véritablement divin. Certains rapprochent sa pensée d’un nihilisme fondé sur une morale personnelle, d’autres de l’anarchisme chrétien. Ses écrits influencent les anarchistes mystiques russes du début du XXe siècle. Son invitation adressée aux intellectuels occidentaux à se simplifier et aux artistes à considérer l’art comme « l’organe de la vie » a séduit. Mais son postulat de la non-violence, étranger à la mentalité européenne, est perçu comme un encouragement au mal. Sa critique des institutions oppressives et des sources de violence, les dimensions mystiques et anarchistes de son message, impressionnent et inspirent le jeune Gandhi*, qui traduit la Lettre à un Hindou en 1908, dans laquelle Tolstoï dénonce les actes de violence des nationalistes indiens en Afrique du Sud. Gandhi* qualifie Tolstoï comme étant : « le plus grand apôtre de la non-violence que notre époque ait connu. » (19p292). Il adopte comme Tolstoï l’idée que l’existence d’un État est incompatible avec les principes de vie non-violents. Gandhi* et Tolstoï échangent une correspondance et deux mois avant sa mort, Tolstoï écrit à Gandhi* à Johannesburg au sujet de ses luttes non-violentes : « Votre activité au Transvaal, qui semble pour nous au bout du monde, se trouve cependant au centre de nos intérêts ; elle est la plus importante de toutes celles d’aujourd’hui sur la terre. » (13p58) À la fin de sa vie, Tolstoï part en vagabond, prend froid, et meurt d’une pneumonie loin de sa famille. (40,14&11)

Note k : Baha’Ullah (1817-1892) iranien fondateur du bahaïsme, religion qui apparaît en Iran, puis est introduite en 1890 en Occident et en 1920 aux États-Unis, puis dans le monde. Ses textes sacrés appellent à l’instauration d’une foi universelle fondée sur le dépassement des conflits raciaux, religieux et sociaux.

 

Romain Rolland est né à Clamecy dans la Nièvre en 1866 dans une famille de la bourgeoisie protestante, et est décédé à Vézelay dans l’Yonne en 1944. Normalien et agrégé d’histoire, il enseigne l’histoire et l’art et se passionne pour la musique. Il séjourne deux ans à Rome, et passe un doctorat en lettres (1895). Il écrit la vie d’hommes illustres : Beethoven (1903), Michel-Ange (1905), Tolstoï* (1911), Gandhi* (1924), Ramakrishna (1929), Vivekananda, Goethe et Beethoven (1930), Péguy (1944), où apparaît sa conception d’un héroïsme humanitaire. En 1912, dès qu’il peut vivre de sa plume, il démissionne de l’université. Partagé entre la pensée de Nietzsche et celle de Tolstoï*, il rêve d’un héros non-violent qui cherche à « tout comprendre pour tout aimer ». Il illustre son idéologie généreuse dans Tragédie de la foi et son Théâtre de la Révolution (1900 et 1902). Il confie son message de vie énergique et d’amour universel à son héros Jean-Christophe paru en dix volumes (1903-1912) et dans L’Âme enchantée (1922-1934). Au début de la Première Guerre mondiale, il part en Suisse. Dans Au-dessus de la mêlée (1914-15), une série d’articles parus dans le Journal de Genève, il dénonce la quête de la victoire totale des belligérants en guerre. Cette œuvre avec Jean-Christophe lui vaut le Prix Nobel de littérature en 1915. Puis il part pour l’Inde. Il devient une figure du mouvement pacifiste international. En avril 1917, il décline l’offre de Lénine, qui lui propose de le rejoindre dans la Russie en pleine révolution. Il est fasciné par Baha’ullah, auquel il fait référence dans Clerambault en 1920. Il s’efforce de « concilier la pensée de l’Inde et celle de Moscou » et se rallie au communisme en 1927 sans adhérer au parti. Il est, au début des années trente, l’une des figures de la lutte antifasciste et du Front populaire. En 1932, il préside le Congrès mondial contre la guerre à Amsterdam. En 1933, il refuse la médaille Goethe que lui offre l’Allemagne hitlérienne. En correspondance avec le monde entier, il rencontre de nombreuses personnalités dont : Victor Hugo, Paul Claudel, Gandhi*, Freud, Gorki, etc. En 1937, il revient s’établir à Vézelay, qui passe en zone occupée en 1940. Dans son autobiographie poétique, Le Voyage intérieur, en 1942, il révèle la générosité de ses aspirations humanitaires. Rolland fait connaître Gandhi* en France grâce à ses articles. Il participe aux Cahiers de la quinzaine de Péguy, à partir de 1898, et il fonde en 1922 la revue Europe. Il est l’un des fondateurs du Mouvement pacifiste Amsterdam-Pleyel. Son importante correspondance avec l’Inde est publiée dans Inde, Journal 1915-1943, Tagore, Gandhi* et Nehru et les problèmes indiens  en 1951 aux éditions Vineta. Fervent croyant, il meurt déçu par le catholicisme. (14,15&40)

 

Louis Lecoin est un militant anarcho-syndicaliste pacifiste et libertaire, qui est né le 30 septembre 1888 à Saint-Amand-Montrond dans le Cher. Il est mort en 1971. Issu d’une famille très pauvre, de parents illettrés, après avoir obtenu son certificat d’études, il devient manœuvre, jardinier, mendiant, maçon, correcteur d’imprimerie, forain. En parlant de son enfance il écrit : « En ce temps-là les ouvriers subissaient toujours un patronat de droit divin (…). L’Église lui prêtait presque officiellement main-forte par ses prêches tortueux et les pressions éhontées de ses prêtres dans les foyers du “bas” peuple (…). On eût cherché en vain, alors, parmi ces missionnaires de Dieu, des signataires pour appuyer la défense d’objecteurs de conscience, si objecteurs il y eut… » (31p15). Il crée plusieurs publications engagées : Ce qu’il faut dire, Le Libertaire, Défense de l’Homme puis Liberté, et est à l’origine de la fondation de l’Union pacifiste de France. Lecoin passe douze années de sa vie en prison pour défendre ses opinions et en 1947 il écrit De prison en prison. En octobre 1910, jeune appelé, il refuse l’ordre d’aller casser une grève de cheminots, ce qui lui vaut six mois de prison. Cet acte est plébiscité par la presse. Démobilisé en 1912, il rejoint les milieux libertaires parisiens, et devient secrétaire de la Fédération anarchiste communiste, qui deviendra l’Union anarchiste après la Révolution bolchevique. Lecoin lance en 1916 le tract « Imposons la paix », qui lui vaut la prison. Il écrit dans sa biographie Le Cours d’une vie, rédigée en prison en 1965 : « Avant de pénétrer le pénitencier d’Albertville (décembre 1920) j’avais eu le temps de comprendre que la révolution russe, détournée de sa voie était en train d’échouer » (31p92). « Je crains que les anarchistes soient nés trop tôt parmi d’autres êtres trop arriérés, et qu’apparemment ils défrichent sans récolter à proportion de leurs peines. » (p94) et encore : « Vous n’ignorez pas que je suis anarchiste-communiste, que les anarchistes communistes n’ont pas de grands rapports avec ceux qui se réclament de l’Anarchie pour “vivre leur vie tout de suite”, “faire leur révolution dans le présent” en pratiquant ce qu’ils dénomment la “reprise individuelle” ». (p123). Militant syndical, il était présent au congrès de la CGT à Lille en 1921, où il tire en l’air avec son revolver pour que les syndicalistes pacifistes puissent s’exprimer ; ensuite Lecoin prononce un discours pacifiste à la barbe des syndicalistes bellicistes, partisans de la guerre. Lecoin se sépare des « anarchistes de guerre » comme Kropotkine, Grave, Malato, et Jouhaux qui entraîne la CGT dans la guerre. Il se rapproche de Sébastien Faure, anarchiste et franc-maçon pacifiste. Certains des combats de Louis Lecoin ont un retentissement mondial. Fin 1926, il défend Buenaventura Durruti, Gregorio Jover et Francisco Ascaso, militants anarchistes de la Confédération nationale du Travail espagnole, qui ont été arrêtés pour port d’armes prohibées et demandés par l’Argentine et l’Espagne dictatoriales, qui les accusent de fomenter un attentat contre le roi d’Espagne Alphonse XIII en visite en France. Mais Lecoin monte un Comité du droit d’asile et saisit la Ligue des Droits de l’Homme ; les trois hommes ne sont pas extradés. En parallèle, il lutte contre l’exécution de Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti. Il écrit : « Nous essuierons, hélas, un échec qui nous bouleversera lorsque nous apprendrons au petit jour, le 23 août 1927, l’exécution dramatique de Sacco (père de famille) et de Vanzetti (tous les deux ouvriers). Nous avions tant fait pour qu’ils ne meurent pas ! » (p120). Lecoin, déguisé en militaire, s’installe au sein du congrès de l’American Legion (regroupant les anciens combattants américains de 14-18) en France, se lève et crie trois fois « Vive Sacco et Vanzetti ! » et il est arrêté. Les deux camarades pacifistes anarchistes italiens venaient d’être électrocutés par « l’Amérique des coffres-forts », après six ans de détention, pour s’être réfugiés en Amérique avant la déclaration de la guerre en 1914. L’Union anarchiste et le journal Le Libertaire soutiennent la cause de nombreux autres pacifistes. Louis Lecoin fait plusieurs grèves de la faim en prison pour soutenir ses amis. Avant la guerre, il est secrétaire de la Solidarité internationale antifasciste, alliée à la Fédération anarchiste ibérique et à la Conférence nationale du Travail (à laquelle militaient Ascaso, Durutti et Jover) ; cette organisation a créé un journal en trois langues. En 1936, il fonde le Comité pour l’Espagne libre. Il milite aussi pour l’avortement. À la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, Lecoin qui a 51 ans n’est pas mobilisable, mais il refuse de quitter Paris pour Angers avec sa femme. Il descend du train à la dernière minute. Avec son ami Faucier, il rédige un tract ou manifeste contre la guerre, et parcourt 2500 km à travers la France en quatre jours pour avoir le soutien de nombreuses personnalités, dont faisaient partie Jean Giono* et Alain. Puis dix jours après la déclaration, bravant la censure, cent mille tracts intitulés « Paix immédiate » sont distribués. Lecoin est arrêté, il écrit : « En toute sincérité, je ne supposais pas que ce manifeste nous créerait des ennuis judiciaires, je nous croyais hors de toute atteinte de fait de l’adhésion des deux ou trois signataires à la renommée quasi mondiale. (…). Et, en fin de journée, après avoir affronté, chez le juge, d’anciens amis devenus mes perfides accusateurs, je m’étendais sur mon grabat, pleurant toutes les larmes de mon corps. » (p179). Un bon nombre des signataires l’avaient lâché devant le tribunal. Lecoin échappe de justesse au peloton d’exécution « pour intelligence avec l’ennemi » et est emprisonné jusqu’en septembre 1941, dans plusieurs prisons et camps. Après avoir retrouvé sa femme, il devient marchand forain pour payer ses dettes. En 1948, à Vence, il crée et dirige le journal Défense de l’Homme, où il défend les 90 000 prisonniers de France, jusqu’à la mort prématurée de sa femme en 1956. De retour à Paris chez sa fille, il vend ses biens pour créer l’hebdomadaire Liberté et, appuyé par douze personnalités (À Breton, B Buffet, J Giono*, l’abbé Pierre*, etc.), il crée un comité de soutien aux 90 objecteurs emprisonnés ; 84 d’entre eux étaient des Témoins de Jéhovah. Lecoin, qui n’est pas croyant, les soutient sans condition, mais ils lui écrivent en août 1963 : « Nos convictions religieuses ne sont pas parallèles à vos convictions philanthropiques (…) nous vous serions infiniment reconnaissants lorsque vous intervenez auprès du gouvernement, de le faire uniquement pour les objecteurs de conscience non-violents, les Témoins de Jéhovah ne pouvant en aucun cas être à vos côtés dans cette lutte. » Soutenu aussi par Albert Camus, Lecoin lance en 1958 sa campagne pour le statut d’objecteur de conscience. Comme le gouvernement refuse de tenir une première promesse faite en 1959, Lecoin se met en grève de la faim le 1er juin 1962, à l’âge de 74 ans, et reçoit le soutien de la grande presse, notamment du Canard enchaîné ; Lanza Del Vasto* jeûne avec lui quinze jours. Lecoin est hospitalisé de force le 15 juin, sur ordre du Premier ministre Pompidou, qui promet le 21 juin par écrit qu’un projet de loi allait être soumis au Parlement à la fin de la guerre d’Algérie et que 28 objecteurs seraient libérés. Lecoin cesse son jeûne le lendemain après avoir obtenu un communiqué de presse du gouvernement et la promesse que tous les objecteurs seraient libérés en cas de retard du vote prévu le 4 juillet. Après encore bien des difficultés, le gouvernement promulgue ce statut le 24 décembre 1963, et affecte les objecteurs à un service civil. En 1964, Lecoin se retire de la candidature au Prix Nobel de la Paix, en faveur de Martin Luther King*.

 

Jean Giono a vécu toute sa vie à Manosque dans les Alpes-de-Haute-Provence où il est né le 30 mars 1895 et décédé le 9 octobre 1970. Là, dans les collines qui surplombent la Durance, qui lui inspirent un « sud imaginaire », là, en marge du monde et du parisianisme, il devient l’un des plus grands écrivains du XXe siècle avec pour but « le service de la vie ». Il produit durant quarante ans, poèmes, contes, nouvelles, romans, essais, théâtre, traductions, films, préfaces et chroniques journalistiques.

Jean Giono est le fils unique de Pauline Pourcin (1857-1946), une blanchisseuse, et de Jean-Antoine Giono, un cordonnier fils d’immigrés italiens, humaniste aux sympathies anarchistes qui incite son fils à « devenir poète et à panser les blessures ». Jean Giono doit quitter le lycée à 16 ans pour aider ses parents à vivre, il entre dans une banque comme chasseur. Il lit les classiques dont les éditions sont moins coûteuses que celles des grands écrivains contemporains et s’essaie à la poésie dans un journal local. Réformé en 1914, pour un tour de poitrine insuffisant, il est mobilisé en janvier 1915 dans l’infanterie après les premières hécatombes et sert dans les transmissions. Après avoir vu périr ses amis, miraculé de la guerre des tranchées, il est démobilisé en octobre 1919 et se rallie au pacifisme qui marquera son œuvre et ses engagements. De retour à la banque, il s’essaie au roman. Son père meurt en 1920, et il épouse Élise Maurin avec qui il a deux filles. Lucien Jacques, qui devient son meilleur ami, propose ses poèmes à une revue marseillaise et son premier roman à un éditeur parisien. Remarqué dès ses premières publications, Colline en 1929 chez Grasset et Un de Baumugnes, il passe une semaine à Paris et rencontre Gide, Paulhan, etc. Après la fermeture de la banque qui l’emploie, comme il refuse de quitter Manosque, il décide de vivre de sa plume en décembre 1929. Après Regain, Manosque-des-plateaux, Naissance de l’Odyssée en 1930, sa première œuvre engagée pour le pacifisme, Le Grand troupeau, paraît en 1931. Suivent plusieurs autres romans, puis, après sa rencontre avec Hélène Laguerre, une admiratrice, Giono s’engage politiquement à gauche en 1934 et se rapproche des communistes. Il s’en sépare en 1935 après leur alignement sur le nationalisme guerrier des Soviétiques, pour mieux s’opposer à la guerre imminente et encourager un pacifisme intégral. Il s’en fait le chantre avec Le chant du monde  en 1934 et Je ne peux pas oublier. Après Que ma joie demeure en 1935 et les Vraies richesses en 1936, il réunit régulièrement à 60 km de Manosque, sur un plateau au Contadour, des intellectuels de gauche engagés venus de toute la France, et lance les Cahiers du Contadour (sept numéros de 1936 à 1939) en faveur du pacifisme jusqu’à la déclaration de la guerre. Auparavant, paraissent Refus d’obéissance, textes pacifistes, et Batailles dans la montagne en 1937. En 1938, il fait une intervention lors de la crise de Munich et publie Le Poids du ciel, La Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix, et en 1939 Précisions et Recherche de la pureté. Le 14 septembre 1939, après s’être présenté à son centre de mobilisation, il est arrêté pour pacifisme et incarcéré à Marseille en novembre. Il est libéré et dispensé de ses obligations militaires. Après la Libération, on l’accuse à tort de collaboration, alors qu’il a accueilli et protégé du nazisme chez lui des personnes pendant la guerre. Il est arrêté et incarcéré le 9 septembre 1944. Il n’est pas inculpé, mais assigné à résidence huit mois. Puis il est inscrit sur la Liste noire par le Comité des écrivains, dominé à l’époque par les communistes, et ne peut plus publier ses œuvres durant trois ans. Dès lors, et jusqu’à la fin de sa vie, son style romanesque devient ironique ; ses récits de plus en plus pessimistes, sombres, violents et sanglants mettent souvent en scène avec un certain esthétisme, des personnages de type aristocratique. (j)

Voici quelques extraits de La Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix (1938) qui, à bien des égards, fait écho à la pensée de Gandhi*, sinon de Thoreau* que Giono a lu. Giono dit que la civilisation industrielle « légitime la soif du profit » en remplaçant le travail par le « jeu » (p135) et le produit de la terre par l’argent : « Vous n’êtes pas obligés, vous autres (les paysans), de passer par l’argent. Vous y passez que parce qu’ils vous ont avilis. (…). Vous pouvez, du jour au lendemain, sans effort, être libres et autonomes. (…) et si vous continuez à dire qu’il est pauvre celui qui, sans argent, a une cave pleine de bon vin, un grenier plein de blé, une resserre pleine de légumes, une étable pleine de moutons (…) le monde autour de lui et le temps libre dans ses deux mains (…) » (39p173), vous vous trompez. « Le plus grand ennemi du paysan c’est l’argent. » (p163) Giono recommande aux paysans de ne pas se laisser entraîner sur le terrain de la violence économique des capitalistes et de l’État : « Ils vous ont tout de suite attirés sur des terrains où ils savent mieux manœuvrer que vous. Ils vous ont imposé leur bataille. Et dans celle-là, ils ne vous craignent pas. » (p148) « Le sort du monde a toujours été entre vos mains, rendez-vous compte. » (p172) « Le but de l’État moderne n’est pas l’homme ; c’est l’État. Dès qu’on travaille pour l’argent (…) on travaille pour l’État. » (p192) Dès lors « Vous n’êtes plus des paysans, vous êtes des joueurs. Voilà pourquoi je dis que vous êtes battus d’avance. »  (p200) Autres propos gandhiens, qui s’ignorent peut-être : « Je vous écris cette lettre surtout pour mettre vos tourments en face des délices de la pauvreté. (…). La pauvreté, c’est l’état de la mesure. Tout est à la portée de vos mains. (…). Donner sa vie à l’État c’est sacrifier le naturel à l’artificiel (…). Plus la guerre dure, plus les lois naturelles de l’homme s’insurgent contre les lois artificielles de l’État. » (p211-212) « Mais je voudrais que vous soyez les premiers à accomplir une révolution d’hommes. (…). Mais, vous voulez le faire par la violence. Je sais que vous avez toutes les excuses de penser à la violence : elle ne fait pas partie de votre nature, on vous l’a apprise, et c’est logique – au fond – que vous vous mettiez soudain à vous en servir contre ceux qui vous ont obligés à l’apprendre. Ce que j’en dis n’est pas pour les protéger ; je les déteste plus que vous. C’est pour que leur défaite soit éternelle ; c’est pour que votre victoire soit éternelle, qu’elle abolisse totalement les temps présents et qu’on ne puisse plus penser à y revenir ». (39p133-134) Voir la citation du chapitre II-1-7, qui demande aux paysannes de détruire leurs récoltes pour s’opposer à l’État dictateur de la guerre. Le film Crésus sorti en 1960, écrit et mis en scène par Jean Giono, est une magnifique apologie de la simplicité heureuse paysanne, de l’inutilité de l’argent et une dénonciation du progrès industriel et des bourgeois.

Note j : Ces premiers éléments sont tirés de la chronologie du livre de Pierre Citron, Giono, éd. Du Seuil, 1995, et ont été complétés par des conférences données lors des Rencontres Giono, sur le thème de la guerre et de la paix, en juillet et août 2008 à Manosque, parues dans la Revue Giono N° 2 en septembre de la même année.

 

Vinoba Bhave est né le 11 septembre 1895 dans une famille de brahmanes cultivés, pieux et prospères de Gagoda dans le Maharastra, non loin de la région natale de Gandhi*. Il est décédé à Paunar en 1982. Vinoba est l’aîné de cinq enfants, qui furent instruits des rites de leurs castes, des sciences et des langues occidentales. Vinoba est l’héritier spirituel de Gandhi*, qui est vénéré comme un saint en Inde. En 1951, il crée le mouvement Boodhan (don de la terre) qui invite les gros propriétaires terriens à céder une partie de leurs possessions aux paysans sans terre. En 1952, il obtient 500 000 hectares sur 750 000 demandés dans l’État du Bihar et 50 000 sont redistribués. Cette même année il lance le Gramdan (don de village) qui ajoute à la redistribution des terres, l’organisation des villages : politiquement avec la création de Conseils de village, économiquement avec les coopératives et aussi l’éducation. Dans le Bihar le quart des villages a rejoint le mouvement. En 1954, il crée Antyodaya (bien-être pour les plus pauvres) qui compte en 1964, 8000 animateurs. Après sa mort, son action s’est poursuivie avec des associations. Leurs programmes sont basés sur l’éveil à la nature et à la non-violence, l’éducation par le jeu, la recherche de l’autonomie et tout ce qui fait l’héritage culturel gandhien. Mais nous sommes encore loin d’avoir atteint la « république des villages » que Gandhi présente dans son livre Sarvodaya. Lanza del Vasto* a publié Vinoba ou Le Nouveau pèlerinage aux sources aux éditions Denoël  en 1954. Vinoba a publié La révolution de la non-violence chez Albin Michel en 1958. (11, 40 & 48p65-66)

 

Lanza del Vasto (Joseph) est né le 29 septembre 1901 en Italie, et est décédé 1981 en Espagne. Il passe un doctorat de philosophie sur « La Trinité de l’Esprit » ; écrivain et poète, il est aussi artiste plasticien et  activiste chrétien non-violent. Après sa rencontre avec Gandhi* en 1937, à son retour de l’Inde, il publie Le Pèlerinage aux sources qui relate son voyage et qui est un succès ; plusieurs autres livres suivront. Il fonde la Communauté de l’Arche sur le modèle des ashrams de Gandhi*. Il est convaincu comme ce dernier, de l’urgence à militer pour le dialogue interreligieux et le réveil spirituel, mais aussi pour l’action écologique et surtout, la non-violence. Voici ses principaux combats non-violents : en 1957, pendant la guerre d’Algérie, il lance avec d’autres personnalités comme le Général de Bollardière*, François Mauriac, Robert Barrat, etc., le mouvement de protestation contre la torture. Il jeûne 21 jours. En 1958, il manifeste contre l’usine nucléaire de Marcoule, qui produit du plutonium pour la bombe atomique. En 1963, il jeûne 40 jours à Rome durant le concile Vatican II, pour demander au pape de prendre position contre la guerre en général. En 1972, il soutient les paysans du Larzac contre l’extension du camp militaire par un jeûne de 15 jours. En 1974, il s’installe avec une communauté dans une ferme achetée par l’armée sur le plateau du Larzac. En 1976, il participe aux manifestations contre le réacteur nucléaire de Creys-Malville.

 

Martin Luther King, le révérend et pasteur baptiste noir américain, est né à Atlanta aux États-Unis le 15 janvier 1929. Il est le fils du révérend Martin Luther King et d’Alberta Williams King. Inspiré par l’œuvre de Gandhi*, King organise et dirige des marches pour le droit de vote, la déségrégation, l’emploi des minorités, et d’autres droits civiques élémentaires pour les Noirs américains. La plupart de ces droits ont été promus par le gouvernement américain. King est assassiné à l’âge de 39 ans.

King entre dans une université réservée aux garçons noirs à l’âge de 15 ans, obtient un diplôme en sociologie et est ordonné pasteur en 1948. Il obtient une licence en théologie en 1951 en Pennsylvanie. Il se marie en 1953 avec Coretta Scott et devient pasteur dans l’Alabama en 1954. Il obtient un doctorat en philosophie en 1955. En décembre de la même année, Rosa Parks* est arrêtée pour avoir violé les lois ségrégationnistes de la ville, en refusant de céder sa place à un homme blanc. King lance le boycott des bus de Montgomery avec l’aide du pasteur Ralph Abernathy et d’Edgar Nixon, directeur local de la National Association for the Advancement of Colored People (NAACP). La population noire, principale cliente de la compagnie d’autobus, soutient le boycott en marchant pour aller travailler et en organisant un système de covoiturage. King est arrêté durant cette campagne qui dure 382 jours. Les manifestants sont souvent l’objet de violences physiques. La maison de King, celle d’Abernathy, ainsi que quatre églises sont attaquées à la bombe incendiaire. Le boycott se termine par une décision de la Cour suprême des États-Unis déclarant illégale la ségrégation dans les autobus, les écoles et les autres lieux publics. En 1957, King est élu président de la Conférence des chrétiens dirigeants du Sud (fondation Southern Christian Leadership Conference ou SCLC), qui participe activement au Mouvement pour les Droits civiques en organisant les églises noires pour conduire des protestations non-violentes ; King parcourt 1,25 million de kilomètres et prononce 208 discours en un an. En 1958, il expose son point de vue sur la ségrégation raciale, dans son livre, La marche vers la liberté (Stride towards Freedom ; the Montgomery Story). En 1959, il écrit La Mesure d’un Homme (The Measure of a Man) qui dépeint une nouvelle structure de société. Une démente le poignarde lors d’une séance de signature, et il échappe à la mort. En 1961, le FBI met King sur écoute, et utilise certains détails enregistrés sur une durée de six ans pour tenter de saboter son rôle de dirigeant. Entre 1956 et 1960, King est arrêté douze fois. Il seconde son père comme pasteur et rencontre le candidat à la présidence John F. Kennedy en 1960. En 1961, King vient conseiller, à Albany en Géorgie, les activistes du Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC), et de la NAACP menée par William G. Anderson, un médecin noir. Il est arrêté lors d’une manifestation pacifique ; suite à son refus de payer la caution pour sortir de prison, il obtient des concessions de la ville, mais les accords passés ne sont pas respectés. En juillet 1962, King revient à Albany, et est condamné à 45 jours de prison ou 178 dollars d’amende. Il choisit la prison et est libéré au bout de 3 jours. Pendant une manifestation, de jeunes noirs jettent des pierres sur la police ; King demande alors un « jour de pénitence ». Malgré la forte mobilisation à Albany, King en tire les conclusions suivantes : « L’erreur que je fis était de protester contre la ségrégation en général plutôt que contre une seule de ses facettes distinctes. (…). Une victoire de ce type aurait été symbolique et aurait galvanisé notre soutien et notre moral (…) ». Le printemps suivant, la ville annule toutes les lois ségrégationnistes. En avril 1963, il participe au mouvement d’« action directe non-violente » et de « tension créatrice » pour protester contre la ségrégation à l’embauche et dans les toilettes des magasins. Durant l’été 1963, King est détenu pour avoir participé à une manifestation non-violente à Birmingham, ville d’Alabama, qui est surnommée « Bombingham » à cause des nombreux attentats raciaux à la bombe dont la communauté noire est victime. C’est là qu’il écrit la célèbre Lettre de la prison de Birmingham (Letter from Birmingham Jail), qui est un traité sur sa lutte contre la ségrégation. King est le dirigeant d’une des six grandes organisations pour les droits civiques, qui organisent la marche sur Washington pour les emplois et la liberté. Il est l’un de ceux qui acceptent le souhait du président John F. Kennedy de changer le message de la marche. Kennedy, qui soutient publiquement King et est intervenu plusieurs fois pour le faire sortir de prison, obtient que le message soit moins radical. Certaines revendications spécifiques demeurent comme par exemple : la fin de la ségrégation raciale dans les écoles publiques, une législation significative sur les droits civiques, la fin de la violence policière contre les activistes des droits civiques, un salaire minimum de deux dollars par jour pour tous les travailleurs sans distinction et un gouvernement indépendant pour Washington. Plus de 250 000 personnes de toutes les ethnies se retrouvent le 28 août 1963 face au Capitole. Le discours « J’ai un rêve » (I have a dream), où King manifeste sa volonté de connaître une Amérique fraternelle, est l’un des meilleurs de l’histoire américaine : « Je rêve que, un jour, sur les rouges collines de Géorgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d’esclaves pourront s’asseoir ensemble à la table de la fraternité. Je rêve que, un jour, l’État du Mississipi lui-même, tout brûlant des feux de l’injustice, tout brûlant des feux de l’oppression, se transformera en oasis de liberté et de justice. Je rêve que (…) ». (38p16) En septembre 1963, un attentat à la bombe du Ku Klux Klan contre une église Baptiste provoque la mort de quatre jeunes filles noires et blesse 22 enfants. L’attaque provoque l’indignation nationale et renforce le mouvement des droits civiques. Une campagne de désobéissance civile est annoncée. Malgré l’arrêt de 1954, qui déclare la ségrégation raciale inconstitutionnelle dans les écoles publiques, seuls six enfants noirs sont admis dans les écoles blanches à Saint Augustine en Floride. Les maisons des familles de ces enfants sont brûlées et les parents des élèves noirs sont renvoyés de leur emploi. En mai et juin 1964, une marche de nuit autour de l’ancien marché aux esclaves est attaquée par des ségrégationnistes. Les centaines d’arrestations font que les détenus ne tiennent pas dans les prisons. Ils sont alors parqués en plein soleil ou jetés à la mer par la police et ses complices. Un groupe de manifestants noirs et blancs se jettent dans la piscine d’un motel interdite aux noirs. La photographie d’un policier plongeant pour arrêter un manifestant et celle du propriétaire du motel versant de l’acide dans la piscine pour faire sortir les activistes firent le tour du monde et servirent même aux États communistes pour discréditer le discours de liberté des États-Unis. Les manifestants endurent les violences physiques et verbales sans riposter, ce qui entraîne un mouvement de sympathie nationale et aide au vote du Civil Rights Act. Cette même année paraît son livre Pourquoi nous ne pouvons pas attendre (Why We Can’t Wait). Le 14 octobre 1964, King devient le plus jeune lauréat du Prix Nobel de la paix, et il reçoit le Prix le 10 décembre 1964. En janvier 1965, il s’inscrit sur les listes électorales à Selma en Alabama, où la moitié des habitants de la ville est noire, mais où 1 % d’entre eux seulement a pu s’inscrire sur les listes électorales. En mars 1965, six cents défenseurs des droits civiques entament une marche pacifique et quittent Selma pour rejoindre Montgomery, la capitale de l’État. Ils sont arrêtés au bout de quelques kilomètres par la police et une foule hostile, qui les repoussent violemment à coup de matraques et de gaz lacrymogène. 3200 marcheurs partent finalement de Selma le dimanche 21 mars 1965, parcourant 20 km par jour et dormant dans les champs. Le 25 mars, les marcheurs sont 25 000 devant le Capitole de Montgomery. King fait alors le discours « Combien de Temps, peu de Temps » (How Long, Not Long). Ce même jour, la militante blanche des droits civiques, Viola Liuzzo est assassinée par le Ku Klux Klan alors qu’elle ramène des marcheurs dans sa voiture. En 1965, interviewé par Alex Haley, King déclare que si le gouvernement américain donnait seulement l’égalité, les mêmes droits aux Noirs qu’aux Blancs, cela ne supprimerait pas l’écart de revenu entre les noirs et les blancs. Sans aller jusqu’à demander une restitution complète des salaires jamais payés lors de l’esclavage, King demande au gouvernement 50 milliards de dollars sur dix ans pour tous les groupes désavantagés. En 1966, après les succès dans le sud des États-Unis, King et d’autres organisations de défense des droits civiques essaient d’étendre le mouvement vers le nord. King et Abernathy déménagent vers les bidonvilles de Chicago. La SCLC forme une alliance avec la CCCO (Coordinating Council of Community Organizations) et avec le CFM (Chicago Freedom Movement). Des tests révèlent que la sélection des couples, qui postulent pour un logement dans certaines sociétés immobilières, est basée sur la couleur de peau. Plusieurs grandes marches pacifiques sont organisées dans Chicago. King et Abernathy sont reçus par une foule haineuse. Ils obtiennent des accords, mais ils sont annulés par des politiciens corrompus. Abernathy quitte secrètement le bidonville ; King reste et écrit le sacrifice que cela représente pour sa femme et ses enfants. En 1965, King conteste la guerre du Viêt Nam. Le 4 avril 1967, il fait à New York le discours « Au-delà du Viêt Nam : le moment de briser le silence ». King propose, pour le Prix Nobel de la paix en 1967, le moine bouddhiste et pacifiste vietnamien Thich Nhat Hanh,  qui lutte pour l’arrêt du conflit. King questionne « notre alliance avec les propriétaires terriens de l’Amérique latine » et demande pourquoi les États-Unis répriment au lieu de soutenir les révolutions des «peuples pieds nus et sans chemise» du Tiers-Monde. King rejette le communisme soviétique à cause « de son interprétation matérialiste de l’histoire » qui nie la religion, son « relativisme ethnique » et son «totalitarisme politique». En 1968, King et le SCLC organisent la «Campagne des pauvres» en faveur de la justice économique. King traverse l’Amérique pour rassembler une « armée multiraciale des pauvres » pour marcher sur Washington et engager une désobéissance civile pacifique au Capitole, jusqu’à ce que le Congrès signe une Déclaration des droits de l’Homme du Pauvre. Le Reader’s Digest parle alors d’une « insurrection ». Fin mars 1968, King va à Memphis dans le Tennessee pour soutenir les éboueurs noirs. Des violences éclatent autour des marches pacifiques. Le 4 avril 1968, Martin Luther King est assassiné par un ségrégationniste blanc à Memphis. L’assassinat provoque des émeutes raciales dans 60 villes des États-Unis, qui font de nombreux morts. Cinq jours plus tard, le président Johnson déclare un jour de deuil national ; 300 000 personnes assistent aux funérailles. (14 & 38)

 

Rosa Parks est née le 4 février 1913 dans l’Alabama et est décédée le 24 octobre 2005 à Detroit dans le Michigan. Rosa Parks, qui est couturière, et son mari Raymond, qui est barbier, militent à la NAACP, dont le jeune pasteur King* est le responsable local. Le 1er décembre 1955, Rosa Parks rentre de son travail et monte s’asseoir dans le bus conformément aux règles ségrégationnistes du comté de Montgomery dans l’Alabama : les quatre premiers rangs des bus sont réservés aux Blancs et ceux du fond aux Noirs. Ceux-ci ont aussi le droit de s’asseoir sur les rangées du milieu, mais doivent céder leur place si un Blanc la demande. Rosa Parks s’assoit sur la première rangée du milieu à côté d’autres Noirs. Quelques arrêts plus loin, plusieurs Blancs montent dans le bus et l’un d’entre eux se retrouve debout. Le chauffeur demande aux Noirs de céder leur place. Trois d’entre eux acceptent, mais Rosa Parks refuse ; la police est appelée. Un mouvement de soutien s’organise autour de Rosa Parks, et King* prend la tête du mouvement. Elle accepte que son procès serve d’exemple et est condamnée. Elle fait appel, et après un an de lutte non-violente, la Cour suprême annule les lois ségrégationnistes en cause. Rosa Parks est surnommée « la mère du mouvement des droits civiques ». Lassée de voir les maisons de ses partisans incendiées et de recevoir des coups de téléphone anonymes, elle part s’installer à Detroit où elle exerce son métier de couturière, avant de travailler au bureau du député du Michigan, John Conyers. Elle n’a pas suivi King* dans sa croisade des années 1960, mais elle a participé à quelques marches. (33 & 38p31)

 

Jacques Pâris de Bollardière est né le 16 décembre 1907 à Châteaubriant en Loire-Atlantique et est mort le 22 février 1986 à Guidel dans le Morbihan. Il étudie à La Flèche et à Saint-Cyr. En 1935, il s’engage dans la Légion étrangère. En 1940, il prend part à la campagne de Norvège. Débarqué à Brest le 13 juin, il assiste à la débâcle et il rejoint Londres, et se rallie aux Forces françaises libres. Le régime de Vichy le condamne à mort. Il commande les troupes aéroportées en Indochine de 1950 à 1953. Affecté au Centre des hautes études militaires en 1953, puis à l’École de guerre, il prend la tête de deux brigades en Algérie en juillet 1956. En décembre de la même année, il devient le plus jeune général de l’armée française. Il est le seul officier supérieur à avoir dénoncé publiquement la pratique de la torture en Algérie. Sa prise de position lui vaut soixante jours de forteresse. Il soutient le journaliste Jean-Jacques Servan-Schreiber qui dénonce les mêmes pratiques. Il devient un membre actif du Mouvement pour une alternative non-violente (MAN) avec sa femme. Il participe au mouvement de défense du Larzac menacé par l’extension d’un camp militaire. Il est arrêté sur son voilier au large de Mururoa le 17 juillet 1973, alors qu’il manifeste de façon non-violente contre les essais nucléaires de la France. Le « commando Bollardière » est composé de Jean Toulat, Jean-Marie Muller et Brice Lalonde. De Bollardière est également un théoricien de la défense civile non-violente ; ses convictions sont indissociables de sa foi chrétienne. Je ne cautionne pas ici le militarisme. Je salue l’engagement d’un homme d’honneur, qui a lutté courageusement pour la défense des Droits de l’Homme. (14 & La revue Alternatives Non-Violentes, n° 129/120 de 2001)

 

L’abbé Pierre est le nom de résistant du prêtre Henri Grouès, qui est né le 5 août 1912 à Lyon et décédé le 22 janvier 2007 à l’hôpital du Val-de-Grâce à Paris. L’abbé Pierre a consacré toute sa vie à son engagement contre les injustices qui frappent les sans-logis et les déshérités. En 1931, il renonce à son héritage familial et distribue ce qu’il possède à diverses œuvres de charité et entre chez les Capucins, où il devient frère Philippe. À partir de 1932, il entre au couvent de Crest où il passe sept années d’austérité et est ordonné prêtre en août 1938. En avril 1939, il devient vicaire à la Basilique Saint-Joseph de Grenoble. En 1941, dès le lendemain de la rafle du Vel’d’Hiv à Paris et d’une rafle similaire à Grenoble, il accueille des juifs rescapés en zone libre et apprend à faire de faux papiers. Dès août 1942, il commence à faire passer des juifs en Suisse et participe à la Résistance. Il crée des maquis, qui deviennent une partie de « l’Armée du Vercors ». La Gestapo le recherche et en mai 1943 il est arrêté dans les Pyrénées. Il s’évade et rejoint Alger où il rencontre le Général de Gaulle. Il est Aumônier de la Marine sur le Jean Bart à Casablanca. Il reçoit la Croix de guerre avec palmes à la Libération. Sur les conseils du Général et l’approbation de l’archevêque de Paris, il est député de Meurthe-et-Moselle de 1945 à 1951, puis président du Comité exécutif du Mouvement universel pour une Confédération mondiale. En 1948, il rencontre Albert Einstein à l’Université de Princeton aux États-Unis, pour s’entretenir avec lui des premières bombes atomiques lancées sur le Japon et demander avec lui la fondation d’un mouvement international pour le désarmement et la paix dans le monde. En 1949, avec le député André Philippe, il dépose un projet de loi en faveur de l’objection de conscience. Il entreprend la construction, illégale le plus souvent, de logements pour des familles sans abri et accueille chez lui un homme désespéré : cet événement marque la fondation de la première communauté Emmaüs à Neuilly-Plaisance. Cette communauté laïque de chiffonniers est constituée d’anciens sans-logis, de tous âges et origines, qui réparent et revendent des matériels et des objets de récupération pour financer la construction de nouveaux logements. Début 1954, une femme puis un bébé meurent de froid. Le premier février frère Philippe reprend son nom d’ancien résistant, l’abbé Pierre, pour partir en croisade contre la misère et lance un appel mémorable sur les ondes radio. La presse titre « L’insurrection de la bonté ». L’appel rapporte une somme énorme et inattendue. Durant ce terrible hiver, l’abbé Pierre demande au Parlement un milliard de francs. Trois semaines plus tard, le Parlement adopte à l’unanimité dix milliards de crédit pour réaliser immédiatement douze mille logements d’urgence. Il fonde la revue « Faims et Soifs », la S.A. HLM Emmaüs, l’Union nationale d’aide aux sans-logis, qui devient la Confédération générale du Logement (association de locataires), ainsi que l’Association Emmaüs de Paris. En 1955, il remet au président américain Eisenhower un exemplaire de son livre « Les chiffonniers d’Emmaüs ». Il dépêche deux missionnaires chez le roi du Maroc, Mohammed V, pour trouver des solutions aux bidonvilles en favorisant le logement rural. En 1956, il fait de nombreuses rencontres internationales, dont celle du président tunisien Habib Bourguiba pour le convaincre de parvenir à l’indépendance de la Tunisie sans violence. Il se rend aux Pays-Bas, au Portugal, en Autriche, en Inde, en Suisse, au Maroc. Il rencontre le Premier ministre indien Nehru avec Indira Gandhi, et le sage indien Vinoba Bhave* pour soutenir sa marche agraire non-violente. En 1958-1959, il fait des conférences dans les pays scandinaves et d’Amérique du Sud. Le ministre de l’Éducation nationale du Pérou fait appel à lui pour développer l’éducation des populations pauvres. Le père Camillo Tores en Colombie lui demande conseil sur la position de l’Église colombienne, qui renie l’action des prêtres ouvriers. Il rencontre l’évêque des Indiens en Équateur pour lui demander de freiner la construction de lieux de cultes somptueux dans des quartiers déshérités. En 1959 au Liban, il crée à Beyrouth la première communauté d’Emmaüs multiconfessionnelle, fondée par un musulman sunnite, un archevêque chrétien melkite et un écrivain maronite. Le Manifeste universel du Mouvement Emmaüs est adopté à la première assemblée générale d’Emmaüs International qui se tient en 1969 à Berne (Suisse). En 1971, il est appelé en Inde par Jayaprakam Narayan pour représenter la France avec la Ligue des Droits de l’Homme au sujet des réfugiés. Indira Gandhi l’invite à son tour pour traiter des réfugiés bengalis. L’abbé Pierre s’engage en fondant des communautés Emmaüs au Bangladesh. En 1984, il lance la Banque Alimentaire en France avec Emmaüs, le Secours catholique et l’Armée du Salut. En 1983, il parle avec le président Sandro Pertini en faveur de Vanni Mulinaris, le mari de sa nièce, qui dirige l’institut de langues Hyperion à Paris, et qui est accusé d’être membre des Brigades rouges et emprisonné ; il est libéré. Du 26 mai au 3 juin 1984, il fait une grève de la faim dans la cathédrale de Turin pour protester contre les conditions de détention des membres des Brigades rouges. L’abbé Pierre aurait également convaincu François Mitterrand d’accorder l’asile aux réfugiés politiques italiens des Brigades rouges, en promettant de ne pas extrader ceux qui ont rompu avec leur passé. En 1985, il apporte son soutien au comique Coluche*, qui lance le 26 septembre 1985 sur les ondes radio, comme lui, 31 ans auparavant, un appel pour venir en aide aux affamés. La réponse publique à ce projet est inespérée, et Coluche*, avec le soutien des associations caritatives et de nombreuses personnalités, lance le mouvement des Restos du Cœur. Et la Fondation Abbé Pierre bénéficie de la loi Coluche* votée après sa mort. L’abbé Pierre célèbre les obsèques de Coluche* en 1986, et constitue Emmaüs France. En 1988, il crée la Fondation Abbé Pierre pour le logement des Défavorisés, et rencontre les représentants du Fonds monétaire international pour trouver une solution à la dette extérieure des pays du Tiers-Monde. Durant la Pentecôte de 1991, il jeûne à l’église Saint-Joseph de Paris, avec les « déboutés du droit d’asile » qui font une grève de la faim. En 1991, il s’adresse aux présidents George Bush et Saddam Hussein, lors de la première guerre du Golfe. Il exhorte le gouvernement français à prendre des initiatives pour répartir la charge des réfugiés dans le monde, par un organisme disposant de plus de moyens que le HCR de l’ONU, qui attend le bon vouloir des nations. Il rencontre le Dalaï-Lama lors des journées interreligieuses pour la paix. En 1995, à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine), sous les bombardements de la ville assiégée depuis trois ans par les forces serbes, il exhorte les nations du monde à intervenir d’urgence pour faire cesser les massacres. En 2004, il se rend en Algérie pour l’inauguration de maisons reconstruites par la Fondation Abbé Pierre, après le tremblement de terre ayant frappé le pays l’année précédente.

L’abbé Pierre a refusé de monter dans la hiérarchie de l’Église pour rester près des pauvres. Il s’est opposé à elle bien des fois ; par exemple : il était en faveur de l’ordination des hommes mariés, de l’ordination des femmes, de l’homoparentalité et du préservatif. Il a reçu de nombreuses distinctions françaises et étrangères. Pour Pierre Bourdieu, l’abbé Pierre est un prophète « surgissant en temps de disette, de crise » et « prenant la parole avec véhémence et indignation. » Le 22 janvier 2008, pour le premier anniversaire de la mort de l’abbé Pierre, France-Inter précisait que deux cents personnes étaient mortes dans la rue en 2007 en France. (14 & 21)

 

Nelson Rolihlahla Mandela est né le 18 juillet 1918 dans la province du Cap en Afrique du Sud. Il devient avocat et l’un des dirigeants de la lutte non-violente, puis violente contre l’apartheid. En 1942, Mandela rejoint le Congrès national africain (ANC), membre de l’Internationale socialiste, afin de lutter contre la domination politique de la minorité blanche. En 1944, avec Walter Sisulu et Oliver Tambo, il fonde la  dynamique ligue de jeunesse de l’ANC. Aux élections générales de 1948, la victoire du Parti National Afrikaner entraîne la mise en place de l’apartheid. En 1952, il monte la campagne de défiance contre le gouvernement de Daniel Malan. En 1955, Mandela participe à la rédaction de la Charte de la liberté dont le programme fondamental est la lutte contre la ségrégation raciale et l’apartheid. À cette époque, Mandela et Tambo, associés au sein de leur cabinet, prodiguent des conseils juridiques gratuits aux Noirs les plus pauvres. Le 5 décembre 1956, Mandela et 150 autres personnes sont arrêtés et accusés de trahison, et sont tous acquittés en 1961. Après le massacre de Sharpeville où il y a eu 79 morts et 178 blessés en 1960, l’ANC et le Congrès panafricain sont interdits, ses chefs emprisonnés ou assignés à résidence. Mandela est emprisonné en 1962, puis condamné à cinq ans de prison. La stratégie non-violente de l’ANC est abandonnée par Mandela qui fonde Umkhonto we Sizwe, réseau prônant l’action armée. En 1963, et après un procès où il conteste la justice d’apartheid, Mandela est condamné à la détention à perpétuité en 1964 en raison de ses activités politiques clandestines. Il devient au fil des années le plus célèbre et l’un des plus anciens prisonniers politiques. En 1979, il reçoit le Prix Nehru pour la Paix. Le 7 décembre 1988, il est mis en résidence surveillée. Il est définitivement libéré le 11 février 1990 sur ordre du président Frederik De Klerk qui, pour des raisons politiques, met fin à la clandestinité de l’ANC. De Klerk le sollicite pour maintenir la paix civile en Afrique du Sud. Les lois sur l’apartheid sont abolies en juin 1991, et Mandela devient président de l’ANC le mois suivant. Les deux hommes travaillent ensemble pour instaurer la fin de l’apartheid et un régime de transition, et reçoivent le Prix Nobel de la paix en 1993. Les premières élections démocratiques en avril 1994 sont largement remportées par l’ANC, et Nelson Mandela est élu président de la République d’Afrique du Sud. En 1999, Thabo Mbeki lui succède à la présidence de la République. Mandela crée la Fondation Nelson Mandela. (14, 40 & divers sites)

 

Albert Jacquard, né à Lyon le 23 décembre 1925, est un chercheur spécialiste de la génétique des populations. Il est aussi essayiste et l’auteur de plusieurs ouvrages de vulgarisation et de réflexion, notamment l’Éloge de la différence (1978). Il a décidé d’arrêter ses travaux en génétique et de se prononcer contre l’exploitation à des fins commerciales du génome humain et le brevetage généralisé du vivant. Il s’engage pour la défense des plus démunis et a milité notamment aux côtés de l’abbé Pierre*. (14 & 40)

 

César Estrada Chavez, à ne pas confondre avec Hugo Chavez, syndicaliste devenu Président du Venezuela, est un brillant syndicaliste paysan américain de Californie. Il est né le 31 mars 1927 en Arizona de parents fermiers d’origine mexicaine et est décédé le 23 avril 1993. Chavez, qui commence à travailler à l’âge de 10 ans, dit : « Nous ne sommes pas non-violents parce que nous voulons sauver notre âme. Nous sommes non-violents parce que nous voulons obtenir la justice sociale pour les ouvriers. Qu’importe aux pauvres que l’on construise d’étranges philosophies de non-violence, si cela ne leur donne pas de pain ». En 1944, il s’engage dans la marine ; en 1952, il milite dans l’Organisation des services communautaires de Saul Alinsky, un activiste qui a lutté pour les droits civiques des pauvres, et qui a écrit le Manuel de l’animateur social, publié en 1971 ; en 1962, il adhère à l’Association nationale des agriculteurs et finit par fonder le syndicat l’UFW. À deux reprises au cours des années 1960-1970, il appelle au boycottage du raisin de Californie pour protester contre l’utilisation des pesticides qui provoquaient des cancers, dont de nombreux enfants travailleurs ont été victimes. En 1988, défendant la même cause, il entame sa troisième et plus longue grève de la faim, qui dure trente-six jours. En 1966, il appuie avec l’UFW une grève qui fut marquée par une marche de 500 kilomètres entre Delano et Sacramento. Les travailleurs en lutte arrachèrent à l’une des deux plus grandes firmes agricoles californiennes le droit d’association. En 1968, César Chavez observe vingt-sept jours de grève de la faim « pour dénoncer la souffrance et la douleur des travailleurs agricoles ». En 1972, il jeûne durant vingt-quatre jours pour faire abolir une loi antisyndicale. Avant sa mort, César Chavez a la satisfaction de voir se créer une radio de l’UFW en langue espagnole et de remettre, pour la première fois, des chèques de retraite aux adhérents du syndicat qu’il a fondé. (23)

 

Pierre Rabhi est né en 1938 à Kenadsa près de Béchar, dans une oasis du sud algérien colonisé par la France. Sa mère meurt quatre ans après sa naissance, et un an plus tard, son père, forgeron, musicien et poète, confie son éducation à un couple de Français, une institutrice et un ingénieur qui travaillent à la Compagnie des Houillères de son village algérien. En 1954, quand la guerre d’Algérie éclate, Pierre Rabhi est rejeté par son père biologique, parce qu’il a quitté l’islam pour le christianisme, et par son père adoptif avec qui il ne s’entend pas. Il part à Paris, devient ouvrier en usine où il souffre du productivisme. Il épouse une ouvrière et ils ont cinq enfants. En 1960, le couple s’installe en Ardèche. Pierre dit : « La politique n’est pas l’affaire des politiciens, c’est ce qu’on applique à soi-même. Quitter la ville pour revenir à la terre, c’est un acte de résistance fondé sur la recherche d’une autre voie ». Pierre s’inscrit dans une Maison familiale rurale et obtient un diplôme d’ouvrier agricole. Il s’élève contre l’agriculture intensive qui applique des méthodes productivistes. Il dit : « Nous avons l’illusion d’être maîtres de nos outils alors que nous sommes de plus en plus à leur service. La prise de pouvoir de la technologie sur l’humanité est effrayante ». En 1963, il se lance dans l’élevage caprin en Ardèche, sur une terre aride et rocailleuse, et devient pionnier de l’agroécologie. Il développe ses méthodes et forme des stagiaires dans sa ferme. En 1978, il est chargé de formation à l’agroécologie par le CEFRA (Centre d’études et de formation rurales appliquées). En 1981, il commence à transmettre son expérience et met au point divers programmes de formation en France, en Europe et en Afrique. Sur l’invitation du Burkina Faso, il organise le premier programme d’agroécologie pour les paysans confrontés aux sécheresses et à la cherté des engrais et des pesticides. En 1985, il crée le premier centre africain de formation à l’agroécologie de Gorom Gorom, avec l’appui de l’association Le Point-Mulhouse. En 1988-1989, il fonde le Carrefour International d’Échanges de Pratiques appliquées au Développement (CIEPAD) avec l’appui du Conseil général de l’Hérault. Il met en place un « module optimisé d’installation agricole », de programmes de sensibilisation et de formation et lance de nombreuses actions de développement à l’étranger (Maroc, Palestine, Algérie, Tunisie, Sénégal, Togo, Bénin, Mauritanie, Pologne, Ukraine…). Il est reconnu expert international pour la sécurité alimentaire et la lutte contre la désertification, et participe à des programmes à l’échelle mondiale y compris sous l’égide des Nations-Unies. En 1992, il lance le programme de réhabilitation de l’oasis de Chenini-Gabès en Tunisie. Depuis 1994, il anime le mouvement «Oasis en tous lieux » qui promeut le retour à la terre, des pratiques agricoles écologiques pour tous et le lien social. En 1997-1998, Pierre Rabhi intervient à la demande de l’ONU dans le cadre de l’élaboration de la Convention de lutte Contre la Désertification (CCD). En 1999-2001, il crée l’association Terre & Humanisme pour la transmission de l’éthique et de la pratique agroécologique. Le Mas de Beaulieu en Ardèche devient la base logistique de ses activités et un lieu de démonstration, d’expérimentation et de formation. Il lance de nouvelles actions de développement au Niger, au Mali et au Maroc. En 2002, encouragé par des amis et de nombreux écologistes, il se lance dans la candidature à la présidentielle. Il veut replacer l’Homme et la Nature au cœur de la logique politico-économique. Plus de 80 comités départementaux de soutien dits « les colibris » ou « comité Pierre Rabhi » se forment (appelés comités pour « l’Insurrection des Consciences » depuis quelques années). Mais il n’obtient pas les 500 signatures utiles. Il anime toujours des conférences ou des ateliers sur les thèmes de la sobriété heureuse et de la décroissance soutenable. Il était l’invité du Forum Social Européen où il a fait un exposé intitulé « Donner une âme à la mondialisation ». En 2004, il crée un centre pédagogique de l’agroécologie à la Roche/Grâne dans la Drôme. Auteur de plusieurs livres, philosophe et conférencier, Pierre Rabhi appelle à « l’insurrection des consciences » pour fédérer ce que l’humanité a de meilleur et cesser de faire de notre planète-paradis un enfer de souffrance et de destruction. Il nous invite à sortir du mythe de la croissance indéfinie, à réaliser l’importance vitale de notre terre nourricière et à inaugurer une nouvelle éthique de vie vers une «sobriété heureuse». Il a fait partie du comité éditorial du journal La Décroissance. Yehudi Menuhin a dit de lui : « De ses propres mains, Pierre Rabhi a transmis la Vie au sable du désert… Cet homme très simplement saint, d’un esprit net et clair, dont la beauté poétique du langage révèle une ardente passion, a fécondé des terres poussiéreuses avec sa sueur, par un travail qui rétablit la chaîne de vie que nous interrompons continuellement ». Pierre Rabhi a dit : « Les problèmes fondamentaux sont en réalité les relations de l’humain avec lui-même, les relations de l’humain à l’autre et à la nature. L’écologie doit commencer par nous. Tant que nous ne changerons pas de logique, rien ne changera. Le seul projet durable consiste à développer la compassion et l’amour entre les hommes ». Pierre Rabhi est vice-président de l’association Kokopelli qui œuvre à la protection de la biodiversité et à la production et distribution de semences issues de l’agriculture biologique et biodynamique. (14)

 

Coluche est le nom d’artiste de Michel Colucci, né le 28 octobre 1944 à Paris, dans une famille d’immigrés italiens. Son père décède quand il a 3 ans. En 1958, Michel obtient son certificat d’études. Ensuite il exerce des métiers divers : télégraphe, photographe, garçon de café, marchand de légumes, manutentionnaire, etc. Libéré du service militaire, il travaille comme fleuriste sur les quais, et chante devant les terrasses de café des airs de Vian, Brassens, Ferré ou encore de Bobby Lapointe. Entré comme plongeur dans un cabaret où se produisent Moustaki et Le Forestier, il en devient vite le directeur artistique et hérite de son nom de scène « Coluche ». À partir de 1974, Coluche réalise ses premiers spectacles en solo et acquiert la notoriété. Il utilise son humour décapant pour remettre en question la morale, la religion, la politique et tous les travers de la société. En octobre 1980, Coluche annonce sa candidature à l’élection présidentielle : « Je veux être le candidat des minorités. Et les minorités ajoutées les unes aux autres, ça fait quoi ? Je vous le donne en mille Émile ! Ça fait la majorité ! » Le 14 décembre 1980, les résultats d’un sondage le créditent de 16 % d’intentions de vote. Coluche se retrouve dès lors interdit d’antenne et boycotté par les médias. Après l’assassinat de son régisseur René Gorlin et des menaces de mort, le 7 avril 1981, il se retire de la campagne électorale. En 1984, il reçoit le César du meilleur acteur. En 1985, révolté par la détresse de ceux qui souffrent de la précarité, Coluche se lance dans l’humanitaire. Dans le but de donner des repas aux sans logis pendant les mois d’hiver, il présente son projet des « Restos du Cœur » sur l’antenne d’Europe Un. Jean-Jacques Goldman accepte d’écrire la chanson des Restos, qui devient un tube. Le 26 janvier 1986, son émission en faveur des Restos du Cœur récolte 26 millions de francs. 20 ans après le lancement, 70 millions de repas sont  distribués en France, durant l’hiver 2005/2006 par les Restos du Cœur. Coluche offre un million de francs à Emmaüs quelques mois avant sa mort, qui survient le 19 juin 1986, à Opio, dans le sud de la France ; au volant de sa moto, il percute un camion et est tué sur le coup. (annuaire-celebrite.com ; jesuismort.com ;monsieur-biographie.com ; restosducoeur.org)

 

José Bové (Joseph) est un altermondialiste antilibéral, vrai modèle de la désobéissance civile. Il se décrit comme étant un « anarcho-syndicaliste » qui « adhère à l’Évangile comme grille de lecture et d’engagement dans le monde ». Bové est né à Talence en Gironde le 11 juin 1953. Sa mère est professeur de sciences naturelles et son père est ingénieur agronome, ex-directeur de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) et défenseur de la recherche transgénique, contrairement au plus connu de ses trois fils. De 1956 à 1959, la famille Bové vit en Californie, où les parents travaillent dans un laboratoire de recherches. En 1968, José est exclu d’un établissement scolaire catholique. En 1970, après son baccalauréat section économique et Hypokhâgne, il fait des études de philosophie. Il commence à militer dans les mouvements pacifistes et antimilitaristes qui s’opposent à la Guerre du Vietnam. Réfractaire au service militaire, il est recherché par la police. En 1971, il rencontre sa compagne dans des manifestations antimilitaristes, qui est une étudiante proche des mouvements chrétiens ouvriers. En 1973-1974, après un voyage en Inde, le couple fréquente la Communauté de l’Arche, fondée par Lanza del Vasto*, sur les contreforts du Plateau du Larzac dans le Massif central. Bové participe aux premiers rassemblements contre l’extension d’un camp militaire dans le Larzac. En 1976, il s’installe avec sa femme et sa fille dans une ferme abandonnée sans électricité ni eau courante, dans le hameau de Montredon (Larzac), où il élève des moutons. Il fait son premier séjour en prison pour avoir détruit des documents dans le camp militaire obtenu par expropriation. Il s’engage activement dans les luttes antimilitaristes jusqu’à la victoire de la gauche à l’élection présidentielle de 1981. L’armée abandonne alors l’expropriation des terres paysannes et décide de louer des terrains. En 1982, il adhère au syndicat des Paysans Travailleurs et co-fonde la Confédération paysanne en 1987, dont il devient le porte-parole en 2000. Les premières actions du syndicat consistent à demander l’arrêt de la production de farine animale au Royaume-Uni. En septembre 1995, Bové et des membres du Comité antinucléaire de Millau-Larzac s’opposent à la reprise des essais nucléaires à Mururoa, en Polynésie française. En 1998, il arrache avec d’autres « faucheurs volontaires » des plans de maïs transgénique (OGM) expérimentés en plein champ. Il est l’un des fondateurs de l’association Attac (Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyennes et citoyens), qui est pour un capitalisme plus respectueux. Le 12 août 1999, il participe au démontage d’un fast-food McDonald’s en construction à Millau, pour protester contre une surtaxe douanière imposée par les États-Unis sur des produits français (dont le Roquefort), à la suite du refus européen d’importer de la viande aux hormones. Il se livre à la justice quelques jours plus tard, devant les caméras et les photographes. Il devient aussitôt célèbre, et le chantre de la lutte contre la « malbouffe ». Il participe aux manifestations altermondialistes de Seattle en marge du sommet de l’OMC, pour dénoncer la mondialisation libérale, un Roquefort à la main. En janvier 2001, il prend part au premier Forum social mondial à Porto Alegre au Brésil, et mène une action locale anti-OGM contre la société Monsanto productrice de semences transgéniques. Il manifeste à Gênes, en marge du sommet du G8, aux côtés de militants altermondialistes. En mars 2002, il se rend à Ramallah dans les territoires occupés, avec une délégation de Via Campesina (une internationale de syndicats qui regroupe soixante millions de paysans), pour servir de bouclier humain, alors que l’armée israélienne menace de tirer au canon sur le quartier général de Yasser Arafat. Bové est arrêté et emprisonné deux jours, puis expulsé. Condamné pour avoir fauché du riz et du colza transgéniques, le 19 juin, il rejoint la prison de Villeneuve-lès-Maguelonne dans l’Hérault avec une escorte de tracteurs et de paysans, sous les yeux des journalistes ; une scène historique de la lutte paysanne. Le 26 février 2003, la cour d’appel de Montpellier le condamne à dix mois de prison pour ses actes de désobéissance civile. En juin, il est incarcéré pendant 41 jours. Le président Jacques Chirac lui accorde deux mois de réduction de peine, qui s’ajoutent aux deux mois remis au titre de la grâce collective du 14 juillet. Après sa démission en avril 2004 de son rôle de porte-parole de la Confédération paysanne, il devient celui de la Via Campesina en juin. Il anime une campagne internationale visant à faire reconnaître la souveraineté alimentaire comme un nouveau droit de l’Homme. En 2005, José Bové participe à la campagne du « Non » au traité constitutionnel européen. En janvier 2006, il se propose d’être le candidat de l’union à l’élection présidentielle de 2007, à la gauche du Parti socialiste. Plusieurs candidats sont en lice ; Marie-Georges Buffet, secrétaire du PC, est élue. Bové se retire de la course présidentielle fin novembre. Mais certains antilibéraux n’acceptent pas la candidate élue. Le 1er février 2007, suite à une pétition signée en sa faveur, Bové annonce sa candidature définitive. Sur ces entrefaites, le 7 février, la Cour de cassation le condamne à quatre mois de prison ferme pour arrachage d’OGM en juillet 2004. Malgré cela, et en dépit d’une candidature très tardive et des votes « utiles » pour les partis dominants, José Bové obtient 1,3 % ou 380 000 voix, et retourne provisoirement à ses moutons et à ses actions internationales. Le mouvement antilibéral unitaire s’est poursuivi sous le nom « Gauche Alternative » pour les élections législatives de 2007. En mars 2008, à Saintes en Charente-Maritime, ville de 26 000 habitants, la liste « Gauche Alternative » fait campagne pour les municipales, et obtient 6,65 % des voix. Certaines grandes villes, comme Toulouse, obtiennent plus de 10 % des voix, preuve que les idées altermondialistes bovéistes progressent. (14, lepoint.fr, josebove.mes-biographies.com et divers)

 

Liste des Prix Nobel de la Paix qui ont mené des luttes non-violentes

Jacques Semelin précise : « Après Gandhi*, d’autres combats non-violents ont vu le jour sur d’autres continents. La liste des Prix Nobel de la Paix, attribués depuis les années cinquante à certains de ceux qui ont engagé leur propre résistance dans une dynamique non-violente, est un bon indicateur de cette propagation » : Albert Luthuli (1898-1967), chef zoulou dirigeant de l’ANC de 1952 à 1960, lutte de manière inflexible et toujours non-violente contre l’apartheid en Afrique du Sud ; il reçoit le Prix Nobel en 1960 – Martin Luther King* (1929-1968) s’engage en faveur des droits civiques des Noirs nord-américains et reçoit le Nobel en 1964 – Andreï Sakharov (1921-1989), physicien soviétique qui collabora à la bombe H, membre de l’Académie des sciences d’URSS, militant des Droits de l’Homme considéré comme dissident, est assigné à résidence à Gorki de 1980 à 1986 et réhabilité en 1988 ; il reçoit le Nobel en 1975 – Mairead Corrigan, née en 1944 à Belfast, prend la tête du Mouvement des femmes pour la paix en Irlande du Nord en 1976 ; elle reçoit le Prix Nobel la même année – L’Argentin Adolfo Perez Esquivel né en 1931, secrétaire du mouvement Paix et justice en Amérique latine depuis 1974, milite pour la défense des Droits de l’Homme en Amérique du Sud et reçoit le Prix Nobel en 1980 – Lech Walesa, né en 1943, est un catholique militant polonais et un symbole de la résistance au pouvoir communiste soviétique. Président du syndicat Solidarité en 1981 qui entre en clandestinité en 1982, Walesa reçoit le Prix Nobel la même année, et est président de la République polonaise de 1990 à 1995 – Le Dalaï-Lama Tenzin Gyatso né en 1935, dénonçant l’occupation chinoise au Tibet, reçoit le Prix Nobel en 1989 – Aung San Suu Kyi, dirigeante de l’opposition démocratique en Birmanie, le reçoit en 1991 – Rigoberta Menchu née en 1960 dans le Quiché au Guatemala, exilée au Mexique après le massacre d’une partie de sa famille par l’armée, devient chef du Mouvement de défense des Indiens du Guatemala ; elle incarne la résistance du peuple maya face au pouvoir des Ladinos de culture espagnole et aux grands propriétaires terriens : elle reçoit le Prix Nobel en 1992 – Nelson Mandela*, né en 1918, reçoit avec Frederik De Klerk le Prix Nobel en 1993. (22 & 40)

 

 

 II-3- PETITE BIOGRAPHIE POLITIQUE DE GANDHI

 

Introduction : Gandhi Mohandas Karamchand est né le 2 octobre 1869 à Porbandar aux Indes et a été assassiné à New Delhi le 30 janvier 1948, dans l’Inde devenue indépendante grâce au combat qu’il a mené au péril de sa vie. De 1908 à 1942, Gandhi passe six années de sa vie en prison en quatorze séjours, et il fait dix-sept grèves de la faim. Plusieurs textes religieux lui inspirent sa mission. La lecture de la Gita, Ruskin*, Tolstoï*, Socrate et Thoreau*, lui donne sa feuille de route. Plus d’une fois désespéré, il s’en remet à Dieu pour poursuivre son combat. Gandhi pose ses revendications et ses plans de lutte par courrier à ses adversaires avant d’entamer la désobéissance civile. Il lutte contre les injustices sociales d’où qu’elles viennent, y compris celles venant des hindous vis-à-vis des intouchables ou des musulmans. C’est son amour de la Vérité, de la Justice sociale, la Loi d’amour qu’il applique envers toutes les « créatures », qui font le plus souvent triompher Gandhi de ses adversaires. N’écoutant que sa « petite voix intérieure », sa conscience, il surprend et contrarie plus d’une fois ses alliés. « Sous sa direction, des hommes tels que Jawahrlal Nehru (1889-1964), Vallabhbhai Patel (1875-1950) et Abbdul Kalam Azad (1888-1958) parcourent l’Inde pour propager le mot d’ordre de la lutte non-violente pour l’indépendance, tel un nouvel Évangile ». (34p25)

 

Éléments historiques : Porbandar (la cité blanche), ville portuaire du Goujerat, est l’un des 562 États princiers semi-indépendants des Indes colonisés par les Britanniques. Des potentats règnent sur ces principautés arriérées de type féodal, alors que des fonctionnaires britanniques sont à la tête « des Provinces ». Dès 1600, des commerçants anglais débarquent aux Indes, et en 1763 les Français perdent leurs comptoirs. Dix ans plus tard, les Britanniques contrôlent le sous-continent indien, qui passe sous leur souveraineté en 1858. La naissance de Gandhi coïncide avec la révolution industrielle en Angleterre et la naissance du prolétariat. Depuis trois mille ans, la société indienne est divisée en quatre castes et trois mille sous-castes compartimentées par de puissants tabous et règles sociales. La première caste est celle des brahmanes (religieux, savants, enseignants). La deuxième est celle kshatriyas (princes, guerriers), les seuls qui peuvent porter des armes et se battre pour défendre la communauté, ce qui peut expliquer le succès de l’usage des techniques de lutte non-violente par les Indiens. La troisième caste est celle des commerçants : notons que le jeûne-chantage (dharna) est connu par les créanciers « pour recouvrer une dette qu’un créditeur refusait d’honorer ». (43p74) La dernière caste est celle des shoudras (artisans). Puis viennent les hors-caste ou parias (intouchables), corvéables à souhait, qui n’ont pas accès aux temples, à certains puits, aux hôpitaux, aux services publics, etc. La famille Gandhi faisait des ablutions en cas de contact avec leur domestique intouchable. Les Gandhi sont des hindous vishnouites de la caste des commerçants. Comme beaucoup des leurs, ils n’exercent plus ce métier, mais celui d’avocat ou de fonctionnaire, des professions qui demandent également des talents de négociateur. À cette époque, les Indiens se déplacent à dos de chameau ou en diligence pour rejoindre les villes voisines.

 

La jeunesse de Mohan (Mohandas) : Les Gandhi ont donné durant plusieurs générations des Premiers ministres à plusieurs États de la presqu’île du Kathiyavar, située au nord de Bombay, où la communauté jaïne est importante. Le petit Mohan est destiné à remplacer son père. Mais c’est sans compter sur l’austérité héritée de sa mère, qui passe pour une sainte. Gandhi écrit à son sujet : « De ma mère, ma mémoire garde surtout l’impression d’une sainte (…). Son choix allait aux vœux les plus difficiles (…). Deux ou trois jeûnes consécutifs n’étaient rien pour elle ». (2p11) Mohan a une enfance heureuse. Mais depuis 1835, l’enseignement indien est dispensé en anglais et les colonisateurs vantent la culture britannique et inculquent un complexe d’infériorité de race aux jeunes Indiens. Mohan, fidèle, assidu et convaincu, mettra du temps à dissiper cette supercherie. Il essaie même de manger de la viande sur les conseils d’un ami, qui prétend que la force des Britanniques vient de leur régime carné. À l’âge de 13 ans, Mohan et Kasturbai sont mariés selon la tradition hindoue ; ils auront quatre fils dont deux, en Afrique du Sud. Le père de Mohan, gravement accidenté le jour de son mariage, meurt la même année. Mohan, qui était son préféré, s’en voudra toujours d’avoir fait l’amour avec sa femme à l’instant de sa mort, au lieu d’être présent à son chevet. Mohan commence sa carrière de réformateur en voulant faire l’éducation de Kasturbai qui est illettrée. Mais comme elle est plus têtue que lui, et qu’il est trop porté sur l’amour charnel, il n’y parviendra jamais. Après des études laborieuses jusqu’au lycée, il n’arrive pas à suivre les cours de l’université dispensés en anglais. Il souhaite être médecin, mais un conseiller de la famille lui recommande le droit anglais. Désargenté après la mort du père, il endette son frère aîné pour partir, et il lui laisse sa femme et son nouveau-né. Mohan s’embarque pour l’Angleterre après avoir fait des vœux de bonne conduite à sa mère. Mais sa caste brahmanisée, qui voyait en l’Angleterre et en tous les territoires non hindous des lieux de perdition, l’excommunie, alors que ses ancêtres voyageaient à travers les mers pour commercer.

 

Études londoniennes de Mohandas : De 1888 à 1891, Gandhi fait des études de droit à Londres. Durant son séjour, il s’attache surtout à soigner son image de gentleman, et suit des cours de danse, de musique et d’élocution. Il se préoccupe de diététique, adhère à la Société végétarienne de Londres, devient membre de son comité exécutif et écrit dans sa revue. La lecture du Plaidoyer pour le végétarisme de Salt gomme ses doutes sur le végétarisme. Il lit de nombreux textes religieux dont la Bible, le Sermon sur la montagne lui va « droit au cœur » (voir le chapitre II-1-3). Il rencontre la Société de théosophie en sa fondatrice, la comtesse polonaise Blavatsky, ainsi qu’Annie Besant (p) et renoue avec ses racines en lisant la Bhagavad-Gita. Il retient les conseils d’un juriste anglais : « le succès au barreau dépend autant de l’honnêteté et du travail que de l’intelligence, de la mémoire et de la compétence ». (46p18-19) En 1891, il est admis au barreau de Londres, puis retourne au pays où il apprend la mort de sa mère, à l’âge de 40 ans, quelques mois plus tôt. Il retient ses larmes. Son frère tente de le réconcilier avec leur caste. Ignorant du droit coutumier indien et trop scrupuleux en affaires pour plaider en Inde aux côtés de son frère, il n’arrive pas à se faire une clientèle. Ce dernier lui trouve un poste d’employé de bureau, connaissant l’anglais, en Afrique du Sud colonisée également par les Britanniques. Il doit seconder les avocats qui défendent le riche commerçant Goujerati Dada Abdulla, dans un procès qui l’oppose à un confrère.

 

Employé en Afrique du Sud : Quelques dizaines de milliers d’immigrés asiatiques (Indiens inclus) vivent dans les colonies sud-africaines (Orange, Natal et le Transvaal), qui forment un territoire plus petit que la France, alors que les Indes britanniques sont un sous-continent, bien plus vaste que l’Inde actuelle, où vivent trois cents millions d’Indiens. Gandhi débarque en 1893 dans le port de Durban au Natal, en gentleman. Dans les colonies, les Indiens musulmans jouissent d’une meilleure réputation et de plus de droits que les hindous. Gandhi a troqué son haut de forme contre un turban, ce qui l’identifie plus à un musulman qu’à un hindou, et lui vaut une première déconvenue avec le juge de la cour. Gandhi parle aussitôt dans la presse et défraie la chronique. En route pour Pretoria au Transvaal, il est expulsé d’un wagon de première classe, est battu par un cocher de diligence et se voit refuser une chambre d’hôtel parce qu’il est indien. Pour tenter de valoriser sa communauté et apaiser la xénophobie britannique, Gandhi convoque les Indiens de Pretoria, non pas pour leur parler de la ségrégation raciale qui règne en Afrique du Sud, mais leur faire la morale sur « la loyauté à observer en affaires » et sur l’hygiène. C’est son premier discours public ; d’autres réunions suivent. Il s’entretient avec les autorités du chemin de fer du Transvaal et obtient que les Indiens correctement habillés puissent voyager en première classe. Il réussit à trouver un accord à l’amiable entre son patron et la partie adversaire, le procès se termine au mieux pour chacun.

 

Faux départ pour les Indes : Sa mission terminée, il s’apprête à repartir pour les Indes. Lors de la réception qui est faite en son honneur avant son départ, le journal annonce un projet de loi, qui menace le droit de vote des Indiens à l’Assemblée ; un droit qu’ils ont aux Indes. La raison est qu’en 1894 les Indiens du Natal dépassent en nombre les Blancs, que certains prospèrent dans les affaires, et que les Blancs veulent réduire l’immigration asiatique et indienne. La réception d’adieux se transforme en comité de travail et Gandhi est invité à rester pour défendre la communauté. Une pétition est rédigée et transmise aux journaux, qui en font des commentaires favorables, jusqu’au Times de Londres. La pétition obtient dix mille signatures en quinze jours. Gandhi reçoit la valeur d’une année d’honoraires des riches marchands indiens. Il rencontre toutefois des difficultés à s’inscrire au barreau du Natal.

 

L’homme politique : Gandhi fonde en mai 1894 le Congrès indien du Natal pour souder la communauté, lever des cotisations et faire de la « propagande ». Il devient à 25 ans secrétaire général du Congrès, défenseur et porte-parole de la communauté indienne. Il loue une villa, engage des domestiques et des collaborateurs. Il crée aussi l’association culturelle des Indiens originaires de la colonie et donne des cours d’anglais. Ses amis chrétiens l’abreuvent de livres pour le convertir, il lit aussi le Coran. Cette même année, il défend un Indien maltraité par son employeur et gagne son procès. Sa réputation de défenseur des opprimés est établie jusqu’aux Indes. En 1860, comme les Africains se montraient inaptes au travail régulier, des Indiens, principalement des intouchables, arrivent dans les colonies anglaises d’Afrique du Sud pour travailler dans les champs. Ils sont liés par un contrat de cinq ans au même maître et vivent misérablement avec leur famille. Au terme du contrat, faute de mieux, ils se réengagent ou restent en Afrique à leur compte. Mais un projet de loi veut taxer de 25 livres les Indiens, qui en fin de contrat, veulent rester au Natal en étant libre. Le Congrès réagit : « Nous entreprîmes une campagne farouche » (2p196) et il est probable que la réduction de la taxe à 3 livres lui soit due.

 

Visite aux Indes : En 1896, Gandhi part chercher sa famille aux Indes et commence à apprendre, durant les 24 jours de la traversée, le tamoul parlé par la majorité des Indiens sous contrat. Aussitôt aux Indes, il dénonce dans plusieurs journaux la triste situation des travailleurs indiens en Afrique du Sud. Il participe au jubilé de la reine. Mais la violence du « God save the Queen », qu’il apprend aux écoliers, heurte son coeur. Il participe au comité contre des risques de peste à Bombay. Grâce à Sir Pherozeshah, un éminent avocat nationaliste de Bombay, il rencontre certains chefs du Congrès National indien : Tilak, juriste et mathématicien partisan de « l’action directe », Gokhale, un érudit plus modéré, et bien d’autres personnalités à Madras et Calcutta. Mais la firme Dada Abdulla le rappelle en urgence en Afrique du Sud. Gandhi demande à sa femme et à son fils de s’habiller à la mode parsie pour faire meilleure impression au Natal, et il voyage en première classe. Nous sommes fin décembre 1896, depuis son départ six mois ont passé, ses articles de journaux indiens l’ont précédé et notamment une dépêche du Pioneer, qui annonce que « les Indiens du Natal sont dépouillés, agressés, traités comme des animaux et ne peuvent obtenir réparation ». Gandhi a pourtant tenu des propos mesurés à tous les journaux.

 

Retour au Natal : À sa descente de bateau, il est agressé et blessé sauvagement par des Blancs et doit la vie sauve à une femme blanche. Il échappe au lynchage grâce à la police et renonce à poursuivre ses agresseurs. Le gouvernement du Natal admire sa magnanimité et l’affaire augmente sa popularité. Son bureau d’avocat, resté ouvert en son absence, ne désemplit plus, et Gandhi connaît la prospérité financière. Il se résout à travailler deux heures par jour comme infirmier, dans l’hôpital de charité ouvert par l’un de ses amis, et découvre les plus pauvres Indiens. « Ce travail m’apporta quelque paix » écrit-il. En 1897 et 1899, Gandhi organise l’envoi de secours pour lutter contre les famines qui sévissent aux Indes, « la mère-patrie », les Britanniques répondent positivement à sa demande d’aide.

 

Guerre des Boers : En 1900, la guerre des Boers (protestants hollandais installés en Afrique du Sud) éclate ; Gandhi estime que s’il demande à être reconnu comme un citoyen britannique à part entière, il est de son devoir de soutenir l’effort de guerre de la Couronne. Rappelons qu’en 1928, il écrira dans Young India : « Je ne puis faire de distinction entre celui qui utilise les armes de destruction et celui qui s’occupe de la Croix Rouge : (…) tout deux sont coupables de crime de guerre ». (47p294) Un corps ambulancier de 1100 Indiens est formé. Gandhi et les siens font des marches de 30 à 40 km par jour et ramassent les blessés sur les champs de bataille. Après la démobilisation et la mort de Rajchandra (h), il pense que son travail doit se poursuivre aux Indes. On consent à ce qu’il parte à condition qu’il revienne si on a besoin de lui avant un an. Il reçoit des présents coûteux, dont des bijoux pour sa femme, qu’il place dans une banque pour la communauté.

 

Bref retour aux Indes : En octobre 1901, il s’embarque avec sa famille pour les Indes, pour se rendre au Congrès national indien qui allait se réunir trois jours fin décembre. Pherozeshah ne peut recevoir Gandhi, qui s’arrange pour prendre le même train que lui pour Calcutta. Le président du Congrès est le principal collaborateur de Pherozeshah, Gandhi est invité à partager leur compartiment privé, et leur exprime son souhait de présenter sa motion en faveur des Indiens d’Afrique du Sud. Gandhi passe deux jours au service du bureau administratif du Congrès : ils lui suffisent pour en comprendre « la machinerie ». Mais sa timidité face à l’assemblée l’empêche de lire sa motion lui-même. Elle est votée à l’unanimité. Il passe un mois avec Gokhale. Ensuite il fait un long voyage à travers les Indes en troisième classe : Delhi, Jaipur, Palanpur et Rajkot. À Bénarès, les immondices, la puanteur, la cupidité, tout le choque. Il rend visite à Annie Besant, chef du parti Home Rule, pour lui exprimer son affection. Il repart s’installer à Bombay et commence à plaider ; Gokhale lui rend souvent visite. Mais il est rappelé au Natal où il arrive seul en décembre 1902. La communauté compte sur lui pour interpeller Joseph Chamberlain (père du ministre qui capitulera devant Hitler), ministre de Sa Majesté Royale en visite. Le jour de l’an 1903, Gandhi le poursuit à Pretoria, mais il est refoulé du territoire sous prétexte qu’il n’a pas de permis de séjour. Gandhi décide de rester au Transvaal et se fait inscrire au barreau de Johannesburg. Son cabinet comptera « 9 clercs, 7 Indiens et 2 Européens, ainsi qu’une secrétaire ». (47p150)

 

Abandon de ses biens : En 1903, Gandhi est courtisé par les théosophes. Avec eux, il lit le Rajayoga de Vivekananda, étudie les Yoga Sutra de Patanjali et la Bhagavad-Gita, qui devient « le guide infaillible » de sa conduite. Les termes samabhâva (égalité d’âme) et aparigraha (non-possession) retiennent son attention. « Il m’apparut, clair comme le jour, que non-possession et égalité d’âme présupposaient un changement profond du cœur, un changement d’attitude. J’écrivis alors à Revâshankarbhâi de laisser périmer la police d’assurance. » Il abandonne tous ses biens à son frère.

 

Médecin malgré lui : Toute sa vie, Gandhi s’impose des restrictions alimentaires sévères, comme l’abandon des céréales et du lait que Rajchanda présentait comme « un stimulant des passions animales ». Il soigne ses proches et lui-même avec des méthodes naturelles. À Johannesburg, il souffre de maux de tête et de constipation et, résiste « à la tentation de prendre de nombreuses drogues ». (2p342) Il se soigne par des remèdes naturels, en modifiant son régime, et s’appliquant des bains de siège et des cataplasmes d’argile. Mais il contourne son vœu de ne pas consommer de lait, pour ne pas mourir, selon lui, afin de mener campagne contre la loi Rowlatt. À l’avenir sa chèvre le suivra de la prison à la cour d’Angleterre.

 

Le « ghetto » : À Johannesburg, tous les jours il reçoit des plaintes. Dans ce pays, les jurys des tribunaux étaient constitués de Blancs et ne donnaient jamais raison aux gens de couleur. Gandhi redresse des torts et gagne des procès. Il écrit au sujet des Indiens : « De même, en Europe chrétienne, il fut un temps où les juifs étaient “intouchables”, et où les quartiers qu’on leur assignait portaient le nom de “ghettos”, de même encore, de nos jours, nous sommes devenus les “intouchables” de l’Afrique du Sud ». (2p363) Dans les colonies, tous les Indiens sont appelés « coolies », terme qui désigne aux Indes un travailleur qui se loue, ou un porteur. C’est une espèce de « ghetto » qu’habitent les pauvres Indiens de Johannesburg, une « zone réservée » où ils jouissent d’un bail de 99 ans sur un territoire non extensible. Mais la population augmente et il y règne une insalubrité inquiétante. En 1904, la municipalité veut faire évacuer cette zone moyennant un dédommagement ridicule. Sur 70 procès contre la municipalité, un seul est perdu par Gandhi. Mais la peste noire apparaît ; 23 personnes sont atteintes et la municipalité les traite au Cognac. Gandhi soigne trois volontaires avec des cataplasmes d’argile. Ils survivent et les 20 autres meurent avec l’infirmière. La zone est évacuée et brûlée par la municipalité. Les familles qui ont enterré leurs économies les confient à Gandhi qui leur recommande de les placer à la banque. Le volume des affaires de Gandhi augmente avec sa popularité grandissante.

 

Premier journal et première communauté gandhienne : Gandhi rencontre dans un restaurant végétarien l’Anglais Albert West, imprimeur, et Polak un jeune juif, journaliste au journal The Critic. Il fonde avec Madanjit et Polak, le journal Indian Opinion qui devient son outil de communication durant dix ans. KaIlenbach, un richissime architecte juif allemand, qui a « un amour du luxe extravagant », se joint à eux. Les « lecteurs » de Gandhi seront principalement des travailleurs illettrés à qui l’on fait la lecture publique. Des raisons pécuniaires poussent Polak et Gandhi à revenir au Natal pour imprimer le journal. Polak lui fait lire Jusqu’au dernier de Ruskin. Ce livre bouleverse la vie de Gandhi qui écrit : « Je crois que ce livre immense de Ruskin* me renvoya alors, comme un miroir, certaines de mes convictions les plus profondes ». Il lui inspire la fondation d’une première communauté, qu’il crée sur dix hectares de terre à Phoenix au Natal. Là, il entraîne les siens à une vie simple et fraternelle ; membres des castes, intouchables, parsis, musulmans, juifs et chrétiens vivent ensemble de l’agriculture et de l’artisanat. L’intouchabilité est abolie, chacun perçoit un salaire de trois livres par mois. Gandhi rappelle sa famille ; Kasturbai laisse leur fils aîné à Bombay pour qu’il poursuive des études, et désapprouve les subites idées communautaires et d’éducation des enfants de son mari. Leurs trois autres fils sont éduqués par la communauté. Frère Gandhi est le plus clair de son temps dans son cabinet de Johannesburg.

 

Brancardier sur le front : En 1906, « la révolte des Zoulous » éclate. Frère Gandhi quitte sa maison, vend ses meubles et enrôle 24 des siens comme brancardiers et infirmiers pour servir. Il est nommé sergent-major pour six semaines et soigne les blessés zoulous victimes du fouet et d’exactions. L’injustice, la violence et la cruauté des Blancs à l’encontre des Noirs, qu’ils ne veulent pas même soigner, le révulse. À son retour du front, au milieu de l’année 1906, à 37 ans, il fait le vœu de brahmacharia (chasteté) et veut l’imposer à la communauté de Phoenix. Dans sa perfection, il exclut jusqu’à toute pensée impure (2p402). D’autres familles rejoignent la ferme, où elles vivent en autarcie. Un portrait de Gandhi de cette époque en 1906 le représente encore en complet veston avec cravate. Cette même année, sa femme est victime d’hémorragie après une opération. Frère Gandhi tente des remèdes naturels sans succès. Vexé que sa femme refuse de s’abstenir de sel et de légumineuses, il fait le vœu de s’en priver pendant un an ; sa femme le suit et guérit : « Ma réputation de médecin empirique y gagna » écrit-il.

 

La désobéissance civile : Après l’effort de guerre indien au Transvaal, un projet dit « Loi noire » prévoit l’enregistrement des Indiens selon une méthode réservée aux prisonniers de droit commun. Le 11 septembre 1906, Frère Gandhi convoque les Indiens à Johannesburg ; un certain Muhamad Kachhalia lance qu’il préfère être pendu plutôt que d’obéir à la loi. Frère Gandhi lui emboîte le pas et 3000 participants prêtent serment de désobéissance à ce projet de loi. Gandhi recherche des méthodes pour résister et veut remplacer l’expression anglaise « résistance passive », employée par les journaux anglais pour désigner la lutte des suffragettes anglaises. Il offre une prime à ses lecteurs pour « frapper un mot nouveau » ; le terme « Satyagraha » en ressort. « En bon satyagrahi, Frère Gandhi prévient ses amis que, pour défendre une cause juste, il faut avoir le courage de souffrir pour elle sans faire souffrir l’adversaire. Seule la souffrance peut ouvrir le cœur des hommes à l’amour et, par suite, à la vérité ». (29p113) Les autorités font fi de l’opposition indienne, et le 1er juillet 1907 la « Loi noire » est votée dans presque sa totalité. Gandhi fonde l’association Satyagraha. Le tirage d’Indian Opinion passe à 3500 exemplaires pour 20 000 lecteurs. Les Britanniques se font menaçants et ouvrent des bureaux d’enregistrement. L’association Satyagraha placarde des affiches invitant à résister, organise des piquets de grève, mais 511 Indiens acceptent de se faire enregistrer durant la nuit. Les satyagrahis désobéissent, ils sont arrêtés et plaident coupables. Le 10 janvier 1908, Gandhi plaide coupable et subit la première incarcération de sa vie. Il fait 21 jours de prison. À sa sortie, il compare la vie du prisonnier à celle d’un brahmachari, et conserve les restrictions de la prison après sa libération, si bien que les futures incarcérations seront plus supportables pour lui. La règle de Gandhi est de toujours croire en la bonne foi de son adversaire. Les autorités lui arrachent un compromis : le décret sera retiré si les Indiens acceptent de se faire enregistrer volontairement. Il est libéré le 30 janvier, mais il est désapprouvé par la majorité des siens. Le 10 février, alors qu’il vient se faire enregistrer, un Pathan, qui le considère comme un traître, le roue de coups. La tête bandée, Gandhi se fait enregistrer, mais les autorités ne tiennent pas leur parole et la «Loi noire» est maintenue. En juillet, il plaide pour son fils Harilal, condamné à 7 jours de travaux forcés. Le 16 août, Frère Gandhi durcit la lutte en brûlant sa pièce d’identité dans un grand chaudron. Des centaines d’Indiens en font autant et encouragent les autres colonies à violer la loi en franchissant les frontières ; ils sont incarcérés.

 

Aux travaux forcés : En octobre 1908, Frère Gandhi plaide coupable et est condamné aux travaux forcés et incarcéré avec des prisonniers de droit commun « patibulaires, sanguinaires, vicieux (…) ». Dans cette prison, il découvre La désobéissance civile de Thoreau, qu’il lit un dimanche. La résistance s’amplifie, les prisons sont surchargées ; des prisonniers sont transférés dans les États d’Orange et du Natal en vue d’un rapatriement aux Indes. Frère Gandhi porte l’affaire devant la Cour Suprême et l’expulsion est déclarée illégale. En octobre 1909, il se rend à Londres pour plaider contre la « Loi noire ». Mais le gouvernement britannique refuse l’ingérence dans les colonies autonomes. Sur le bateau qui le ramène au Cap, il écrit Hind Swaraj (l’autonomie indienne), une œuvre influencée par Ruskin et Tolstoï, où il rejette le progrès : « chemin de fer, hôpitaux, écoles, usines, institutions parlementaires » (46p90), et où il présente son programme de libération par la non-violence. Gokhale le lit et pense que Gandhi ne pourra pas appliquer ce genre de lutte aux Indes. Emprisonnement, persécutions et sanctions économiques ne cassent pas la résistance, mais le temps qui passe affaiblit la lutte. Depuis 1906, le cabinet de frère Gandhi est en veilleuse ; l’association Satyagraha, qui soutient les familles des prisonniers, et Indian Opinion n’ont plus d’argent. En 1910, acculé par les dettes et le découragement, il reçoit un don inattendu de 25 000 roupies de l’industriel Tata des Indes.

 

La deuxième communauté : Kallenbach achète et met à sa disposition un terrain de 44 hectares avec une maison et 1000 arbres fruitiers à 34 km de Johannesburg. Frère Gandhi et lui construisent des cabanes en tôle ondulée. Kallenbach apprend le métier de cordonnier dans un couvent et dirige un atelier. La « Ferme de Tolstoï » abrite jusqu’à 75 pensionnaires ; tous deviennent végétariens. Les deux amis cogitent sur la théorie de la non-violence : joie, pauvreté et austérité deviennent les règles de vie. Comme à la Ferme de Phoenix, les enfants reçoivent une éducation du cœur et sont formés aux travaux manuels sur le tas. Gandhi prend son rôle d’éducateur au sérieux et écrit : « ils m’ont appris que je devais être bon et vivre droitement ». Les médecines naturelles sont à l’honneur : « Nous n’avons jamais appelé un médecin », écrit-il. Il se sent responsable à part entière de la communauté et s’inflige un jeûne de pénitence de 7 jours, le premier de sa vie, non contre la « Loi Noire », mais pour protester contre un « crime » de sodomie entre jeunes garçons.

 

Reprise du Satyagraha : Gokhale, qui fait parti du Conseil législatif impérial de Calcutta, fait adopter une résolution qui met fin à l’immigration de la main d’œuvre sous contrat. En février 1911, pour limiter les troubles dans les colonies à l’approche du couronnement de Georges V, le gouvernement sud-africain supprime certaines discriminations raciales. Le 27 mai, Indian Opinion déclare un accord provisoire et le premier juin les satyagrahis sont relâchés. Mais la Loi Noire n’est pas encore abrogée. En octobre 1912, lors d’une visite officielle d’un mois de Gokhale en Afrique du Sud, la promesse d’abrogation de la « Loi noire » lui est faite. Frère Gandhi, qui lui sert de secrétaire et de valet durant son séjour, n’en croit pas un mot et il a raison. Non seulement la Loi noire n’est pas abrogée en 1913, mais de plus, en mars la Cour suprême ne reconnaît plus que les mariages chrétiens, et les épouses non chrétiennes deviennent des concubines et risquent l’expulsion. Un nouveau problème qui s’ajoute à ceux de l’immatriculation obligatoire et de la taxe de trois livres. Le satyagraha reprend des couleurs. Frère Gandhi écrit dans Young India du 13 septembre 1913 : « Mieux vaut une lutte ouverte qu’une trêve boiteuse. Notre combat aura pour objectif de modifier le cœur de nos adversaires, et seules de longues et amères souffrances pourront y arriver ». (46p80) « L’armée de paix » de Frère Gandhi se compose alors de 66 satyagrahis dont 16 sûrs. Frère Gandhi envoie deux groupes passer les frontières interdites. L’un mixte de 16 satyagrahis, avec Kasturbai à sa tête, part de la Ferme de Tolstoï du Transvaal vers le Natal ; l’autre, composé de 11 femmes, part de la Ferme de Phœnix au Natal vers le Transvaal. Le but est de les faire emprisonner, ce qui est réussi pour le premier groupe. Le deuxième groupe n’est pas arrêté et organise des réunions dans une mine de Newcastle, les travailleurs se mettent en grève, les satyagrahies sont arrêtées. Frère Gandhi accourt négocier avec les propriétaires de la mine et leur dit qu’il attend l’abrogation de la taxe de 3 livres. Gandhibhai (Frère Gandhi) rend compte de l’échec des négociations et garde la confiance des mineurs. Mais les propriétaires coupent l’eau et l’électricité des campements. Le 6 novembre, Gandhibhai lance une marche vers la Ferme de Tolstoï.

 

La dernière étape africaine : Il prévient les autorités de l’arrivée de son armée de satyagrahis : « 2037 hommes, 127 femmes et 57 enfants » passent la frontière du Transvaal « avec des rations de famine  ». Gandhibhai est arrêté trois fois en 4 jours et relâché sous caution dans l’attente de son procès. La dernière fois il refuse de payer la caution de 60 livres et est condamné le 11 novembre à 9 mois de prison ; il est incarcéré un mois. Les marcheurs sont arrêtés, condamnés aux travaux forcés dans la mine de Newcastle transformée  en camp de détention et les récalcitrants sont fouettés par les cadres de la mine. La nouvelle se répand, des planteurs et d’autres mineurs se mettent en grève. Ces derniers sont également emprisonnés dans leurs mines. Gandhi, détenu dans des conditions très pénibles, est menotté aux mains et aux pieds pour comparaître devant le tribunal où il a plaidé autrefois. L’affaire mobilise les journaux du monde entier. Le Vice-roi des Indes apporte un soutien très inattendu aux satyagrahis. Le gouvernement, embarrassé par cette affaire, nomme une commission d’enquête qui a pour mission d’entériner la position des autorités sud-africaines ; aucun Indien n’y participe. Mais, suite à une grève des chemins de fer, Gandhibhai reporte le satyagraha. Il renonce à l’enquête sur les atrocités commises dans les mines-prisons, en dépit d’une forte opposition des siens. Quand Gandhibhai poursuit les négociations à Pretoria, Kasturbai sort gravement malade de prison. Le pasteur Andrews, un fidèle de Gandhibhai, prévient les autorités. Un accord est passé rapidement et porte sur l’annulation de la taxe de 3 livres, la reconnaissance de tous les mariages, un simple certificat de domiciliation portant seulement l’empreinte du pouce. Subsistent néanmoins « la loi sur l’or, les lois sur les licences de commerce, les quartiers réservés, les restrictions sur la migration provinciale, l’interdiction d’acquérir des terres  ». (46p85) Gandhibhai s’inflige un deuxième jeûne de pénitence de 15 jours, pour la même raison que le premier, et en sort affaibli. Il reçoit une lettre de Gokhale qui lui demande de rentrer aux Indes via Londres.

 

Retour définitif aux Indes : Faute de place en troisième classe, il arrive en Angleterre en cabine de deuxième classe avec quelques proches. La Première Guerre mondiale vient d’éclater. En attendant Gokhale qui reçoit des soins contre le diabète à Paris, il se porte volontaire pour constituer un corps d’ambulanciers et reçoit une formation avec les siens. Mais, atteint d’une pleurésie, il rentre en Inde après Gokhale. Ce dernier supportait mal les brouillards londoniens. Kallenbach veut suivre son ami Gandhibhai, mais en ces temps de guerre, il n’obtient pas le passeport pour s’embarquer avec eux parce qu’il est juif ; c’est le déchirement. Kallenbach reprendra son métier d’architecte en Afrique du Sud. Le groupe débarque à Bombay le 9 janvier 1915. Gandhibhai et Kasturbai, vêtus de modestes costumes, sont accueillis somptueusement à Bombay et au Goujerat comme des héros par l’élite indienne anglicisée. (46p118) À un journaliste qui lui parle en anglais, Gandhibhai répond : « Je n’ai pas oublié ma langue maternelle en Afrique du Sud ». Même le Gouvernement indien l’accable d’honneurs.

 

Premiers engagements indiens : De Poona, Gandhi se rend en train à Rajkot et Porbandar pour voir des parents. À Bombay, il abandonne le costume des travailleurs sous contrat pour adopter celui des gens du Kathiyavar. La peste sévit, et il est soumis au contrôle sanitaire des gens de troisième classe, mené par des fonctionnaires méprisants. On se plaint à lui des taxes douanières de Viramgam. Gandhi étudie l’affaire, rencontre le gouverneur de Bombay, qui le renvoie au gouvernement indien à Delhi, auquel Gandhi adresse une lettre restée sans effet. Plus tard, le gouverneur de Bombay s’excuse de ne pas avoir eu vent de sa lettre. Quelques jours après, le cordon douanier est supprimé. Pour Gandhi cet événement marque le début du satyagraha aux Indes. Dans un discours prononcé à Bagasra au centre du Kathiyavar, Gandhi fait allusion au satyagraha, et le secrétaire du gouvernement de Bombay lui demande s’il ne s’agit pas là d’une menace. Gandhi répond qu’il est de son devoir « de mettre les gens en face des moyens légitimes de remédier à leurs griefs. Une nation qui désire devenir sa propre maîtresse doit connaître tous les chemins, tous les moyens qui lui donneront la liberté  ». (2p484) De Rajkot, il se rend à Shantiniketan « séjour de paix  », l’ermitage et l’université fondés par le poète Rabindranath Tagore (1861-1941), qui le salue     « Mahatma  » (grande âme), un titre qui embarrassera Gandhi. Là, il retrouve sa petite famille de Phoenix, et obtient, dans le cadre de la simplicité volontaire, que les cuisiniers soient remplacés par les maîtres et les étudiants. « Cette expérience contient la clé du swaraj  » dit Tagore aux jeunes gens. La mort de Gokhale, survenue le 19 février 1915, rappelle Gandhi à Poona, le deuil est national. Gokhale considérait que bon nombre des idées exprimées par Gandhi dans Hind swaraj étaient à réviser. « Après un an de séjour aux Indes, votre façon de voir se corrigera d’elle-même  », avait-il dit. Gandhi lui a promis de voyager un an à travers le sous-continent indien avant d’exprimer un avis sur les affaires publiques du pays, et il marchera pieds nus pendant un an en signe de deuil de son maître. Ses voyages le choquent : l’immense pauvreté, la saleté et la corruption. Pour expier, il s’inflige de ne plus manger après le coucher du soleil, et de se limiter à cinq mets par jour. Désargenté, on lui propose de l’aider à installer sa communauté de satyagrahis à Rajkot, Hardwar, Calcutta ou Ahmedabad. Il choisit cette ville industrielle de tisserands.

 

Lutte locale : En décembre 1916, il assiste à la session annuelle du Congrès national indien à Lucknow. Il est poursuivi par un paysan du Champaran (Bihâr) : celui-ci lui explique la détresse des paysans qui cultivent des indigotiers et qui doivent verser les trois vingtièmes de leur récolte aux propriétaires de la terre. En avril 1917, Gandhi se rend dans les villages du Champaran et forme une commission d’enquête avec ses amis, qui questionnent des centaines de paysans et les planteurs afin d’établir la vérité, 25 000 rapports de paysans sont dactylographiés. En dénonçant les abus, il fait l’éducation des paysans. Dans chacune des gares où s’arrête l’omnibus qui l’emmène à Betthia, des foules de paysans l’attendent pour le voir (ou pratiquer le darshan). À Betthia, le train est stoppé par une foule enthousiaste, qui pense qu’il a des pouvoirs surnaturels. Le Mahatma est couvert de fleurs, les paysans détellent ses chevaux pour tirer sa voiture, Gandhi refuse ces honneurs. En mai, il remet un rapport de huit pages : salaires insuffisants, amendes illégales, distributions arbitraires des terres, impôts écrasants, traitements inhumains (coups, enfermements, privations). En août, après plusieurs entretiens avec les autorités, il obtient un compromis : les planteurs rembourseront 25 % des impôts illégaux aux paysans. Atteint de paludisme, il ne s’interrompt pas et rend son rapport final en octobre 1917.

 

Programme constructif : Après plusieurs voyages à travers les États et les principautés, il rentre et doit déplacer sa communauté près d’Ahmedabad, à cause d’une épidémie de peste et d’un échec pour améliorer l’hygiène locale. La communauté se pose près de la rivière de Sabarmati au nord de la ville. Un an plus tard, le terrain vierge au départ compte des plantations de coton, des tamaris, une étable, un atelier de tissage, des logements et des cuisines. Gandhi se munit d’un ancien rouet portatif. Le mouvement du Khadi (filage et tissage du coton indien à la main) est lancé pour redonner du travail aux Indiens, pour s’opposer aux filatures industrielles d’Ahmedabad et pour lutter contre les importations de cotonnades tissées en Angleterre. En février 1918, il soutient la grève des ouvriers faméliques des filatures d’Ahmedabad qui demandent une augmentation de salaire de 50 %. Sous la pression prolétaire, les patrons proposent 20 %, Gandhi fait son premier jeûne-chantage et obtient après deux jours 35 % d’augmentation. En septembre 1918, il prend comme secrétaire Mahadev Desai, jeune avocat, traducteur et employé de banque. Avec Vallabhai Patel, un autre avocat qui l’a rejoint, il conseille aux villageois du Kheda de refuser une taxe injustifiée après une année de famine. Elle est supprimée seulement pour les plus pauvres. Il dirige le nettoyage des villages, la construction d’écoles et d’hôpitaux. En 1918, en ces heures de lutte, sa demande d’un second contingent d’Indiens pour servir dans l’armée britannique n’est pas bien accueillie. Gandhi essuie un refus à la fois des Britanniques et des Indiens, il en fait une dépression nerveuse.

 

L’offensive nationale : En février 1919, l’Angleterre trahit sa promesse de donner l’autonomie aux Indes à la fin de la guerre, et impose une loi martiale (lois dites Rowlatt) contre le terrorisme de certains autonomistes indiens. Gandhi tient un conseil dans son ashram avec des personnalités qui se déplacent depuis Madras. Un serment de résistance est publié. En mars les lois Rowlatt sont adoptées. En avril 1919, il ordonne le hartal national (jeûne accompagné de prières). Les 30 mars et 6 avril, le mot d’ordre est suivi jusque dans les villages reculés. Il part pour Delhi en troisième classe, puis roule vers le Pendjab. Mais un policier l’interpelle, et il est renvoyé dans un train pour Bombay. À Ahmedabad et un peu partout, des émeutes éclatent. Le 13 avril, alors qu’il commence un jeûne de pénitence de trois jours à Sabarmati pour protester contre un sabotage terroriste, des militaires sous commandement tirent sur une foule pacifique dans un foirail dépourvu d’issue à Arimstar. On compte 379 morts et près de mille blessés, principalement des femmes et des enfants. Cinq jours plus tard, Gandhi s’accuse d’une erreur « grosse comme l’Himalaya  » et demande l’arrêt du satyagraha. Ce massacre traumatise la nation et affaiblit le gouvernement. Son auteur est contraint de démissionner. Pour servir le satyagraha et faire l’éducation des masses indiennes, Gandhi lance deux journaux, l’un en anglais Young India, l’autre Nevajivan en goujerati et il fonde une imprimerie à Ahmedabad pour assurer leurs tirages. Gandhi, à nouveau autorisé au Pendjab, est accueilli comme un héros et rencontre le Congrès présidé par le célèbre avocat Motilal Nerhu (1861-1931, père de Javaharlal), qui le charge d’un contre-rapport sur le massacre d’Arimstar. Invité par les musulmans à une conférence, il part ensuite à Delhi. Les Alliés victorieux ont confié la garde des lieux saints aux Britanniques qui ne rétablissent pas le calife de Turquie. Gandhi prend la parole et réussit dans la langue ourdoue approximative à faire voter une motion de non-coopération, qui exclut l’usage de la violence. Les Musulmans sont ralliés à lui. De retour à Arimstar, il finalise son rapport et participe fin décembre à la réunion du Congrès. Le vice-roi vient de promulguer une réforme accordant un peu d’autonomie aux Indes ; Gandhi est pour, la majorité du Congrès contre. Un compromis est trouvé et Gandhi est chargé de rédiger un projet de réforme du Congrès pour la cession de septembre 1920 à Calcutta.

 

Chef du Congrès : Gandhi transforme le Congrès composé initialement de notables en une organisation nationale solidement ancrée dans les villages. Le « parlement  » de 350 membres est renforcé par un Comité exécutif permanent de 15 membres veillant à l’application des décisions annuelles. Le hindi ou les langues locales remplacent l’anglais et le port du Khadi est de rigueur. Tilak meurt en juillet 1920 ; pour commémorer sa mort et encourager le filage au rouet, des brasiers entretenus par des vêtements étrangers s’allument un peu partout. À Calcutta, Gandhi et d’autres demandent de dépasser la vengeance des morts, il prêche la reconquête par la non-violence : « Le plus gros préjudice dont ce pays souffre, c’est l’absence de swaraj (autonomie). Voilà ce contre quoi doit se dresser la non-coopération  ». (2p640) Son projet en quatre étapes est adopté par le Congrès. Première étape : on doit renoncer à tous les titres gouvernementaux, à tous les honneurs, cesser de s’adresser aux tribunaux britanniques, de fréquenter les écoles anglaises, de prendre part aux fêtes officielles, aux emprunts d’État. Deuxième étape : on doit refuser de servir le gouvernement et donner sa démission si on est fonctionnaire. Troisième étape : on doit quitter l’armée et la police. Enfin quatrième étape : on doit refuser de payer les impôts. Gandhi promet « le swaraj dans un an !  ». Tagore et d’autres dénoncent l’irréalisme du projet. Deux millions de rouets sont prévus, les Indiens de toutes les classes sont invités à filer chaque jour. En août, Gandhi renvoie ses décorations au vice-roi, et prend l’habit du plus pauvre paysan indien, le plus simple des dhotis, et se rase le crâne. Le 17 novembre 1921, un hartal salue l’arrivée du Prince de Galles à Bombay ; Gandhi préside un autodafé de tissus étrangers dans la ville. Mais des Indiens attaquent des Parsis et des Européens qui reçoivent le Prince. Bilan : 58 tués et 318 blessés. Gandhi lance un appel au calme à la population de Bombay et jeûne cinq jours en expiation. « Si c’est cela l’indépendance, sachez que son odeur de pourriture a horrifié mes narines  » conclut Gandhi. (46p170) Selon le plan gradué de la non-coopération adoptée, la dernière phase commence prudemment en novembre. Le Congrès autorise les comités provinciaux à lancer sous leur responsabilité le boycott de l’impôt, à condition que des premiers essais réussissent dans certains districts. Gandhi prend la direction de Bardoli dans le Goujerat pour faire un test. Il prévient la population des risques de confiscation de terres par le gouvernement. Début janvier 1922, quatre districts refusent de payer l’impôt.

 

Ultimatum au vice-roi : Le 1er février, il lance un ultimatum au vice-roi et une première revendication modeste : libération des prisonniers internés pour leur non-collaboration et la levée des restrictions sur la presse. La réponse est non ! Le 8 février, à Chauri-Chara dans l’Uttar Pradesh des policiers se moquent d’une procession : les fidèles ripostent, la police tire, la foule met le feu au poste de police ; 22 policiers brûlent vifs et les survivants sont taillés en pièces. Le Congrès poussé par Gandhi cesse la non-coopération et encourage la poursuite du programme constructif. Nehru (fils) emprisonné demande avec d’autres de ne pas tout arrêter pour « un incident isolé  ». Mais    « c’était un programme très progressif où la part du défi lancé à l’autorité devait être proportionnelle à la capacité acquise de résistance sans violence ». (46p170) Gandhi craint une guerre de libération violente. Dès lors les Britanniques pensent que la carrière politique de Gandhi est terminée. Le 9 mars 1922, dans Young India, Gandhi exhorte le gouvernement à l’arrêter et ses disciples à rester calmes après son arrestation. Le 10 mars 1922, Gandhi est arrêté à son ashram de Sabarmati, et jugé pour 3 articles de presse séditieux. Le juge ému traite avec le plus grand respect l’accusé, qui plaide coupable. Il le condamne à 6 ans de prison. Après avoir plaisanté avec des enfants, selon son habitude, Gandhi est enfermé à la prison de Sabarmati non loin de son ashram. N’avait-il pas écrit que la liberté     « se conquiert parfois en prison, parfois sur la potence ». (46p176) Pendant son incarcération, le parti commence à se diviser, et des partisans créent le parti Swaraj, qui est vainqueur aux élections du Congrès. Le 11 janvier 1924, Gandhi est opéré de l’appendicite, et libéré de prison en février. Deux factions apparaissent au sein du parti, Les swarajistes menés par Chitta Ranjan Das et Motilal Nehru favorisent la participation du parti aux organes législatifs ; l’autre, menée par Chakravarti Râjagopâlâchâri et Sardar Vallabhbhai Patel, s’y oppose. Gandhi constate que les résistants sont plus en guerre entre eux que contre l’occupant britannique. La coopération entre hindous et musulmans s’étiole. Gandhi essaie d’atténuer ces différences et fait un jeûne de 21 jours en septembre 1924, suite à des bagarres à Kohat où 155 hindous sont tués par les musulmans et les autres chassés de la ville. Une « Conférence pour l’unité » est donnée à Delhi. Mais la rupture entre le Congrès et le Califat est consommée. Gandhi entreprend de tout rebâtir par la base et se retire 3 ans de la vie politique.

 

Le repli politique : En novembre 1925, il fait un jeûne de sept jours en raison d’une grave faute commise par un occupant de l’ashram. En 1926, il fait le vœu d’une année de silence politique à Sabarmati. Il promeut le filage au rouet et le tissage manuel, lutte contre l’intouchabilité, l’alcoolisme, l’ignorance, la pauvreté et les mariages d’enfants. Il veut créer une monnaie alternative avec le fil tissé, incomprise par l’intelligentsia indienne. Il fonde « All Spinners Association » et demande 30 minutes de filage journalier à tous les Indiens. Fin 1926, on dénombre 50 000 fileurs et 3400 tisserands. En 1927, il fait des voyages, enchaînant les discours publics, et les autodafés de textile britannique se poursuivent. En mars 1927, il s’écroule de fatigue suite à une chute de tension et doit se reposer. En novembre, une commission royale veut réviser la constitution indienne sans les Indiens. En août 1928, le Congrès est divisé : les plus jeunes comme Subhash Chandra Bose et Jawaharlal Nehru veulent demander l’indépendance immédiate, les autres le statut de dominion. Gandhi trouve un compromis : si le statut de dominion n’est pas obtenu avant le 31 décembre 1929, l’Inde déclarera son indépendance. Gandhi reprend sa croisade pour le kadhi, les autodafés. Mais des attentats à la bombe surgissent. Fin octobre, une conférence à Londres déclare l’étude du statut de dominion, une idée bien accueillie par les chefs politiques : Nehru (père), Patel, Sapru et Annie Besant. Mais elle est presque aussitôt démentie par l’Angleterre.

 

Un drapeau frappé du rouet : Gandhi refuse la présidence du Congrès qu’il confie à Nehru (fils). À minuit, le 31 décembre 1929, le Congrès déclare l’indépendance de l’Inde en hissant le drapeau indien frappé du symbole du rouet. La campagne de désobéissance civile reprend. Le 26 janvier est déclaré « journée de l’indépendance » et le 30 janvier 1930 Gandhi demande l’acceptation de 11 points au gouvernement qui les rejette. Il convoque alors les journalistes et quitte son ashram le 12 mars avec 79 fidèles en direction de la mer. C’est la fameuse Marche du Sel pour s’opposer au monopole britannique sur la commercialisation du sel. Des milliers d’Indiens se joignent à lui sur sa route. Le 6 avril 1930, après avoir marché 380 km, la troupe arrive au bord de la mer vers Dandi. Au terme de la marche, « après un bain de purification et le chant des prières », Gandhi ramasse une poignée de sel et invite les Indiens à ramasser leur sel et à prendre possession des dépôts de sel. Les images font le tour du monde. Les satyagrahis marchent imperturbables vers les dépôts. Certains se font tuer à coup de matraque, d’autres sont blessés, 60 000 personnes sont emprisonnées. La désobéissance est généralisée aux autres secteurs. Un coup sévère est porté à l’économie coloniale. Le 5 mai 1930, Gandhi est interné à Yeravda huit mois, les chefs du Congrès sont emprisonnés aussi. Gandhi se repose, prie, écrit et continue à filer au rouet chaque jour. La censure de la presse se poursuit. La chute des importations de textile anglais est le meilleur indice de la réussite du programme constructif qui redresse l’économie locale. Les villes s’approvisionnent en tissu dans les villages. Le 25 janvier 1931, à la veille de « la journée d’indépendance » les membres du comité exécutif du Congrès sont tous libérés sans condition. Des pourparlers sont entamés et aboutissent le 4 mars au pacte Gandhi-Irvin de Delhi, qui prévoit l’arrêt de la désobéissance civile, la révocation des ordonnances, la libération des prisonniers politiques, l’autorisation aux habitants des régions côtières d’exploiter le sel et l’autorisation des piquets de grève devant les magasins de textiles étrangers. Gandhi renonce aux enquêtes sur les excès de la police. En échange le vice-roi accepte des négociations ultérieures sur le statut des Indes. Churchill parle d’une gigantesque « humiliation » pour l’Empire. À cause de sa politique de conciliation, Lord Irvin, vice-roi des Indes, est remplacé par Lord Willingdon. Nehru (fils) est à nouveau atterré. Gandhi déplore les attentats terroristes et exhorte les auteurs à le prendre pour cible.

 

En Angleterre avec sa chèvre : Il s’embarque pour l’Angleterre le 29 août 1931 avec une poignée de fidèles et sa chèvre pour se rendre à la deuxième Conférence de Table ronde. Jinnah (1876-1948), le chef de la Ligue musulmane, est présent ; les autres représentants du Congrès sont absents. Ganghi séjourne dans un quartier populaire de Londres du 13 septembre au 5 décembre. Il sympathise avec les habitants, et les enfants lui offrent des cadeaux pour son anniversaire le 2 octobre. Les travailleuses du Lancashire, victimes du boycott des textiles anglais, lui font un accueil chaleureux. Il rencontre l’intelligentsia anglaise. Mais les pourparlers pour l’indépendance des Indes sont un échec ; la fondation du Pakistan, ébauchée par Jinnah, est rejetée. Gandhi séjourne trois mois en Europe où il donne plusieurs conférences, et rencontre Romain Rolland. Dans l’Italie mussolinienne, il déclare : « (…) combien de temps peut durer un régime assis sur des pointes de baïonnettes ? ». Mais les nouvelles qui lui arrivent des Indes ne sont pas fameuses. Durant l’été et l’automne 1931, les jeunes révolutionnaires armés du nord de l’Inde ont agité le pays. La désobéissance civile a repris en violant le pacte Gandhi-Irvin, en mettant le Congrès hors la loi ; Nehru (fils) a été arrêté avec d’autres. Le 28 décembre, Gandhi débarque à Bombay et le 4 janvier 1932, il est interné dans la même cellule que Patel et Desai à Yeravda jusqu’au 8 mai 1933. De nouvelles ordonnances traitent les Indiens comme un peuple ennemi, les fonds du Congrès sont saisis et ses chefs emprisonnés. Cette « répression » dépasse « toutes les limites permises » selon Gandhi. La presse est bâillonnée : en juillet 1932, 109 journalistes et 98 imprimeries sont victimes de procès et plus de 61 000 Indiens sont incarcérés.

 

L’intouchabilité : Suite à la campagne du dirigeant intouchable Ambedkar, le gouvernement accorde aux intouchables un électorat séparé et la possibilité d’avoir des élus. Le 20 septembre 1932, après avoir averti la presse, Gandhi entreprend un jeûne en prison contre cette mesure ; avec l’idée de le poursuivre jusqu’à la mort ; « (…) faudra-t-il que les intouchables le restent pour l’éternité ? » demande-t-il. Le 26 septembre, alors que sa vie est menacée, le « Pacte de Poona » met fin à son jeûne. En février, pour défendre les 4 millions d’intouchables, il lance de sa prison un hebdomadaire en anglais, Harijan (enfants de Dieu), bientôt suivi de deux autres, l’un en goujerati, l’autre en hindi. Le 8 mai 1933, alors qu’il commence un jeûne de purification, il est libéré. En juillet, 16 ans après sa création, Gandhi dissout l’ashram de Sabarmati dont les biens ont été saisis. Les ashramites se dispersent, et en septembre il fait don des terres maraîchères à une organisation d’intouchables. Le 1er août 1933, il est incarcéré à Yeravda, relâché trois jours plus tard et assigné à résidence à Poona. Le 16 août, il reprend un jeûne parce qu’on l’empêche de s’occuper de la cause des intouchables. Son état de santé étant critique, il est relâché. Mais il renonce à la vie politique le temps de sa remise de peine jusqu’en août 1934. En mars, dans le Bihar frappé par un tremblement de terre, il fait une pause et considère le séisme comme un signe de Dieu contre l’intouchabilité. Les intellectuels contestent cette vision. En avril, il repart en croisade contre l’intouchabilité. En mai, il cesse la désobéissance civile et laisse les mains libres au Congrès en vue des élections de novembre. Il poursuit sa tournée à pied et durant l’été, il échappe à trois tentatives d’assassinat. De plus en plus incompris dans ses actions (rouet, intouchabilité, etc.), il se retire du Congrès en octobre, et fonde une association en faveur de l’artisanat. Il s’installe près de Wardha à Segaon, un village de 600 habitants boueux en temps de mousson et au climat malsain. La communauté constituée principalement de nouveaux fidèles est baptisée Sevagram ; aucune discipline communautaire n’y est imposée. Sevagram et ses environs deviennent une plaque tournante pour l’essor du secteur rural. Une école professionnelle et un périodique y sont créés. Gandhi veut sauver les 700 000 villages de la pauvreté, soit 90 % de la population indienne. Les intouchables depuis toujours sont chargés du nettoyage, si bien que les membres des castes vivent souvent dans les immondices porteuses de maladie. Gandhi lance des campagnes de propreté. Il se penche sur les problèmes alimentaires et fait appel à des chercheurs pour « trouver le régime scientifique idéal », afin de nourrir les affamés avec des plantes locales et leur donner des forces pour travailler. Gandhi donne dans des articles des conseils de cuisson pour ne pas détruire les vitamines des aliments. Il encourage les assises du Congrès dans les villages.

 

Retour en politique : Le 1er avril 1937, entre en vigueur la nouvelle constitution, qui prévoit l’instauration progressive de l’autonomie des Indes. En 1920, Gandhi avait perdu l’espoir de conquérir l’indépendance par le biais des assemblées ; il revient sur cette position. Les élections hissent le Congrès à la tête de six provinces. Les musulmans qui possèdent un électorat séparé, et qui sont représentés par la Ligue musulmane depuis 1906, obtiennent 5 % des voix. Mais les ministres musulmans sont contraints de se rallier à la politique du Congrès pour siéger. Le chef de la Ligue, Jinnah, avocat anglicisé et politicien traditionnel, d’abord ambassadeur de l’union sacrée, comprend de moins en moins Gandhi, qu’il traite de dictateur : « le Congrès veut dominer l’Inde sous la protection des baïonnettes britanniques », dit-il. Le clivage entre hindous et musulmans (1/5 de la population) ne cessera plus de s’accentuer. Dans le discours de Jinnah à Karachi, après les accords de Munich en 1938, se précisent deux idées : la création du Pakistan et l’usage incontournable de la force face à l’Axe. Gandhi de son côté interpelle l’Angleterre ainsi :      « Est-ce donc le triomphe de la violence organisée ? ». Il conseille aux Tchèques la méthode non-violente pour résister à l’hitlérisme. Les États princiers féodaux ne reculent devant aucun moyen pour taire les contestations populaires. Gandhi jeûne quatre jours en mars 1939 en raison d’une rupture des engagements du souverain de Rajkot (75 000 habitants) envers le Congrès, pour mettre un terme à l’agitation populaire sur son territoire. Mais pour avoir commis la faute de faire appel au Vice-roi dans cette affaire, c’est-à-dire avoir employé de mauvais moyens qui ne peuvent conduire qu’à une mauvaise fin, selon sa doctrine, il renonce à un jugement en sa faveur. Ses proches en sont abasourdis. En 1939, Jinnah dénonce l’échec du Congrès pour protéger les droits des musulmans et le culte rendu à Gandhi. Le jour de son anniversaire est devenu effectivement une fête nationale. Les ministères mettent l’accent sur les réformes agraires pour protéger les paysans. Gandhi donne une priorité à la lutte contre l’alcoolisme et pour l’éducation. Sa position sur l’enseignement a cependant évolué. Le « Plan Éducatif de Wardha » préconise la juxtaposition de l’enseignement théorique, de l’alphabétisation en langue vernaculaire et de la formation manuelle à l’école primaire de 7 à 14 ans. La vente de l’artisanat fabriqué par les élèves doit couvrir le traitement des instituteurs. Jinnah se plaint encore de ce que rien n’encourage l’éducation musulmane. Gandhi écrit à Hitler pour encourager la paix ; sa lettre est interceptée.

 

Face à la Seconde Guerre mondiale : En 1939, le loyalisme de Gandhi envers l’Empire n’est plus le même : il écrit dans Harijan du 14 octobre 1939 : « (…) je déclare qu’il est préférable pour elle-même que l’Inde renonce à tout usage de la violence même dans le but de défendre ses propres frontières ». (47p299) En précurseur de la résistance civile, il ajoute que si le peuple indien dit « non » à l’occupant, les armées étrangères n’auront pas le courage d’envahir l’Inde. Une structure économique adaptée dissuaderait tout agresseur. De son côté, le Congrès demande l’autonomie immédiate pour soutenir l’effort de résistance armée. Le 3 septembre, l’Angleterre déclare l’état de guerre entre Sa Majesté (400 millions de sujets) et l’Allemagne, sans consulter les ministres du Congrès indien, qui démissionnent en octobre 1939. Ce départ favorise le retour en politique de la Ligue musulmane, qui en mars 1940 place comme objectif prioritaire la création du Pakistan. Diviser la nouvelle Inde et fonder la nationalité d’un État sur la religion révolte Gandhi. Face à l’enjeu international et afin de ne pas voir un jour Hitler envahir l’Inde, le Congrès propose en août une participation à la guerre, à condition d’avoir la promesse de l’indépendance après la guerre. Nehru parle de capitulation. L’Angleterre et le vice-roi Lord Linlithgow, qui n’ont pas besoin du Congrès pour lever des troupes indiennes, refusent et préparent la répression d’une éventuelle rébellion.

 

Marche vers l’indépendance : La rupture définitive avec l’Empire est consommée, Gandhi ou Bapu (père) est rappelé à la tête de l’exécutif du Congrès et pense que des actions de masse sans une concorde religieuse mèneraient le pays à la guerre civile. Il insiste sur l’importance de son programme constructif pour préparer l’indépendance et planifie la désobéissance civile en quatre étapes. En premier, les membres du Congrès doivent dire qu’ils ne sont ni pro-fascistes ni pro-nazis, mais seulement opposés à l’impérialisme britannique, qui ne reconnaît pas la souveraineté de l’Inde. La seconde étape concerne ce qu’il appelle « la non-violence représentative », qui est la désobéissance civile manifestée exclusivement par les personnalités les plus en vue du Comité exécutif du Congrès, du Comité All India et des Assemblées législatives. Résultat : en décembre, on compte près de 400 arrestations, dont celles 29 ministres. La troisième étape étend la désobéissance civile aux comités locaux, et la quatrième étape l’étend aux simples membres du parti. Le 15 mai 1941, plus de 25 000 personnes étaient emprisonnées. Le Gouvernement envisage une stratégie pour briser le mouvement en libérant tous les satyagrahis à un moment opportun. Fin 1941, l’entrée en guerre du Japon avec l’attaque sur Pearl Harbour permet l’exécution de ce plan, qui est doublé d’un appel au soutien de guerre jusqu’à la victoire finale. Les Japonais arrivent vite aux portes du Bengale par la mer. Mais le Congrès rejette « l’impérialisme arrogant (britannique), qui n’est en rien différent de l’autoritarisme fasciste » . Malheureusement, la majorité des membres ne comprend pas la doctrine gandhienne de la non-violence pour s’opposer à une agression armée extérieure. C’est ainsi que la progression de l’Axe durant l’hiver 1941-42 provoque une scission au Congrès. En février, Churchill tend une perche pour l’indépendance, mais sans garantir l’union nationale indienne, pour ne pas contrarier les Princes et les musulmans. La proposition est rejetée par le Congrès. Bapu va jusqu’à demander le retrait des Britanniques de l’Inde en pleine guerre, et recommande aux habitants des territoires menacés par l’invasion nipponne, dans une lettre datée du 31 mai 1942, d’opposer à l’envahisseur une résistance civile qu’il appelle « non-coopération totale ». Il dit : « Si la population n’a pas le courage de résister jusqu’à la mort, ou celui d’évacuer le territoire conquis, ou n’a pas réussi à le quitter à temps, qu’elle fasse de son mieux ». L’Inde était-elle prête à la résistance civile ? Probablement pas. Bapu déroge à sa doctrine après un pourparler avec des journalistes britanniques, puis Nehru, en acceptant que les militaires britanniques défendent le territoire indien. Bapu appelle tous les Indiens au respect de l’ahimsa jusqu’à l’indépendance. Mais, en juillet 1942, le Congrès ne déclare pas moins que le pouvoir britannique doit immédiatement cesser, que le succès japonais est accueilli avec satisfaction, et qu’un mouvement de désobéissance civile était envisagé sous la direction de Gandhi.

 

« Quittez l’Inde » : Le 7 août, la résolution « Quit India », appelant les Britanniques à quitter l’Inde, est acceptée à Bombay. « Chacun d’entre vous doit se considérer dès à présent comme libre, et agir en homme libre, délivré du joug de cet impérialisme », martèle le Mahatma. Le 9 août 1942, Bapu est arrêté. Les recommandations d’ahimsa ne sont pas suivies, une vague de violence se déclenche contre les symboles du pouvoir britannique. L’Empire utilise des avions pour mitrailler la foule. Le 10 février 1943, à 73 ans, Bapu, détenu dans le palais de l’Aga Khan où il restera jusqu’au 6 mai 1944, commence un jeûne de trois semaines, pour dénoncer l’injustice qui le frappe. Il s’exclame : «Tout cela n’est pas la technique de la non-violence. Les gens ont commis l’erreur de croire qu’il suffit de ne pas tuer pour se considérer comme non-violent. (…) la destruction des ponts et des routes ne change pas le cœur de l’homme». La voix du Mahatma apaise son peuple. Son secrétaire bien-aimé Desai meurt d’un arrêt cardiaque six jours après sa détention. Puis sa femme Kasturbai succombe en février 1944 à une crise cardiaque, suite à une pneumonie. Dans les bras de son époux, les médecins à son chevet, elle demande à être incinérée dans un sari dont le fil provient du rouet de son mari. Une grande tristesse envahit le palais de l’Aga Khan. Bapu contracte le paludisme ; la crainte que sa mort en prison ne déclenche une révolution entraîne sa libération. La guerre affaiblit l’économie du pays, des régions sont menacées de famine et la Ligue musulmane renforce sa position dans les provinces. Le Gouvernement considère que Gandhi s’est discrédité et attend des excuses avant de reprendre des négociations. Bapu se tourne alors vers Jinnah pour que la Ligue appuie les revendications du Congrès ; en échange, il céderait du terrain sur l’idée du Pakistan. Jinnah ne cède en rien et son prestige est rehaussé. En 1945, deux autres tentatives de rapprochement des deux communautés religieuses avortent.

 

Après la victoire des Alliés : plus de deux millions de soldats indiens rentrent dans leur village après avoir vu basculer des empires grâce à la force armée. En 1946, la position britannique en Inde semble renforcée, le Congrès est réduit à néant et ses chefs emprisonnés, sauf Bapu. La répression de 1942 a décapité la résistance, « Quit India » est un échec. Une terrible famine surgit au Bengale, où quelques-uns se sont enrichis sur l’économie de guerre. C’est l’arrivée des travaillistes au pouvoir en Angleterre, et le remplacement de Churchill, qui vont accélérer l’indépendance de 400 millions d’Indiens. En décembre 1945, la Chambre des Communes craint une révolution du peuple indien. Début 1946, des émeutes éclatent. C’est sous la double pression du peuple et des difficultés rencontrées pour remplacer les colons aux postes clés de l’administration que les partisans britanniques à la cause indienne et Bapu se retrouvent sur le chemin des négociations. En mai 1946, Bapu se déclare dans Harijan satisfait de la proposition britannique. Le 16 août, survient le « Grand massacre de Calcutta » conduit par la Ligue musulmane, bilan : 5000 morts et 15 000 blessés. Bapu en mauvaise santé se rend sur place et réussit à calmer les esprits ; il marche pieds nus parmi les ruines et les cadavres. La Ligue rejette la proposition de participer à l’Assemblée constituante du 9 décembre 1946, et l’Inde est au bord de la guerre civile. Jinnah lance des campagnes d’actions directes et les années 1946-47 sont le théâtre d’une atroce guerre civile de religion. En mars 1947, Lord Mounbatten succède à Lord Wavell avec pour mission de préparer l’indépendance de l’Inde. Il invite aussitôt Gandhi qui, pour rétablir la concorde nationale et peut-être éviter la création du Pakistan, propose de placer Jinnah à la tête du pays. Mais Jinnah en position de force exige la création du Pakistan. Le plan du 3 juin prévoit la cession du pouvoir à deux États pour le 15 août 1947.

 

Une victoire amère : Le 15 août 1947, Bapu ne participe pas aux festivités de l’indépendance avec le reste de l’Inde. Infatigable, il travaille seul pour l’arrêt des violences à Calcutta. Il essaie de construire un dialogue entre les deux communautés pour atténuer les tensions dans le nord de l’Inde et le Bengale. Début septembre à Calcutta, il jeûne pour la paix entre les communautés et réussit l’impensable en trois jours. La partition provoque l’exode de douze millions de réfugiés entre l’Inde et le Pakistan et un million d’entre eux périssent de la guerre civile. Bapu est choqué quand le gouvernement indien refuse aux Pakistanais les 44 millions de livres sterling prévus dans les négociations de la partition. Des dirigeants comme Patel craignent que le Pakistan n’utilise l’argent pour financer la guerre contre l’Inde. Bapu est aussi choqué quand des demandes sont faites pour déporter tous les musulmans au Pakistan. Tous ces tristes événements bouleversent Bapu, qui parle de lui comme étant « un cadavre », il n’a plus le goût de la vie. Il lance son dernier jeûne à Delhi du 13 au 18 janvier 1948 à l’âge de 78 ans, pour que les violences communautaires cessent définitivement, que le Pakistan et l’Inde garantissent la sécurité et les droits pour les pratiquants de toutes les religions, et pour le paiement des 44 millions de livres sterling au Pakistan. Après de longs débats, le gouvernement indien paie la somme. Et de nouveau, l’impensable en cette période de troubles se produit. Les dirigeants de chaque communauté lui font allégeance et déposent les armes, renoncent à toute violence et demandent la paix. Bapu rompt son jeûne alors que les luttes religieuses cessent graduellement. Infatigable, son ambition se centre alors sur son programme constructif. Le 20 janvier 1948, près de Birla House, à New Delhi, une bombe est dirigée contre lui pendant le sermon de la prière. Il pardonne et demande à la police de relâcher le criminel. Le soir du 30 janvier, alors qu’il rejoint au même endroit ses 500 000 fidèles pour la prière, Bapu est abattu à bout portant de plusieurs balles de révolver par Nathuram Godse, un brahmane radical appartenant comme le précédent au groupe extrémiste Hindu Mahasabha. Godse tenait Gandhi responsable de l’affaiblissement de l’Inde pour avoir fait payer la dette au Pakistan. Nehru s’adresse en ces termes à la nation à la radio : « Amis et camarades, la lumière a quitté nos vies, l’obscurité est partout, et je ne sais pas trop quoi vous dire et comment vous le raconter. Notre dirigeant bien aimé, Bapu comme nous l’appelions, le père de la Nation, n’est plus. Peut-être ai-je tort de dire cela ; néanmoins, nous ne le verrons plus comme nous l’avons vu toutes ces années, nous ne pourrons plus lui demander conseil ou consolation, et c’est un coup terrible, pas seulement pour moi, mais pour des millions et des millions dans ce pays ». Selon sa volonté, les cendres de Mohandas Gandhi sont dispersées dans plusieurs grands fleuves du monde tels que le Gange, le Nil, la Volga et la Tamise. Deux millions d’Indiens assistent à ses funérailles.

Note h : Shrimad Rajchandra est de la même génération que Gandhi. C’est un jaïn richissime, un négociant en diamants et un philosophe-poète doué d’une intelligence, d’une culture et d’une mémoire reconnues hors du commun. Il est mort à 31 ans pour avoir négligé son corps, selon Gandhi qui le considérait comme son gourou. (35p23&42p150) « Aussi fut-il mon refuge, à mes moments de désarroi spirituel » dit-il (2p114).

Note p : Annie Besant (née Wood) née à Londres en 1847 et décédée à Chennai en 1933 est une théosophe, une féministe, une écrivaine et une politicienne d’envergure. Elle prend part aux luttes ouvrières en Angleterre. Elle devient présidente de la Société Théosophique, et part pour l’Inde en 1893 pour la développer. Elle s’engage pour l’indépendance de l’Inde en fondant la Home Rule League avec le soutien de Tilak. En 1915, elle est élue présidente du Congrès, et participe activement au mouvement de non-coopération. Elle établit également la Central Hindu School. Elle écrit dans les journaux New India et Commonwealth. Elle fonde la fédération britannique de l’Ordre Maçonnique. Elle étudie les enseignements de l’Islam et la vie du prophète Mohammed. (14)

 

 

 

 

 

 

 

 

 II-4- LA BOÎTE À OUTILS DE L’ACTIVISTE NON-VIOLENT

 

« Les moyens peuvent être comparés à une graine, la fin à un arbre ; et il y a la même relation inviolable entre les moyens et la fin qu’entre la graine et l’arbre ». – « Selon ma philosophie de la vie, la fin et les moyens sont des termes convertibles ». – « La désobéissance civile est le droit imprescriptible de tout citoyen ». Gandhi* (19p147&235)

 

II-4-1- Introduction

Tout théoricien de la non-violence écrit bien souvent en marge de l’action, et prend le risque de vouloir standardiser ce qui ne peut pas l’être. Il n’existe pas de moyens de lutte standard, il faut être présent sur le terrain pour adapter la stratégie de lutte au milieu. Selon René Girard, qui a publié La Violence et le Sacré en 1972, « le propre de la violence est de détourner le conflit de son objet et de le centrer sur le seul jeu de la rivalité mimétique des antagonistes ». (11p78) Ensuite, c’est la supériorité de la force qui décide de l’issue du conflit, et non pas la justesse des revendications et encore moins le droit. La non-violence, en mettant en avant le seul objet du conflit, annule aussi la force en tant que facteur de décision, et prive l’oppresseur de son principal atout. Comme ce dernier ne dispose pas des arguments qui justifient sa position devant l’opinion, il n’a plus qu’à s’incliner. Si la force de l’adversaire armé repose sur le nombre de fusils et d’hommes qu’il a pour les tenir, la force non-violente repose sur la volonté de faire respecter la justice sociale, le droit, avec le soutien des médias et de l’opinion publique. Les effectifs des mouvements non-violents augmentent d’autant plus facilement qu’ils n’utilisent pas d’autre arme que la justice sociale ou le respect des Droits de l’Humain, de la Nature et de l’Animal. Les cartouches d’un mouvement non-violent ne sont jamais épuisées.

La psychanalyse a montré que, dans la violence, l’homme projette son angoisse de mort sur l’autre, qu’il veut détruire pour se libérer de sa peur. « Dans l’action non-violente chacun est invité à intérioriser cette angoisse de mort ». (11p84) Seule la force spirituelle permet de réaliser ce changement. Pour cette raison, Gandhi* pratiquait et recommandait la prière et le jeûne. Le don de soi est purificateur, il annihile le mal, il appelle à l’apaisement et au dialogue en libérant l’oppresseur ou le malade de sa propre peur, de son insuffisance et de son isolement. Il ne faut jamais se laisser gagner par la contagion de la peur ni par le mimétisme de la violence. Nous savons, cependant, que l’amour n’est pas la panacée qui écarte la guerre, et que la non-violence est inopérante quand elle ne s’inscrit pas dans une stratégie d’action.

À la Conférence de Genève du 10 décembre 1931, Gandhi* parle de la non-violence appliquée dans les luttes sociales ainsi : « À la minute même où les travailleurs comprennent que le choix leur est offert de dire “oui” quand ils pensent “oui”, et “non” quand ils pensent “non”, le travail devient le maître et le capital l’esclave. Et il n’importe absolument pas que le capital ait à sa disposition des fusils, des mitrailleuses et des gaz empoisonnés, car il restera parfaitement impuissant si le travailleur affirme sa dignité d’homme en restant absolument fidèle à son “non”. Le travail n’a pas besoin de se venger. Il n’a qu’à rester ferme et à présenter sa poitrine aux balles et aux gaz empoisonnés ; s’il reste fidèle à son “non”, celui-ci finira par triompher. Mais je vais vous dire pourquoi le mouvement ouvrier si souvent capitule. Au lieu de stériliser le capital, comme je l’ai suggéré en tant qu’ouvrier moi-même, il cherche à prendre possession du capital pour devenir capitaliste à son tour. Par conséquent, le capitalisme, soigneusement retranché dans ses positions et bien organisé, n’a pas besoin de s’inquiéter ; il trouve dans le mouvement ouvrier les éléments qui soutiendront sa cause et seront prêts à le remplacer. Si nous n’étions pas fascinés par le capital, chaque homme et chaque femme comprendrait cette vérité essentielle. Ayant moi-même participé à l’organisation ou organisé des expériences de ce genre dans toutes sortes de cas et pendant longtemps, je puis dire que j’ai le droit de parler de cette question, et que je possède quelque autorité en la matière. Il ne s’agit pas là de quelque chose de surhumain, mais au contraire de quelque chose qui est possible à chaque travailleur, homme ou femme. En effet, ce qu’on demande à l’ouvrier ne diffère pas de ce qu’accomplit en un certain sens le soldat qui est chargé de détruire l’ennemi, mais porte sa propre destruction dans sa poche. Je désire que le mouvement ouvrier imite le courage du soldat, mais sans copier cette forme brutale de sa tâche qui consiste à apporter la mort et les souffrances à son adversaire. Je me permets de vous affirmer d’ailleurs que celui qui est prêt à donner sa vie sans hésitation et en même temps ne prend aucune espèce d’armes pour faire du mal à son adversaire, montre un courage d’une valeur infiniment supérieure à l’autre ». (29 p208-209)

De nos jours, la plupart des salariés des grandes entreprises acceptent d’acheter des actions (produits boursiers) avec un abondement offert par leur patron, pour investir l’intéressement ou la participation que leur verse leur entreprise. Les salariés sont tenus par les traites de remboursement des crédits qu’ils contractent pour acheter leurs maisons, leurs voitures, leurs meubles, etc. Le consumérisme a gagné toutes les chaumières et gangrené tous les esprits, le capital est roi et l’avilissement des consommateurs n’a jamais été aussi grand. Il convient de s’affranchir de la dépendance des banques qui mettent une camisole financière aux luttes sociales. Il faut savoir satisfaire ses besoins sans abuser. L’autonomie est un facteur important sur lequel nous reviendrons. Notons aussi l’embourgeoisement de presque toutes les classes sociales en France, qui se construit en grande partie sur la spoliation du Sud. L’assistanat aussi tue les revendications sociales. La misère intérieure de la population est grande, et fait plus pitié que la misère physique rencontrée dans le Sud. Mais le Sud nous emboîte le pas et la tâche qui est devant nous est immense.

C’est un profond malaise social engendré par une dérive autoritaire de l’État, une occupation étrangère par la force, une taxe ou un impôt injustifié, une loi ou un règlement injustes, de mauvaises conditions de travail, des salaires insuffisants, la grande pauvreté, le saccage de la nature, le martyre des animaux, etc., qui déclenchent des actions non-violentes de protestation de masse ou individuelle. Nous allons passer en revue des moyens d’actions non-violents illustrés par des exemples.

 

II-4-2- La désobéissance civile

La désobéissance civile est le refus de se soumettre à une loi jugée injuste par celui ou ceux qui la contestent. Le terme nous vient d’Henry David Thoreau* qui prend la défense des minorités, il écrit : « De plus, tout homme qui aurait raison contre ses voisins constitue déjà une majorité d’un » – « Une minorité est sans pouvoir tant qu’elle se conforme à la majorité : ce n’est même pas alors une minorité ; mais elle est irrésistible lorsqu’elle fait obstruction de tout son poids. S’il n’est d’autre alternative que de garder tous les hommes justes en prison ou bien d’abandonner la guerre et l’esclavage, l’État n’hésitera pas à choisir ». (33p15-16) Pour Thoreau*, la prison est « la seule maison dans un État esclavagiste où l’homme libre puisse trouver un gîte honorable ». (33p16) La désobéissance civile est un outil contre la       « dictature de la majorité » qui sévit en démocratie, selon Tocqueville, un illustre contemporain de Thoreau*. L’histoire romaine a conservé la mémoire de manifestations de femmes en 195 av. J.-C., contre des restrictions vestimentaires, ainsi qu’en 42 av. J.-C. contre une taxe abusive. (11p61)

En 1971, j’ai été appelé pour effectuer les trois jours du service militaire à Cambrai. J’ai refusé tous les ordres en bloc : port du brassard, nourriture, tests, etc. Les gradés m’ont menacé et j’ai tenu bon. Le soir je me suis rendu à la cafétéria pour faire de la propagande contre la guerre ; de nombreux appelés ont approuvé mes arguments. Le lendemain j’ai été renvoyé de la caserne et libéré des obligations militaires.

La désobéissance civile s’incarne dans les actions répétées du mouvement des faucheurs volontaires en France, qui se constituent aussitôt prisonniers après les arrachages de plants d’OGM. Ils contestent ainsi la liberté donnée aux firmes d’expérimenter la culture des plantes génétiquement modifiées en plein champ, sans s’opposer bien entendu aux OGM de laboratoire utiles à la médecine. Ils le font pour faire respecter le principe de précaution inscrit dans la Charte de l’environnement, ainsi que le droit à un environnement sain, reconnu maintenant dans la Constitution française. Cette Charte n’existait pas au moment des premières actions des faucheurs.

 

II-4-3- Le satyagraha (force de la vérité)

Cette technique s’apparente à la désobéissance civile avec une dimension spirituelle en plus. Elle s’adresse aux masses. Gandhi* utilise le terme satyagraha pour remplacer le terme anglais « résistance passive », impropre, parce qu’il n’exclut pas complètement l’usage de la violence. Pour présenter ce concept, reprenons le texte historique publié par Gandhi* le 24 mars 1919 à Madras, qui demande l’application du premier satyagraha en Inde et en donne la définition. Ce texte  a été mûrement réfléchi durant les quatre années suivant son retour au pays. Ce mot d’ordre fut respecté dans toute l’Inde jusque dans les villages reculés : « Le satyagraha, comme je me suis efforcé de l’expliquer en de nombreuses réunions publiques, est essentiellement un mouvement religieux. C’est une conduite de purification et de pénitence. Il cherche à assurer des réformes ou redresser des torts par la souffrance volontaire. Je me risque donc à suggérer que le second dimanche après la publication de l’approbation du vice-roi au Bill n° 2 de 1919 (c’est-à-dire le 6 avril) soit jour d’observance en esprit d’humilité (r) et de prière. Comme il doit y avoir une démonstration publique effective en accord avec le caractère de l’observance, je demande la permission de conseiller la conduite suivante :

       Un jeûne de vingt-quatre heures, à compter du dernier repas du soir précédent, devrait être observé par tous les adultes, à moins qu’ils n’en soient empêchés par des considérations de religion ou de santé. Le jeûne ne doit pas être regardé sous aucun aspect ou forme, comme une grève de la faim, ou destiné à faire une pression quelconque sur le gouvernement. Il doit être regardé, en ce qui concerne les satyagrahis, comme une discipline nécessaire pour habiliter à la désobéissance civique envisagée dans leur engagement, et, en ce qui concerne les autres, comme un faible témoignage de l’intensité de leurs sentiments blessés.

       Tous travaux, à l’exception de ceux qui peuvent être indispensables à l’intérêt public, devraient être suspendus pour la journée. Les marchés et autres lieux d’affaires devraient être fermés (…). Je n’hésite pas à recommander que ces deux suggestions soient adoptées par les fonctionnaires publics (…). Ils ont, à mon avis, un droit indubitable d’exprimer leurs sentiments sur les problèmes vitaux, de la manière très mesurée et circonscrite suggérée dans ce document.

       Des réunions publiques devraient être tenues ce jour-là dans toute l’Inde, sans exclure les villages, réunions où seraient prises des résolutions demandant le retrait de ces mesures.

Si mon conseil est estimé digne d’être accepté, la responsabilité incombera, en principe, aux diverses associations du satyagraha d’entreprendre le travail nécessaire d’organisation, mais toutes les autres associations mettront, je l’espère, la main à la besogne avec elles, pour faire de cette démonstration un succès. 

Engagement du Satyagraha : Étant en âme et conscience d’opinion que les projets de loi connus sous les noms de : Projet de loi criminelle indienne, 1919  1 (ou amendement), et Projet de loi criminelle, 1919  1 (ou Pouvoirs pour nécessité urgents), sont injustes, subversifs des principes de liberté et de justice, et destructifs des droits élémentaires des individus, sur lesquels la sauvegarde de la communauté dans sa totalité, et l’État lui-même sont fondés, nous affirmons solennellement que, dans le cas où ces projets deviendraient lois, et jusqu’à ce qu’ils aient été retirés, nous refuserons par devoir civique, d’obéir à ces lois et aux autres lois, qu’un comité a désignées tout à l’heure, jugera convenable de choisir ; et nous affirmons en outre que dans ce combat nous suivrons loyalement la vérité et nous abstiendrons de violence à la vie, aux personnes et aux biens ». (41p139-140)

Si le caractère religieux ici peut choquer les non-croyants, notons que cette méthode, qui s’apparente à une grève générale, n’est pas moins applicable dans un esprit laïc. Notons aussi l’intérêt des associations citées par Gandhi* dans l’organisation. Notons enfin en dépit de la traduction, la qualité de la communication très soignée, mesurée et bien argumentée.

Je complète avec cette citation extraite d’une lettre de Gandhi* datant du 2 septembre 1919 : « Le Satyagraha, aussi bien que les armes de guerre, est connu depuis des temps immémoriaux… Ces deux formes de force sont préférables à la faiblesse, à ce que nous connaissons sous le nom plus laid, mais aussi plus approprié, de “lâcheté”. Sans l’une ou l’autre de ces forces, le Swaraj ou le véritable éveil populaire est impossible (…) ». (42p291-292)

Note r : le texte traduit dit « humiliation » pour « humilité ».

 

II-4-4- La conscientisation de la victime

Étienne de La Boétie, au XVIe siècle, note dans son Discours de la servitude volontaire : « Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire ». (10p8) Mais comment l’esclave ou l’opprimé peut-il devenir un sujet résistant ? Il faut dans un premier temps que la victime se révèle à elle-même, que l’opprimé prenne conscience qu’il est une victime et qu’il a à sa portée des moyens d’action, afin qu’il passe de la résignation silencieuse à la rébellion. L’analyse comparative de sa situation avec d’autres personnes ayant le même statut social, mais pas le même traitement, doit lui ouvrir les yeux. L’opprimé prend conscience que sa condition est inacceptable et qu’il possède des moyens de pression non-violents pour rétablir sa dignité. Son devoir est de s’insurger, conformément au droit international et aux Droits de l’Homme.

 

II-4-5- L’analyse de la situation

L’analyse de la situation et du préjudice subi est la première action à entreprendre, afin de poser une revendication réaliste, qui ait des chances d’être satisfaite. Il faut se demander comment et pourquoi l’injustice est apparue ; qui sont les responsables en cause ; qui détient le pouvoir de décision ; savoir ce que dit la loi, sauf si la loi est en cause ; savoir qui sont nos alliés et nos adversaires ; définir les moyens de communication, un porte-parole qui maîtrise bien le sujet, avant de se lancer dans une action. L’annonce de la fermeture de Snecma Villaroche Nord en novembre 2004 avait assommé les salariés, personne ne comprenait pourquoi. Les syndicats capitulaient avant d’avoir entamé la lutte. J’ai fait une enquête et écrit une lettre au PDG, qui démontrait le sacrifice de nos activités sur l’autel de la bourse au profit des actionnaires. Et j’ai remis cette lettre à un syndicat, qui l’a envoyée au PDG et aux ministres de tutelle et l’a distribuée sous forme de tract, la lutte était amorcée ; des débrayages ont eu lieu.

 

II-4-6- Le porte-parole ou le chef

Le porte-parole ou le chef joue souvent un rôle important. Jean-Marie Müller écrit : « Il est remarquable qu’en Afrique du Sud ce soit la communauté indienne qui insista auprès de Gandhi* pour qu’il devienne son chef (…). C’est ainsi que de 1893 à 1914, Gandhi* mena le combat pour le respect des droits des Indiens en Afrique du Sud ». (9p109) Gandhi* n’a que 24 ans en 1893. Il n’est cependant pas souhaitable que tout repose sur la notoriété d’un chef, car une fois que ce dernier est lâchement abattu par l’adversaire, le mouvement s’essouffle vite. Le chef doit former des adjoints capables de prendre la relève. « Êtes-vous sûr que le peuple n’est pas prêt, et ne pensez-vous pas plutôt manquer de chefs ? Un chef doit être la réalisation de Dieu à chaque minute des vingt-quatre heures du jour. Il doit se dominer en tout, ignorer le manque de sincérité, la colère, la crainte » (29p129) dit Gandhi*.

 

II-4-7- La conversion de l’adversaire à notre cause par l’amour

Rappelons que Gandhi* considère ses adversaires comme des victimes et les traite avec loyauté et courtoisie. Il ne se lasse pas d’essayer de les convertir à sa bonne cause ou au respect de leurs semblables. Il attire leur sympathie naturellement sans aucun calcul machiavélique. Gandhi* ne cherche pas à démoraliser l’adversaire, mais à le convertir à sa cause par son amour. La démoralisation de l’adversaire signalée par le stratège Sun Tse de la Chine antique est tout autre, même si les stratèges de cette époque cherchaient à gagner les guerres sans combattre sur le terrain. La non-violence est étrangère à ce qu’on appelle la « guerre psychologique » et aux techniques de subversion, de fausse rumeur, de propagande, de désinformation pour neutraliser la volonté de l’ennemi. Gandhi* change parfois d’avis parce qu’il reconnaît soudainement commettre une erreur, mais il est étranger à l’emploi de la ruse et du machiavélisme. Dans les luttes non-violentes, la juste cause défendue favorise naturellement les divisions internes dans le camp de l’oppresseur et la désertion de ses troupes. Dans l’histoire des luttes non-violentes et notamment des révolutions de velours des pays de l’Est après la chute du mur du Berlin, la police et l’armée refusent de tirer sur la foule et rejoignent souvent le camp des manifestants non-violents.

 

II-4-8- Définir une stratégie d’action

Il faut trouver la vulnérabilité de l’adversaire sur laquelle le plus grand nombre de personnes, ou une personne si elle en a l’autorité morale, peut exercer une prise. La stratégie doit permettre de passer progressivement à des revendications plus ambitieuses, toujours en relation avec la presse et les médias amis. Le projet se construit autour d’un objectif précis, mais il est bien rare qu’une seule étape permette d’atteindre cet objectif. Dans ce cas, le projet doit être divisé en étapes, qui ont chacune une analyse spécifique des risques encourus et des moyens appropriés. La logique d’enchaînement des étapes conditionne la réussite finale.

Suivons la progression des luttes de Gandhi*. Dès qu’il pose les pieds en Afrique du Sud en 1893, il s’élève d’abord contre la communauté indienne, qu’il veut éduquer (propreté, loyauté en affaires) pour enrayer les actes de xénophobie des Britanniques à son encontre. Mais face à l’injustice sociale persistante et grandissante, il pratique la désobéissance civique. Ses actes de résistance et ses discours ont aussitôt un retentissement dans la presse locale. En riposte à un projet de loi qui veut retirer le droit de vote aux Indiens, il fonde en 1894 une organisation politique, le Congrès indien du Natal. En 1896, il rencontre en Inde les chefs du Congrès national indien, et en 1901, ce Congrès approuve sa motion en faveur des travailleurs indiens d’Afrique du Sud. En 1900, 1906, 1914, (échec en 1918), il entraîne les Indiens dans la guerre aux côtés des Britanniques. Mais ces efforts patriotiques ne lèveront pas les injustices. En 1903, il ouvre un cabinet à Johannesburg et abandonne tous ses biens. En 1904, il gagne quantité de procès contre la municipalité, et fonde le journal Indian Opinion dans lequel il s’adresse aux travailleurs. Il fonde la colonie de Phoenix au Natal pour entraîner ses disciples à une vie simple et fraternelle. En 1906, il lance une campagne contre la « Loi noire » qui humilie les Indiens. En 1907, il forge le terme « Satyagraha », et l’association du même nom pour organiser la résistance. En 1908, il durcit la lutte en brûlant « les permis volontaires » et fait son premier séjour en prison. En 1909, il plaide à Londres contre la Loi noire, et écrit Hind Swaraj, où il présente son programme pour la libération de l’Inde. En 1910, il fonde un second ashram de satyagrahis au Transvaal. En 1913, il lutte contre un nouveau projet de loi, déclenche des grèves et obtient des concessions du gouvernement. De retour dans son pays en 1915, Gandhi* le parcourt pour mieux le connaître. Il se rend à Champaran en 1917 pour défendre les paysans. En dénonçant les abus, il fait l’éducation des paysans. Puis, il lance le mouvement du kadhi (textile indigène). En 1918, il soutient les ouvriers des filatures d’Ahmedabad et les villageois du Kheda. Gandhi* engage la bataille nationale après avoir remporté ces victoires locales. En avril 1919, il ordonne le hartal national (jeûne accompagné de prières) et lance deux journaux et une imprimerie, qui serviront sa propagande. En 1920, il défend le mouvement du Califat pour se rallier les musulmans, et réforme le Congrès en l’ouvrant aux villageois. Il lance son programme national de non-coopération en quatre étapes. En 1926, il se retire un an de la vie politique pour mieux faire de la propagande pour le kadhi et en 1927, il multiplie les discours et les autodafés de textile britannique. L’année qui suit, il demande le statut de dominion pour l’Inde. En 1929, le Congrès déclare l’indépendance de l’Inde. En 1930, c’est la Marche contre la taxation du sel. En 1934, il se retire du Congrès pour mieux se consacrer au programme constructif, qui affaiblit l’économie coloniale. En 1942, en pleine guerre, il lance le mouvement « Quit India ». Les coups portés à la colonisation, et l’arrivée des travaillistes au pouvoir en Angleterre entraînent l’indépendance en 1947.

II-4-9- La communication

Une grande partie de la stratégie non-violente repose sur l’art de communiquer avec les médias locaux ou internationaux. Le porte-parole et la qualité des communiqués de presse, des interventions publiques jouent un rôle fondamental, pour que le mouvement reçoive le soutien des médias et de l’opinion publique. Dans les régimes totalitaires, les manifestations populaires ou étudiantes ne peuvent pas porter leurs fruits sans un relais de la presse et des associations étrangères, et l’appui international des nations qui reconnaissent les Droits de l’Homme. Les manifestants font des conférences, émettent des communiqués, des tracts, des affiches, des livres, voire leur propre journal, et tiendront des réunions d’information. Gandhi* utilise les médias avec talent. Au Natal, pour préparer le satyagraha, il écrit dans Indian Opinion, en Inde il écrit dans Young India, dans l’hebdomadaire Nevajivan et dans Harijan. Il s’est lié aussi avec les journalistes occidentaux. Le pasteur Martin Luther King* est de son côté un grand prédicateur. En pleine occupation allemande, le général de Gaulle lance entre 1940 et 1942 au micro de la BBC des appels à la résistance civile, invitant la population française à manifester, par exemple le 1er janvier, le 1er mai ou le 14 juillet. Durant le terrible hiver de 1954, l’abbé Pierre*, encore jeune prêtre, lance le premier février un appel sur les antennes radios ; le voici en partie : « Mes amis, au secours (…). Une femme vient de mourir gelée cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée. Devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre les hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure. (…). Chacun de nous peut venir en aide aux sans-abri. Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain : cinq mille couvertures, trois cents grandes tentes américaines, deux cents poêles catalytiques. Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse, ne couchera ce soir sur l’asphalte ou les quais de Paris. Merci ». Le Parlement lance quelques semaines plus tard un programme d’urgence de douze mille logements (11p53). En 1990, l’abbé Pierre* voyage aux États-Unis et au Brésil pour accompagner la sortie du film biographique « Hiver 54 ». Louis Lecoin* écrit au sujet du journal Liberté qu’il a créé pour faire reconnaître le statut d’objecteur de conscience : « sans lui nous aurions perdu la partie, car avec lui, nous l’avons gagnée de justesse ». (31p241) Après la lutte que j’ai déclenchée à Villaroche Nord, j’ai organisé, avec un syndicat et des élus, une conférence de presse devant la barrière de l’entreprise, un article est paru dans le journal local La République pour informer les citoyens, les élus locaux, et motiver les salariés à se défendre. Notons le rôle important qu’a joué l’économiste et chercheur belge Raoul Marc Jennar, avec ses analyses diffusées sur Internet contre le Traité Constitutionnel Européen (TCE) présenté par référendum en 2005, et rejeté par les Français. Je ne peux pas m’empêcher de dénoncer le déni de démocratie de la France qui, après le « Non » au TCE, a fait passer le même projet par la voie parlementaire.

 

II-4-10- Les symboles de la lutte

« Il se peut que les moyens qu’il emploie dans ses croisades du sel, du rouet, du kahdi, puissent paraître trop simples. Mais Gandhi*, qui connaît le besoin du coeur et de l’imagination, sait que les symboles nous sont nécessaires, et il les utilise pour acheminer les masses vers la délivrance ». (29p130) En Inde, Gandhi* quitte le costume anglais pour s’habiller comme les paysans indiens les plus pauvres. Il s’est transformé en symbole vivant de l’Inde profonde. En mémoire à l’œuvre de Gandhi*, le rouet a été mis au centre du drapeau indien après la libération. De l’abbé Pierre*, rappelons « l’image du grand barbu en soutane, en grosse pèlerine et godillots, que lui a un jour offerts un sapeur-pompier ». Sa grande barbe symbolise la pauvreté et la vocation apostolique.

 

II-4-11- La cohésion initiale des manifestants

Cette cohésion est celle qui existe avant la déclaration du conflit. Un bel exemple pour l’illustrer est celui de « la résistance civile norvégienne contre l’occupation nazie (…). En février 1942, huit mille enseignants (sur quatorze mille en exercice) protestèrent en envoyant une lettre ». Ils furent soutenus par deux cent mille lettres de protestation de parents d’élèves. La déportation de cent enseignants fit fléchir la résistance, sans la briser. (11p72) Dans une entreprise cette cohésion se construit autour d’une revendication commune.

 

II-4-12- La cohésion construite des manifestants

Cette cohésion est construite par les organisateurs du mouvement. La multiplication des syndicats patronaux, l’intérim, la sous-traitance, la délocalisation de certaines tâches dans des pays « à bas coût » brisent la cohésion initiale et affaiblissent les mouvements sociaux. L’idéal est de fédérer toutes ces forces éparses en entrant en contact avec elles, pour construire la plus large cohésion possible. À cette fin, le mouvement doit expliquer sa stratégie en émettant des tracts, faire des réunions, etc. L’internationalisation des syndicats est indispensable face à la mondialisation capitaliste très bien organisée.

 

II-4-13- La force du nombre

L’efficacité d’une action non-violente est le plus souvent proportionnelle au nombre d’organisations, d’associations, et au nombre des manifestants qui y participent. La force du nombre s’ajoute au bien-fondé des revendications et à la détermination pacifique, ensuite tout est une question de stratégie et de patience. Le rang social des manifestants augmente parfois le pouvoir de se faire entendre et de faire plier l’adversaire. Les qualités humaines et l’autorité spirituelle de Gandhi* font qu’il était capable d’obtenir gain de cause en faisant une grève de la faim, seul. Thoreau*, nous l’avons vu, s’est insurgé seul contre son gouvernement ; son action isolée a eu le mérite de faire école. Une stratégie consiste à impressionner les médias et les adversaires par une immense marée humaine incontournable qui bloque tous les axes de circulation, qui ameute les journalistes et déborde les forces de police et les tribunaux en se constituant prisonnière. Les organisateurs doivent procéder par étapes avant de durcir le mouvement. Ils peuvent négocier avec les autorités, émettre un communiqué à la presse ou à la télévision, réaliser des entretiens pour exposer leurs revendications ou négocier autour d’une table avec la partie adverse, en échange de la dispersion des manifestants, avant de passer à l’étape suivante.

 

II-4-14- L’action directe non-violente

Je considère l’action directe comme non-violente, dès lors qu’elle n’engage que des dégâts matériels. Exemples : le démontage du Mac Donald de Millau cité précédemment ou encore ce témoignage de Louis Lecoin* : « Les magistrats émettant la prétention de juger à huis clos une affaire politique, nous enfonçâmes les portes et envahîmes le prétoire à la stupéfaction générale, Sébastien Faure en tête (l’accusé). Nous fîmes tant de raffut que la séance fut levée et remise à une date ultérieure. Nous nous colletâmes avec les gardes sans laisser d’otages entre leurs mains. Il ne fut pas question de huis clos à la session suivante. Comme quoi l’action directe a du bon ». (31p97)

 

II-4-15- Le contrat de non-violence

Rappelons qu’un mouvement non-violent de désobéissance civile est avant tout une stratégie de lutte et n’est pas pour autant constitué de militants non-violents ou pacifistes. Mais les participants doivent tous respecter une règle d’or. Ils doivent tous s’engager à ne pas faire usage de la violence pendant toute la durée du mouvement. Les plus fragiles doivent renoncer à participer ou ne pas être mis en première ligne. Il faut expliquer aux manifestants que le rapport de force violent est en faveur de l’adversaire. Ce dernier a donc intérêt à provoquer les manifestants en infiltrant des casseurs dans les manifestations pour déclencher la violence, qui tournera à son avantage. Si le mouvement non-violent tombe dans le piège des provocations et use de la violence, il est aussitôt discrédité par l’opinion publique et il ouvre la porte à tous les abus violents de l’adversaire. Durant la campagne de désobéissance civile non-violente lancée par Gandhi* en 1922, la police malmena un cortège à Chauri-Chaura. Les manifestants brûlèrent vifs  le groupe de policiers et taillèrent en pièces les survivants ; Gandhi* dut interrompre la campagne.

 

II-4-16- L’organisation de l’action

Un groupe de manifestants doit contrôler la marche des opérations, guider les manifestants, repérer les éventuelles infiltrations. Un signe particulier, comme un brassard, un bandeau sur la tête, facilite la reconnaissance et la cohésion du groupe. Les points de départ et d’arrivée du cortège doivent être riches en symboles. L’action sur le terrain, les slogans ou les chansons, le signal et le lieu de dispersion, les moyens de transport des manifestants doivent être clairement définis avant l’action. En 1922, en Inde, Gandhi* impute à un défaut d’organisation l’échec de Chauri-Chaura. Solidarnosc prend en compte les échecs de 1970 et 1976, où sa lutte avait été brisée dans un bain de sang par les Soviétiques. L’alcool fut interdit, l’accès aux chantiers fut contrôlé pour écarter les infiltrations des provocateurs. (11p75-76)

 

II-4-17- Les jeux de rôle

Les manifestants doivent être préparés à l’action sur le plan psychologique et physique, comme on prépare un commando. La mise en condition psychologique est fondamentale pour éviter les dérapages violents et avoir une chance d’aboutir. Martin Luther King* prépare les manifestants avec des « jeux de rôles » (role play). Ces jeux de rôles consistent à simuler une confrontation des manifestants pacifiques avec des forces de police agressives. Les organisateurs expliquent les gestes de protection de la nuque et de la tête avec les mains en position de sit-in ou de lie-in. Les manifestants doivent s’attendre à souffrir sans jamais riposter.

 

II-4-18- L’obstruction et les interpositions

Les routiers, les taxis, les conducteurs du rail peuvent faire des opérations escargot avec leurs véhicules ou leurs trains pour bloquer les axes de circulation. Certains corps de métier peuvent couper le courant dans certains quartiers, pour paralyser la production (ordinateurs, machines-outils). Les manifestants occupent parfois les lieux de travail, interdisent l’outil de production, soudent les portails des usines. Je ne préjuge pas ici de la légalité de ces pratiques, mais de leur efficacité. Le sit-in consiste à s’asseoir et le lie-in à se coucher sur le sol pour faire obstruction. « On connaît des cas spectaculaires comme cette barricade humaine au cours de la révolution non-violente en février 1986 à Manille, qui aboutit à la chute du dictateur Ferdinand Marcos ». (11p66) Ce dernier avait organisé la fraude électorale pour empêcher Cory Aquino d’être élue présidente.

 

II-4-19- Les marches, les défilés et les manifestations

Citons la célèbre Marche du sel de Gandhi* et des siens sur 380 km en 1930. Au terme de cette marche, il ramassa une poignée de sel devant les journalistes du monde entier pour signifier son refus de payer l’impôt sur le sel aux Britanniques. Autres exemples : La marche de 710 km à travers la France des paysans du Larzac, du 8 novembre au 2 décembre 1978 de l’Aveyron à Paris, symbolisait l’exode des paysans expulsés de leur terre à cause de l’extension du camp militaire ; la marche pour l’égalité et contre le racisme du 15 octobre au 3 décembre 1983 de Marseille à Paris ; la marche des chômeurs d’avril à mai 1994 ; la marche silencieuse du 23 mai 1998 à Paris,      « pour rappeler le souvenir des millions de victimes de la traite et de l’esclavage des Nègres ». Cette manifestation (40 000 participants) et la cohabitation politique de l’époque « jouèrent sans doute un rôle décisif dans le vote unanime du parlement, le 10 mai 2001, d’une proposition de loi déposée par Mme Christiane Taubira qualifiant la traite de crime contre l’humanité » (Monde diplomatique, novembre 2007) ; la marche pour la décroissance entre Lyon et Nevers, du 7 juin au 3 juillet 2000 et celle du 25 juin au 22 juillet 2006 dans la région Nord-Pas-De-Calais ; la marche pour un moratoire sur les OGM et le respect du droit de produire et consommer sans OGM, qui s’est déroulée entre Chartres et Paris du 9 au 13 octobre 2007. Du 3 au 9 janvier 2008, les Faucheurs volontaires se sont mis en grève de la faim pour rappeler au gouvernement français ses promesses ; ils ont obtenu le moratoire sur les OGM pour l’année 2008.

 

II-4-20- La grève

La grève est un arrêt du travail pour obtenir généralement de meilleures conditions de travail, une augmentation de salaire ou l’empêchement de la fermeture d’une entreprise, etc. Le droit de grève est réglementé et est inscrit dans la constitution. Un seul salarié peut se mettre en grève s’il se rattache à un mouvement national. Les grèves ou les manifestations existent depuis l’Antiquité. En 1822, la grève des charpentiers aboutit à une hausse des salaires pour plusieurs années. En 1834 à Lyon, 14 000 métiers à tisser cessent le travail : les canuts sont en grève pour manifester contre la diminution des salaires. Tous les corps de métier, qu’ils soient des secteurs publics ou du privé, ont eu recours à la grève, y compris les policiers et les magistrats.

 

 

II-4-21- Le boycott 

Le mot « boycott » vient du nom d’un intendant d’un domaine irlandais, qui a dû affronter, vers la fin du XIXe siècle, le refus de payer les fermages, la résistance aux expulsions, le refus de travailler pour son compte, etc. La réussite de ces actions fit le succès du mot « boycott » qui désigne dans un sens large, la rupture de toute forme de relation avec une personne, un organisme ou un État. Si par exemple, tous les consommateurs boycottent les produits OGM en exigeant des aliments biologiques, l’État sera obligé de légiférer dans le sens du consommateur. Mais obtenir un moratoire sur les OGM en France en continuant à manger de la viande d’animaux nourris aux OGM importés des pays étrangers est un non-sens politique. Le blocage des navires et de leur chargement semble un minimum pour alerter les consommateurs.

 

II-4-22- L’embargo

L’embargo est une sanction économique appliquée à un pays par la communauté internationale. Le régime de l’apartheid a été victime de plusieurs sanctions économiques de la part de l’ONU. L’embargo « de l’UE sur les ventes d’armes à la Chine a été décrété fin juin 1989, trois semaines après que des manifestants pour la démocratie eurent été impitoyablement éliminés sur et aux abords de la Place Tienanmen à Pékin » (site du Parlement européen). Le gouvernement français actuel demande la levée de cet embargo. L’embargo doit être accompagné d’actions humanitaires quand il porte atteinte aux populations.

 

II-4-23- La grève de la faim à durée limitée

Ce type de grève est pratiqué au début du XXe siècle par les «suffragettes» anglaises qui demandent le droit de vote ; elles obtiennent gain de cause en 1919 ; Gandhi*, qui est en Angleterre à cette époque, les rencontre. Gandhi* a fait 17 jeûnes ou grèves de la faim, certains de ses jeûnes protestaient contre les dérapages violents de son mouvement. Trois de ces jeûnes seulement étaient dirigés contre le gouvernement britannique. (34p75) Le jeûne lui sert à protester contre toutes les formes d’injustice en cherchant à éveiller la conscience de ceux qui en portent la responsabilité. En 1918, après trois jours de jeûne de Gandhi*, les grévistes des filatures d’Ahmedâbâd obtiennent en partie satisfaction pour leur salaire. En août 1947 à Calcutta, Gandhi* met fin en trois jours aux massacres entre hindous et musulmans, sans empêcher l’embrasement de la guerre civile dû à la partition. En 1978 en Bolivie, « la grève de la faim de plusieurs centaines de femmes de mineurs fut à l’origine de la déstabilisation du régime du général Banzer ». (11p56)

 

II-4-24- La grève de la faim à durée illimitée

Ce type de grève ne peut être que de courte durée, car nous ne restons pas longtemps en vie sans manger. Sa préparation médiatique doit être particulièrement bien soignée. Toutes les chances de réussite doivent être réunies. Elle termine une liste d’actions plus qu’elle ne la commence. En 1932, à la prison de Yeravda, Gandhi* entreprend un jeûne avec l’idée de le poursuivre jusqu’à la mort, contre la loi Mac Donald ; six jours après, le gouvernement britannique a cédé. Le militant irlandais nationaliste Bobby Sands et neuf de ses camarades sont morts entre avril et septembre 1981 d’une grève de la faim en prison. L’IRA a commis une grave erreur en poursuivant des actes de violence pendant la durée de cette grève.

II-4-25- La soumission aux sanctions prévues par la loi

C’est une règle obligatoire, le non-violent se soumet systématiquement à la police pour les infractions qu’il commet volontairement envers la loi. Il va se constituer prisonnier, décline son identité et revendique les raisons de ses actes devant le juge. Gandhi* s’exprime ainsi : « Je suis donc ici prêt à me soumettre d’un cœur joyeux au traitement le plus sévère qui pourra m’être infligé pour ce qui est, selon la loi, un crime délibéré et me paraît à moi le premier devoir du citoyen (…) ». (29p133) Les chefs de la Révolution ne doivent pas être rendus les seuls responsables et les seuls condamnés par la justice.

 

II-4-26- Le programme constructif

« Chaque citoyen doit (…) apprendre à ne jamais se contenter d’être un revendicateur et un demandeur, même de la justice et de la paix », dit le philosophe activiste non-violent Jo Pyronnet, dans son livre L’action non-violente, Témoignage chrétien, publié en 1965 (11). Gandhi* de son côté dit : « Il faut incarner les changements que l’on veut voir dans le monde ». Gandhi*, par exemple, lance des programmes d’éducation et d’hygiène pour les pauvres indiens et le mouvement du Khadi, qui leur redonne le filage du coton au rouet et le tissage de leurs propres vêtements, afin de les affranchir des textiles britanniques et de la misère. Gandhi* reçoit un accueil chaleureux des travailleuses des filatures anglaises privées de travail, quand il vient leur expliquer que les Indiens aussi ont besoin de travailler. Aux États-Unis, Cesar Chavez* et les siens créent un syndicat et des centres d’éducation de santé et de crédit pour les ouvriers agricoles. Auroville, la ville internationale créée par Mirra Alfassa, la compagne spirituelle  de Sri Aurobindo, en 1968 en Inde, et la communauté de l’Arche de Lanza Del Vasto* en France sont des exemples de programmes constructifs. Les associations et les ONG sont pour la plupart des programmes constructifs qui compensent les carences des États ou des organisations internationales comme l’ONU.

II-4-27- Le bouclier humain

Cette stratégie consiste à envoyer des militants non-violents sur des zones sensibles, pour protéger des populations humaines, animales, ou la nature, afin d’empêcher des agressions à leur encontre et de mobiliser les médias. Les biographies de José Bové et du général de Bollardière donnent des exemples de cette pratique. Ce dernier est arrêté sur son voilier au large de Mururoa le 17 juillet 1973, alors qu’il manifestait de façon non-violente contre les essais nucléaires de la France.

 

II-4-28- Les ventes sauvages ou les cadeaux

Les producteurs agricoles réalisent parfois des distributions gratuites ou des ventes sauvages de leurs produits directement aux consommateurs, à prix respectueux : ils entendent ainsi dénoncer à la fois les prix élevés pratiqués par la grande distribution et la modicité des tarifs auxquels leur production leur est achetée. La remise de cadeaux et les invitations conviviales n’apaisent pas seulement les relations interpersonnelles, mais aussi les tensions entre communautés.

 

II-4-29- La désobéissance représentative

Elle consiste en la désobéissance des élus. Par exemple Noël Mamère député-maire (Verts) de Bègles a célébré le premier mariage homosexuel le 5 juin 2004 dans sa mairie au nom de la défense de l’égalité des droits. Cette union était la première de ce type en France. Deux hommes ont été mariés « dans les conditions et avec les obligations du code civil ». Mamère a déclaré à l’AFP : «  (…) la Cour européenne des Droits de l’Homme dit de manière très claire que les textes fondamentaux doivent s’adapter à l’évolution sociale (…) ».

 

En guise de conclusion

Conscient des dangers que représente la domination du monde par une poignée de multinationales, le Brésil de Lula a conçu le premier Forum Social Mondial (FSM) à Porto Alegre en 2001, qui a été réédité chaque année depuis. Ce Forum a proclamé qu’un autre monde est possible. L’Europe a emboîté le pas à Lula en créant Le Forum social européen (FSE). Dans ces forums sociaux se rejoignent les citoyens du monde pour approfondir leur réflexion, militer pour construire une société centrée sur l’être humain et le respect de la nature, s’engager dans des débats d’idées, formuler des propositions, partager leurs expériences librement et s’associer pacifiquement en vue d’actions concrètes, pour la conquête d’un monde meilleur (20).

 

 

 II-5 – LES LETTRES A L’ASHRAM DE GANDHI*

 

II-5-1- Introduction

L’énergie de Gandhi* se consumait au fil de l’action, qui lui a laissé peu de répit. Durant son incarcération à la prison de Yeravda en 1930, Gandhi* écrit son Satyagraha en Afrique du Sud et quinze lettres à l’ashram, qui ressemblent à un testament politique et spirituel. Une seizième lettre écrite en 1931 complète les premières. Je reprends ses lettres en essayant de moderniser leur message. Je n’ai pas repris la lettre XII sur l’humilité, dont l’initiative ne part pas de Gandhi*, dans laquelle il écrit : « L’humilité ne peut être une règle en soi, car elle ne se prête guère à ce qu’on la pratique volontairement ». J’ai scindé Amour et Ahimsa en deux paragraphes. J’ai regroupé la chasteté avec la maîtrise du goût et j’ai ajouté la morale au chapitre de la vérité. Gandhi* était marié et a eu quatre fils. J’ai donc ajouté un paragraphe sur l’amour du couple, et aussi sur le svaraj et l’advaïta. Rappelons les onze vœux que devait prononcer un disciple de Gandhi* : la non-violence, la véracité, l’honnêteté, la chasteté, la pauvreté, le travail corporel, la sobriété, l’intrépidité, le respect de toute religion, l’indépendance matérielle et le refus de l’intouchabilité. Les valeurs qui vont suivre, avec la prière qui est traitée au chapitre précédent, sont interdépendantes ; l’une n’arrive bien souvent pas sans l’autre, et on pourrait trouver bien d’autres recommandations à faire.

 

II-5-2- La vérité (satya)

Ce qui semble vrai est toujours relatif à la situation de l’observateur, de ce qui est observé, des outils utilisés et de la méthode d’observation. La science a elle-même beaucoup progressé avec ses outils. Celui qui perçoit une chose en se plaçant de façon à n’en voir qu’une partie ne peut pas en rendre compte dans sa totalité, la vérité lui échappe. Le mensonge n’est donc pas la seule attitude qui induise en erreur. Et comme le dit si bien Gandhi* : « Le mensonge ne saurait conduire à la vérité » (19p150) ; même si des millions d’hommes répètent un mensonge ou une erreur pendant deux mille ans, elle ne devient pas une vérité pour autant. Il est de notre devoir de dire toujours la vérité et d’être un être authentique, insensible aux artifices, aux excédents de la technologie et de la mode. Gandhi* de son côté s’affranchit du mot « Dieu » en lui substituant « la Vérité ». « Si pourtant on réfléchit un peu plus profondément, on se rendra compte que Sat ou Satya (Vérité) est, pour désigner Dieu, le seul nom qui soit exact et qui ait un sens complet ». – « En fait, dire que la vérité est Dieu est plus juste que de dire que Dieu est vérité ». (32p29) Pour le militant non-violent, pacifiste et agnostique que je suis, il n’est pas question de faire référence à une quelconque vérité divine, qui peut sombrer dans l’arbitraire avec la diversité des religions. Parler de vérité absolue quand on ne peut désigner que des vérités relatives à notre intellect est un leurre. Si l’on voit une vérité supérieure dans la perception transcendantale, elle ne peut pas être explicitée et définie par la pensée. Seuls les chemins qui y mènent peuvent être désignés. Je considère comme dangereux les propos suivants de Gandhi*, s’ils sont interprétés au premier degré : « Il nous est impossible de réaliser la Vérité parfaite tant que nous sommes prisonniers de cette enveloppe mortelle ». (32p35) Cependant, je ne peux pas m’affranchir aussi facilement de la morale et je suis d’accord avec cette phrase de Gandhi* : « L’homme est soumis à l’obligation de se laisser guider dans toutes ses actions par des considérations morales ». (32p8) Mais contrairement à Gandhi*, je ne fais pas référence à la morale religieuse, mais à la morale laïque. Notons que Gandhi* cherche la vérité dans le pays de l’infini (34p71) alors que Thoreau* invite à la découvrir dans la nature, le monde fini. Sa « petite voie intérieure » est la supraconscience dont sont doués tous les renonçants, pour ne pas dire les saints. Nous pouvons tous y accéder par l’expérience (voir le chapitre II-5). Gandhi* recommande de « contrôler sa langue, organe de la parole et du goût. C’est le seul moyen de mettre un frein aux exagérations, aux mensonges et à toute parole blessante ».  Il ajoute que « le silence fait partie de la discipline que doit s’imposer celui qui a fait vœu de servir la vérité » – « L’homme silencieux est celui qui, ayant la possibilité de parler, ne dit jamais un mot de trop ». (19p193-195)

 

II-5-3- L’amour 

Dans ses lettres à l’ashram, Gandhi* demande d’aimer « les voleurs comme les membres de notre famille » (32p37) afin de les convertir par notre amour à devenir honnêtes. L’opération n’est pas utopique dans beaucoup de cas, car dès lors qu’on partage avec ceux qui manquent de pain, ils n’auront plus de raison de voler pour éviter la faim, ou de combattre l’étalage ostentatoire des richesses qui les narguent. Notre première mission est d’aider nos semblables matériellement pour leur santé, intellectuellement pour élever leur degré de connaissance et spirituellement pour élever leur degré de conscience, d’amour et de compassion. Nous ne devons pas confondre combat politique et haine. Nous devons, comme Gandhi* le fait, tenter de convaincre nos adversaires, en leur expliquant leur erreur avant de lancer des actions de résistance civile non-violentes.

Nous devons aimer notre prochain comme on aime les enfants. Un enfant a besoin d’amour pour se sentir en sécurité et s’épanouir, comme tous les êtres et les choses qui vivent sur terre. La force de l’amour soulève des montagnes, c’est l’objectif aussi du satyagraha. L’amour tout entier donné exclusivement à un seul être (dieu, personne, vedette, animal, etc.) nous prive de l’amour universel. Nous devrions tous nous aimer de la même manière et avec force. Dès lors, nous ne recevrons plus l’amour d’une personne, mais de centaines, de milliers. Quand l’un de nous trébuchera, ce n’est plus une personne qui viendra le relever, mais des centaines, des milliers et le paradis sur terre sera réalisé. Voici l’un des plus beaux textes écrits par Gandhi* sur la loi d’amour : « Le fait que tant d’hommes sont encore en vie sur notre planète montre bien que le monde a pour fondement non pas la force des armes, mais celle de la vérité ou de l’amour. Que notre monde vive encore, malgré tant de guerres, prouve on ne peut mieux et de la manière la plus irréfutable que cette force est victorieuse. L’existence de milliers d’hommes, et même de dizaines de milliers d’entre eux, dépend de l’intervention extrêmement efficace de cette force. C’est grâce à elle que l’on voit se dissiper les petites querelles qui troublent la vie quotidienne de millions de familles. Des centaines de nations vivent en paix. Ce fait n’est pas et ne peut pas être retenu par l’Histoire. Celle-ci, à vrai dire, enregistre les événements qui correspondent à un arrêt momentané dans le fonctionnement de cette force d’amour, ou force d’âme. Deux frères se querellent ; l’un d’eux s’en repent et réveille ainsi l’amour qui sommeillait en lui ; tous deux vivent à nouveau en paix ; de ce fait personne ne prend note. Au contraire, la presse s’emparera aussitôt de l’affaire, tous les voisins en parleront et l’Histoire en retiendra sans doute quelque chose, si nos deux frères recourent aux armes ou, ce qui est une autre forme d’intervention brutale, s’ils font appel à la justice (…). Et ce qui est vrai des familles et autres communautés ne l’est pas moins des nations (…) ». (19p236-237)

 

II-5-4- La chasteté et la maîtrise du goût

Gandhi* a très mal vécu sa relation intime avec sa femme Kasturbai, qu’il a parfois rendue malheureuse. En réponse à la violence de ses propres sentiments, il a complètement renoncé à la sexualité, après les atrocités de la guerre contre les Zoulous en Afrique du Sud en 1906. La chasteté ou le brahmacharia (m) « C’est la règle de vie qui nous conduit à Brahma, à Dieu », écrit Gandhi*. (19p196) J’affirme avec lui, et en tant qu’agnostique même, l’immense félicité qu’en tire un homme. La chasteté de corps et d’esprit peut libérer de ses chaînes un homme dont les désirs virent même à l’obsession. Cette expérience élève l’humain à la conscience supérieure en faisant de nous de véritables Humains. Je l’ai pratiquée de 2002 à 2005. Gandhi* écrit : « L’idée même que toutes les femmes de la terre sont pour lui des sœurs, des mères, des filles, ennoblit immédiatement un homme et brise ses chaînes ». Il faut bien entendu étendre cette vision à tous nos frères. Quand je vois de la fenêtre de mon bureau les pigeons forniquer sur les toits de Saintes où je vis depuis septembre 2007, je pense souvent que la sexualité et la notion de couple ne sont nullement l’apanage de notre cerveau supérieur. Avec Gandhi*, je pense que l’accouplement est seulement utile à la reproduction de l’espèce. Ceux qui n’ont pas réussi à construire un couple ne doivent pas se lamenter. La gestion rationnelle de ses sentiments est impossible et celle du couple souvent acrobatique ; alors mieux vaut s’en libérer dans la joie, que de sombrer dans le désarroi. J’ai rencontré cependant une grande difficulté à gérer le décalage qui existait entre le monde ambiant et moi-même, dès lors que j’atteignais une conscience supérieure. La tentation est grande alors de vivre dans un monastère pour préserver le bien-être qui nous emplit, comme une huile emplit une amphore. Gandhi* le dit : « Comme il est sot de gaspiller délibérément son énergie vitale dans la jouissance sensuelle ! » il est préférable d’utiliser cette énergie pour « développer pleinement nos pouvoirs corporels et mentaux » et spirituels. « Lorsque l’esprit s’égare, il faut que tôt ou tard le corps suive (…) il faut exercer un effort continuel pour s’assurer aussi la maîtrise de l’esprit ». (32p44) La meilleure manière d’y arriver que je connaisse est la méditation positive, que nous aborderons dans un prochain chapitre. Notre environnement relationnel direct, notre contexte familial, social et professionnel peuvent être des obstacles à notre réalisation intérieure, d’où la nécessité parfois de s’isoler pour se retrouver et l’intérêt des monastères. Gandhi* insiste sur « le contrôle de tous les organes des sens » et l’intérêt de se tenir à l’écart « des histoires suggestives (…) des scènes qui le sont également (…) des nourritures excitantes (…) de toucher avec les mains des objets excitants (…) ». (32p45) Notre système économique et sociétal œuvre pour faire de nous des esclaves de la consommation et des jouissances corporelles. Toutes les formes d’abus sensoriels et de gaspillages contribuent à nous perdre nous-mêmes, en faisant une ablation à notre conscience et à notre intelligence. Sachons résister pour construire notre devenir !

Note m : Le terme « bramacharya » employé par Gandhi pour « chasteté » désigne dans la tradition originelle hindoue « le premier stade de la vie du brahmane, celui d’étudiant, qui précédait celui de maître de maison. Il impliquait, parmi d’autres observances, celui de la chasteté ». (43p72)

 

II-5-5- L’amour du couple

Si la sublimation des pulsions libidinales dans un élan d’amour universel est à recommander, elle est souvent impossible et peu souhaitable pour le jeune couple. Nous sommes obligés ici d’élargir le propos pour parler de la relation d’amour du couple, afin de ne pas sombrer dans une caricature des sentiments qui vanterait l’amour universel en négligeant le coït indispensable à la pérennisation de notre espèce. Je ne parlerai pas de l’infantilisme psychique de certains adultes, qui entraîne le changement fréquent de partenaire. Je me limite aux relations durables entre des êtres équilibrés. Le bonheur du couple n’est pas simple à obtenir, mais il est indispensable pour faire des enfants aimés et sains. Dans ses sentiments pour l’homme qu’elle aime, la femme engage la totalité de sa vie. Le désir sexuel de la femme contrairement à celui de l’homme est soumis aux cycles menstruels, d’où une certaine instabilité des désirs. L’homme doit laisser de côté son égoïsme, s’adapter sans s’inquiéter d’être rejeté ou penser qu’un autre occupe le cœur de sa compagne. Durant cette période, il doit continuer à se montrer attentif, tendre, prévenant, affectueux et se contenir. La femme et l’homme qui souhaitent être tranquilles éviteront d’aiguiser l’appétit sexuel de leur partenaire en renonçant à la viande rouge et au gibier, aux épices aphrodisiaques, à l’alcool et aux autres drogues euphorisantes, les images et les films suggestifs, le parfum, etc. La femme restera coquette, mais sobre sur le plan vestimentaire. L’éclosion et l’épanouissement du désir sexuel de la femme sont plus longs et complexes que celui de l’homme qui doit prendre son temps pour ne pas la brutaliser. Il faut veiller à ne pas transformer le plaisir de l’acte d’amour en devoir conjugal féminin. Après la ménopause qui diminue souvent les désirs sexuels de la femme, le couple trouvera un repos physique, psychique et un épanouissement spirituel dans la tendresse et l’abstinence sexuelle.

 

II-5-6- L’ahimsa (la non-violence)

« La non-violence est mon premier article de foi. C’est aussi le dernier article de mon credo ». (32p132) La non-violence n’est pas de la passivité, mais un refus de collaboration à la violence sous toutes ses formes. Gandhi* écrit : « L’ahimsa est le moyen, la vérité est le but ». (32p40) Je préfère dire : « La non-violence est le moyen, la justice est le but ». Il ne s’agit plus uniquement ici de la non-violence politique, mais de la non-violence appliquée à tous les êtres et à toutes les choses, y compris la nature, les animaux et les insectes. Végétarien, il m’arrive parfois de dire aux omnivores : « Si j’avais un choix à faire entre de la chair animale et humaine, je choisirais l’homme », pour manifester mon indignation face à l’exploitation animale. Notre langage aussi est à surveiller. J’ai repris bien des fois des militants en leur disant : « Ce que tu dis n’est pas féministe » ou « pas solidaire ». Nous devons nous méfier de notre culture française, qui est raciste, patriarcale, égoïste, sexiste. Le délateur ne s’élève pas par ses propos dénonciateurs, mais se diminue. La personne critiquée ne vaut pas moins cher, contrairement à celle qui la critique. Nous avons le devoir d’aider nos semblables par tous les moyens, au lieu de les critiquer pour nous faire valoir. Notre langue française est faite aussi de spécisme envers le règne animal, quand nous disons « bêtise », « bêtisier », « Il est bête », « bêtement », « vachement », « il est vache ». Toutes les tares humaines semblent avoir été reportées sur l’animal, qui ne demande rien d’autre qu’on le laisse en paix. Ce problème est si bien enraciné, qu’il n’existe même pas un adjectif pour dénoncer ces dérives langagières. L’expression pour désigner les génocides animaliers manque, puisque « génocide » est la destruction d’un groupe ethnique, il manque « animacide » ou « spécide ». Il est important de construire les néologismes utiles pour dénoncer toutes les formes de violence existantes, afin de pouvoir éduquer à la non-violence. Celui qui répond à une attaque personnelle par la violence physique ou langagière saisit le plus souvent une occasion pour projeter son propre mal-être, sa propre pathologie sur autrui. Les cas de légitime défense, qui justifient l’usage de la violence sont très rares. Pour cette raison nous devons commencer par nous libérer nous-mêmes, nous purifier intérieurement pour retrouver la spiritualité qui permet de vaincre notre peur et l’agressivité qui en découle. Cette autonomie intérieure retrouvée nous permet de pratiquer la non-violence envers tous les êtres et toutes les choses. La concentration intérieure, la loi d’amour, la patience, la tolérance, la volonté de faire le bien, le don de soi et la maîtrise de la peur doivent l’emporter sur notre nature reptilienne de défense agressive. Notre vie est très rarement menacée : sachons gérer les risques avec discernement, amour pour notre prochain, et intelligence.

 

II-5-7- L’abstention de vol

Gandhi* écrit que celui qui mange un repas sans avoir travaillé vole ce qu’il mange. (32p163) Nous ne devons pas condamner la charité pour autant, et encore : « Si je mange un fruit dont je n’ai pas besoin, ou si j’en prends plus qu’il est nécessaire, je commets un vol ». (34p111)  « Ce qui, au départ, n’a pas été dérobé n’en doit pas moins être qualifié d’objet volé si on en garde la possession sans nécessité ». (19p223) Le vol, les abus, la spoliation, l’ostentation, les avantages sont tellement ancrés dans les civilisations occidentales que celle ou celui que l’on considère comme la plus honnête personne n’y échappe pas. Vous vous gavez dans un restaurant en toute impunité, à la vue de ceux qui n’ont rien, et votre prestige social est même rehaussé par vos abus et l’étalage ostentatoire de votre niveau de vie. Vous achetez un produit et vous le revendez cent fois son prix en toute légalité pourvu que vous payiez vos impôts. Vous importez des denrées du Sud obtenues par des peuples esclaves, vous les payez un prix ridicule et les revendez dans l’hexagone à prix d’or, et c’est légal. Vous fabriquez en Asie avec une main d’œuvre surexploitée, en contournant les règles de protection de l’environnement et des travailleurs de votre pays, en polluant là où il n’y a aucune norme imposée, vous importez ce produit en France ; vous ruinez l’entreprise concurrente française qui respecte les règles sociales et environnementales, et on appelle cela du libre-échange ou mieux le libéralisme économique. Vous achetez des hectares de terre, vous les laissez en jachère pour spéculer, à la barbe des agriculteurs sans terre, et de ceux qui ont faim et c’est normal. Le vol est légalisé à un point dramatique. Quand on connaît les dessous des cartes du capitalisme occidental, de la Françafrique, des génocides comme celui du Rwanda (voir www.survie-france.org), du blanchiment d’argent sale via les multiples paradis fiscaux, des dictateurs africains amis de la France, des cent mille enfants, femmes et hommes qui sont décimés chaque jour à cause du sous-développement, alors que leur terre ancestrale regorge des plus grandes richesses, c’est à pleurer. Du vol au meurtre, il n’y a qu’un pas. L’État oblige tous les paquets de cigarettes à porter la mention : « Fumer tue » et interdit les lieux publics aux fumeurs ; mesures qui culpabilisent les fumeurs, en laissant les producteurs de mort en paix, alors que l’État a distribué des cigarettes jadis aux jeunes appelés, et a engendré des générations de fumeurs. L’État verbalise les automobilistes pour les excès de vitesse, mais laisse vendre des voitures rapides, et aménage des routes et autoroutes qui encouragent la vitesse. L’État endette le pays sans l’avis des contribuables : avant la « crise financière de 2008 », la dette de la France était de 1209,5 milliards d’euros en 2007, et chaque nouveau-né héritait d’environ 15 000 euros de la dette nationale (Le Monde diplomatique de juillet 2008). Les banquiers prêtent de l’argent moyennant des intérêts, qui étranglent parfois les familles. Gandhi* écrit malicieusement : « Quand un voleur est guéri de son vice ou quand on lui fait restituer ce qu’il a volé, cela ne lui porte pas préjudice ». (32p118) et encore : « La civilisation, au vrai sens du mot, ne consiste pas à multiplier les besoins, mais à les réduire volontairement, délibérément ». (32p61) C’est la vraie grandeur de l’humain ! On peut limiter sa prédation (voir la charte du consommateur responsable ci-après), redistribuer une partie de ses gains aux déshérités, mais le vol structurel n’en demeure pas moins la règle du jeu de l’économie libérale qui pousse au crime. Quand il ne restera plus sur terre qu’un seul voleur, profiteur ou assassin, il ne sera pas difficile à convaincre. Mais comment s’étonner que les places dans les prisons soient toujours insuffisantes dans les régimes gouvernés par le profit et l’assassinat ?

 

II-5-8- La non-possession ou pauvreté (aparigraha)

Gandhi* encourage la pauvreté volontaire : « Le moins vous possédez, le moins vous désirez, le mieux vous êtes ». (34p110) Et le pire est que toute appropriation injustifiée conduit le propriétaire à commettre un crime, parce qu’il prend la part de ceux qui n’ont rien, et parfois en meurent. La majeure partie d’entre nous a une peur bleue de la pauvreté, qui apporte pourtant la plus grande richesse intérieure. Celui qui gagne beaucoup d’argent, même honnêtement, est suspect, s’il ne pense qu’à lui. Mais s’il lui arrive de redistribuer autour de lui la majeure partie de ses gains aux nécessiteux, il fera des heureux. Il verra des sourires reconnaissants illuminer les visages les plus sombres. Donne de la terre à celui qui veut la cultiver ! Donne des outils et la matière première à l’artisan ruiné ! Donne du pain à celui qui a faim ! Permets à l’enfant de recevoir l’instruction qu’il mérite ! Apporte des soins aux malades et aux vieillards ! Celui qui satisfait avec justesse ses besoins peut faire un bien immense autour de lui, sinon il s’enrichira inutilement, et s’aigrira en couvant son magot de peur qu’on le lui vole. Mais s’il découvre la loi d’amour et du don de soi, s’il réussit à penser pour le bien des autres et non son bien personnel, il sentira aussitôt une profonde transformation de son être et un grand soulagement, la félicité l’envahir. Il verra la peur de manquer, et son cortège d’angoisses, le quitter. Gandhi* ne s’oppose pas à la propriété privée. (34p112) Il envisage « (…) des fidéicommissaires qui, tout en ayant le contrôle de biens considérables, se gardent d’en considérer la moindre parcelle comme propriété ». (34p110)

 

II-5-9- L’intrépidité

L’intrépidité est l’une des valeurs essentielles du combattant non-violent, avec le courage et la loi d’amour. La pratique de la non-violence demande plus de sang-froid et de maîtrise de soi, que la pratique de la violence, plus d’intrépidité. La non-collaboration ou la résistance civile est un acte intrépide parce qu’il peut être dangereux pour ceux qui refusent d’utiliser la violence pour se défendre face à un adversaire violent. Le refus d’obéissance par tous les citoyens est la meilleure solution pour mettre un terme définitif à l’oppression et à la tyrannie, voire à un envahisseur armé. Le satyagrahi doit envisager le sacrifice de sa vie dans certains cas, pour préserver l’intérêt général, comme le font des soldats. Gandhi* rappelle que notre principal ennemi, la peur de la mort, est intérieur. Le non-violent agnostique est encore plus intrépide que le croyant en Dieu, qui escompte parfois une récompense après la mort.

 

II-5-10- L’élimination de l’intouchabilité 

Gandhi*, en bon hindou, ne demande pas la disparition des castes. Il écrit : « Je considère le système des quatre castes (…) comme une saine répartition du travail d’après la naissance (…) ». (32p15) Les castes en Inde ne sont pas synonymes de « classes sociales », il existe des brahmanes pauvres, et des intouchables qui ont bien réussi dans les métiers qui leur sont réservés, par exemple le tannage des peaux. Gandhi* souhaite que les intouchables (hors caste), qu’il appelle affectueusement « les enfants de Dieu » (harijan), possèdent les mêmes droits que les membres des castes.

En France nous vivons dans un État laïc, mais beaucoup trop de nos semblables pratiquent le racisme social de classe. Pour moderniser le message de Gandhi*, disons que notre devoir est d’abolir les classes sociales privilégiées, en donnant aux plus pauvres leur dû, sans les inciter aux mêmes abus que les riches. La ségrégation sociale commence par le faciès, le patronyme, le quartier où vous vivez, les écoles que vous avez fréquentées, la profession de vos parents, la richesse matérielle, etc. La ghettoïsation des plus pauvres, l’inégalité matérielle des chances scolaires, etc., sont à corriger. Il n’existe pas de handicapés physiques ou mentaux, mais des personnes qui ont des degrés de motricité et de conscience différents. Sinon nous sommes tous les handicapés de quelqu’un. Gandhi* écrit en bon croyant : « Nul ne peut naître intouchable, puisque chaque être est une étincelle d’un seul et même Feu ». (32p71) Dans ses ashrams, Gandhi* a le courage de donner aux hindous issus des castes et aux hors-caste les mêmes droits et les mêmes devoirs. Comme lui, je pense qu’« éliminer l’intouchabilité, c’est abattre les barrières qui séparent l’homme de l’homme (…) ». (32p75) Si des personnes ont une force physique et/ou une intelligence supérieures à la moyenne, elles leur ont été données pour servir la collectivité, pour aider leurs semblables et la nature et non pour en profiter personnellement en abaissant et exploitant honteusement les plus faibles qu’eux.

 

II-5-11- Gagner son pain

Pour ne pas être pauvre, ne pas être contraint de mendier ou de voler pour se nourrir et parfois nourrir ses enfants, il faut travailler. Et le travail est confisqué par un outil de production surpuissant ; robotisation, machines agricoles, etc. L’industrie productiviste est appliquée partout, et dès qu’il y a besoin d’une main-d’œuvre qui ne peut être remplacée par la machine, le patronat fait appel fréquemment à une main-d’œuvre étrangère surexploitée en délocalisant les entreprises. Ainsi le chômage est principalement structurel et non conjoncturel. Il existe un moyen pour rendre du travail aux demandeurs d’emploi : « en donnant la préférence aux produits locaux, même s’ils sont de qualité inférieure ou s’ils reviennent plus chers que les produits fabriqués ailleurs ». (32p119) Voilà comment Gandhi* a redonné sa fierté et son autonomie à l’Inde. Ce propos reste d’actualité : la production artisanale favorise l’économie locale, limite la pollution et l’effet de serre. De plus il est bien rare qu’un produit français soit de plus mauvaise qualité qu’un produit étranger. Gagner son pain ne signifie pas se vendre à n’importe quelle cause infâme, par exemple : devenir banquier ou mercenaire, fabriquer des armes, etc. Je connais un sans-domicile, qui refuse le RMI et préfère jongler dans la rue pour gagner son pain. Bravo P’tit Jean ! C’est un très bel exemple d’intrépidité et de moralité, qui refuse l’assistanat de l’État. Gandhi* propose aux personnes oisives d’exercer un travail manuel pour dépenser leur énergie physique, plutôt que d’aller faire de la gymnastique ou de courir pour s’ouvrir l’appétit. Elles découvriraient ainsi la joie de faire quelque chose d’utile avec leurs dix doigts, et verraient probablement le monde différemment. Imaginez des bourgeois fuyant leur oisiveté en cultivant des « jardins ouvriers » pour nourrir les plus pauvres, qui après leur trop dure journée de travail et leur trop maigre salaire, n’arrivent pas à nourrir leur famille. Des consciences s’éveilleraient.

 

II-5-12- La tolérance des religions

Dans ses lettres X et XI à l’ashram, Gandhi* insiste sur la tolérance envers les autres religions. Pour cette raison, l’agnosticisme est préférable à l’athéisme. Nous vivons dans un État-nation laïc et tolérant à l’égard des religions. La religion ne doit pas diriger l’État, dicter sa loi en gommant d’un trait notre devoir de citoyen. Je suis persuadé que le Christ se serait opposé au christianisme, Bouddha au bouddhisme, etc., parce qu’ils se sont révoltés contre les institutions de leur époque. Je dis parfois que de la religion chrétienne on doit surtout retenir ces notions : le pardon, la compassion, le don de soi et la prière. Gandhi* est un sage interreligieux, c’est ce qui lui a coûté la vie. Il nous demande d’obéir à la loi d’amour, que j’affranchis personnellement de Dieu et de la Vérité, pour la ramener plus spécifiquement à la notion de justice, de justesse et d’humanité. Gandhi* écrit : « Chacun a raison de son propre point de vue, mais il n’est pas impossible que tout le monde ait tort, d’où la nécessité de la tolérance (…) ». Il encourage la tolérance, la patience et la maîtrise de la colère (19p291). Gandhi* se sert des religions, il écrit : « En feuilletant pour mon propre plaisir les livres sacrés des différentes religions, j’acquis du christianisme, de l’islamisme, du zoroastrisme, du judaïsme et de l’hindouisme une connaissance suffisante pour ce que je voulais en faire (…) je retrouvais dans chacun d’eux la même moralité fondamentale ». (32p89) Un démon y aurait trouvé autant de puissance démoniaque, mais Gandhi* est un juste, pour ne pas dire un saint. Il est tout simplement un vrai Humain accompli. Selon Gandhi*, seule « la loi d’amour » peut convertir l’intolérant à la tolérance. C’est vrai, nous devons toujours donner une part de notre amour à autrui, parce que c’est l’insuffisance d’amour reçu, l’amour perdu, qui conduit à l’intolérance. L’amour est comme le pain, celui qui en manque souffre ; pour le guérir, il ne faut pas lui ajouter d’autres souffrances, il suffit de lui donner du pain. Tolérer c’est aussi donner. Pour cette raison certaines religions invitent à aimer son prochain.

 

II-5-13- L’importance des vœux

Gandhi* écrit : « Un vœu correspond à une résolution inébranlable, et nous aide à nous défendre des tentations ». (32p100) Pour Gandhi* le progrès est impossible si l’on ne se fixe pas une ligne de conduite ferme pour atteindre ses objectifs. Je considère que le vœu ne peut être rompu que si l’on modifie sa stratégie initiale, pour une autre stratégie plus efficace. Comme l’écrit Gandhi* : « On ne peut pas faire le vœu de commettre un péché ». Le vœu nous élève à la condition supérieure d’humanité, il nous aide au renoncement de la souillure et nous fortifie ; par exemple, si vous n’êtes pas végétarien et que vous n’êtes pas spéciste, faites le vœu de réduire votre consommation de viande au strict minimum. Et si vous avez déjà réduit votre consommation de viande, faites le vœu de la supprimer de votre régime en gardant les sous-produits animaux comme le lait et les œufs, qui n’ôtent la vie à personne. Si vous ne mangez pas d’aliments biologiques, faites le vœu d’en consommer au moins 10 %, avancez à petits pas, mais ne reculez jamais.

 

II-5-14- Le sacrifice (Yajna)

Je préfère l’expression « devoir citoyen » à celui de sacrifice. D’autant que « Yajna désigne un acte (pensée, parole, action) ayant pour but le bien d’autrui (de tout ce qui vit), accompli sans l’espoir d’aucune récompense, temporelle ou spirituelle ». (32p103) Gandhi* condamne les sacrifices d’animaux recommandés par les Védas. Et j’aime cette phrase : « Or la Gita nous enseigne, et l’expérience le confirme, que toute action qui ne peut entrer dans la catégorie de yajna tend à nous enchaîner ». (p104) Quand nous faisons du bien, nous ressentons l’immense soulagement de la personne, de l’animal ou du végétal ; le bien donné nous est rendu. Gandhi* écrit encore : « Puisque le yajna nous accompagne quand nous venons au monde, nous restons débiteurs toute notre vie et nous sommes ainsi toujours tenus de servir l’univers ». (p105) Cependant, nous ne donnons rien pour recevoir autre chose qu’un sourire de gratitude. Quand j’ai pris la parole en public à Villaroche, contre la fermeture du centre historique aérospatial décidé par les actionnaires de Safran et approuvé par les syndicats, je ne faisais rien d’autre que mon devoir. Nul besoin du « système divin » et de « Dieu » dans cette affaire, nul besoin de réincarnation plus avantageuse promise ou de libération au paradis, toute gratification attendue transformerait la générosité en cupidité et l’amour en grégarisme. On ne comprend les bienfaits de la sagesse qu’en la pratiquant. Quand on sert une bonne cause, on se libère de ses propres chaînes et de l’obscurantisme entretenu par la peur et la superstition. « Il n’y aura jamais d’égalité tant qu’on se sent inférieur ou supérieur à autrui. Entre égaux il ne saurait y avoir de condescendance ». (p159)

 

II-5-15- La libération de la servitude (svadeshi)

« Dans son sens spirituel et ultime, “svadeshi” correspond à la libération de l’âme hors de sa servitude terrestre ». (32p113) En modernisant le propos de Gandhi* disons : « la libération de l’esprit hors de sa servitude pulsionnelle ». Il s’agit du triomphe de l’esprit sur le corps, qui élève la personne au rang de citoyenne ou de citoyen de la cité libre. « Je ne sacrifierai ni la vérité, ni l’ahimsa, même pour sauver mon pays ou ma religion ». (32p177) Dans le sens pratique, le svadeshi consiste à filer et tisser son propre vêtement pour obtenir la libération de l’Inde. « Le khaddar (textile indien) est le premier pas indispensable dans l’accomplissement du svadeshi dharma (règle du svadeshi) envers la société. Mais on rencontre souvent des gens qui portent du khaddar et qui, en toute autre chose, laissent d’autant plus libre cours à leur goût pour ce que fabrique l’étranger (…) ils ne font que suivre la mode ». La mode est un phénomène qui frappe, hélas, beaucoup de militants. Le vrai militant incarne ses opinions dans ses gestes de tous les jours, c’est le triomphe de la raison, de l’esprit sur le ventre. Voir la charte du consommateur responsable en III-1.

 

II-5-16-  L’autonomie (Le swaraj)

Le swaraj est l’autonomie individuelle ou collective engendrée par la liberté de penser et d’agir. La collaboration, l’abaissement à un système dégradant, imposé par une minorité, sont souvent à l’origine du malheur des populations, qui perdent leur autonomie de penser et d’être. Le simple fait de reconquérir son autonomie en faisant un travail sur soi, et en menant des luttes non-violentes, peut entraîner la chute du système qui nous opprime. Voilà comment Gandhi* a gagné l’indépendance de l’Inde face à l’Empire britannique, et comment les sociétés modernes aliénées par le productivisme, le consumérisme et le capitalisme doivent renaître en refusant la collaboration avec le système aveugle qui les gouverne. L’article écrit par Guillaume Gamblin dans la revue Silence (i) de mars 2006 rappelle un dialogue clé sur le sujet de l’autonomie abordé dans Hind Swaraj : « Pour Gandhi*, l’autonomie ne correspond pas au retrait pur et simple des Britanniques du territoire indien (…), Gandhi* réplique que c’est en effet le système mis en place qui est injuste : l’ennemi est dans le système de domination auquel les Indiens participent. Discerner et laisser ouvertes des possibilités d’évolution de la part des Anglais, ainsi que reconnaître la transcendance et la liberté de la personne adverse par rapport à ce qu’elle est en train d’accomplir, est le fondement de toute non-violence active. Il ne suffit pas de chasser les Anglais. Gandhi* ajoute : “Si l’Inde copie la Grande-Bretagne, je suis intimement convaincu qu’elle sera détruite” (…), car elle sera aliénée en profondeur tout en se libérant en superficie. L’autonomie est avant tout culturelle et spirituelle. “Vous voulez la loi anglaise, sans les Anglais, accuse-t-il, ce n’est pas le swaraj que je veux”. En adoptant les règles de l’adversaire, on a déjà perdu (…). La civilisation est vue comme une illusion qui nous “hypnotise” à tel point que “la superstition religieuse est inoffensive comparée à celle de la civilisation moderne”. C’est pourquoi pour lui, il faut “cesser de condamner les Anglais. Ils méritent plutôt la sympathie” et la compassion, en ce qu’ils sont affligés de cette maladie débilitante qu’est la civilisation (…). “Je pense que l’Inde se fait aplatir non par le talon britannique, mais par celui de la civilisation moderne”. D’une part, “c’est la mécanisation qui a appauvri l’Inde”, qui transforme les travailleurs des usines en “esclaves” et va faire de l’Inde “un pays malheureux”. Ce n’est pas en “reproduisant Manchester en Inde” que les Indiens s’émanciperont de la domination britannique (…). Il serait insensé (…) d’affirmer qu’un Rockefeller indien serait meilleur qu’un Rockefeller américain (…). La raison profonde pour laquelle il est inutile de batailler pour reprendre l’Inde aux Anglais, c’est que “les Anglais n’ont pas pris l’Inde, nous la leur avons donnée (…). Ils ne sont pas en Inde à cause de leur force, mais parce que nous les gardons”. Une fois mise à jour la vraie nature de la domination, qui est celle de la servitude volontaire, les moyens de la libération viennent en conséquence (…). Les Britanniques sont d’abord arrivés en Inde par le commerce. Et alors “qui a acheté leurs biens ?”. L’histoire témoigne que ce sont les Indiens (…). Ainsi selon Gandhi*, “il est plus juste de dire que nous avons donné l’Inde aux Anglais, que de dire que nous l’avons perdue” (…). La vraie autonomie ne consiste pas dans le départ physique des Britanniques, mais dans la capacité qu’aura le peuple indien à se gouverner. Gandhi* associe ici autonomie politique et capacité personnelle d’autonomie morale : “Si nous devenons libres, l’Inde est libre. Et dans cette pensée vous avez une définition du swaraj. Il y a swaraj quand nous apprenons à nous donner notre loi”. C’est pour cela que l’autonomie est là, “dans la paume de nos mains”, et non au bout du fusil. Il appelle à une autonomie qui ne soit pas un rêve futur, mais qui se réalise dans une autonomisation des pratiques, dès maintenant. “Un tel swaraj doit être expérimenté par chacun, pour lui-même. Un homme qui se noie n’en sauvera jamais un autre. Esclaves nous-mêmes, ce serait prétentieux de penser libérer les autres” (…). Face à la coopération volontaire avec la domination anglaise, Gandhi* en appelle à la non-coopération (…) :Quand nous n’aimons pas certaines lois, nous ne brisons pas la tête des législateurs, mais (…) nous ne nous soumettons pas aux lois”. En effet, “il est contraire à notre humanité d’obéir à des lois qui répugnent à notre conscience” (…). L’utilisation de moyens d’action non-violents est également une exigence de cohérence : “Les moyens peuvent être comparés à une graine, la fin à un arbre ; et il y a la même relation inviolable entre les moyens et la fin qu’entre la graine et l’arbre” (…). Pour cela, “la résistance passive (…) est supérieure à la force par les armes”. » (Fin de citation)

De nos jours, nous sommes dans une situation un peu similaire. Notre ennemi n’est pas la colonisation anglaise, mais la pensée unique, la globalisation, le capitalisme. Il ne s’agit plus, par exemple, de remplacer un gouvernement de droite par un gouvernement de gauche, qui prêcherait la croissance pour atteindre le plein emploi sans prendre en compte les réalités écologiques, les réserves limitées des richesses naturelles et le déséquilibre Nord/Sud. Si les citoyens ne cessent pas de confondre bonheur et consommation et continuent à enrichir les capitalistes qu’ils dénigrent par ailleurs, rien ne changera.

Note i : Revue Silence, 9 rue Dumenge, 69317 Lyon cedex 04

 

II-5-17-  La non-dualité (l’advaïta)

L’advaïta est une sorte de sympathie universelle : quand une personne se purifie, l’humanité entière en profite. Mais quand une personne commet un acte répréhensible, l’humanité entière régresse. Gandhi* écrit : « Je crois en l’advaïta. Je crois en l’unité de l’homme (…), par conséquent je crois que si un homme progresse spirituellement, le monde entier progresse avec lui, et si un homme tombe, le monde entier tombe avec lui ». (34p71) Pour prendre un exemple, disons que notre violence comme notre non-violence sont contagieuses pour nos proches ; d’où la nécessité de vivre parmi ceux qui partagent nos convictions, notre combat, pour ne pas être dilué dans la foule consumériste et anonyme. Rejoignez des groupes de personnes qui défendent vos valeurs dans des associations, des collectifs citoyens en marche pour un autre monde, qui vous conscientiseront et vous élèveront dans la lutte. C’est souvent par imitation de ceux qui ont réussi, les plus forts, que se construisent les plus faibles, les enfants, les pauvres, les pays sous-développés. Nous devons nous efforcer d’être constamment un bon exemple, sans jamais contraindre quiconque à épouser notre point de vue. Au sens religieux hindou « advaïta » est l’épithète qui désigne « ce qui est connu lorsque toutes les dualités se sont résolues dans l’identité suprême », c’est-à-dire le Brahman ou le Divin. (34p70)

II-6 – LA NON-VIOLENCE PERSONNELLE OU LA MÉDITATION POSITIVE (n)

 

II-6-1- Introduction

La pratique de la prière est indispensable pour atteindre la libération intérieure, elle ne nécessite pas de croire en Dieu. Elle aidera les croyants et les non-croyants à la réalisation des points du chapitre précédent. La spiritualité nous permet de vaincre nos envies, de transcender la matière et d’atteindre la simplicité et la force utiles pour mener les plus durs combats non-violents. Durant les rencontres altermondialistes de l’été 2007, j’ai animé deux ateliers sur la non-violence et Gandhi*, dans lesquels j’ai parlé brièvement de ma technique de méditation positive comme étant le corollaire de la non-violence. Certains participants m’ont demandé de la leur expliquer. J’ai donc offert deux ateliers supplémentaires. C’était la première fois que je l’expliquais collectivement et à chaque fois des participants se sont endormis, les autres ont bâillé, tous en ont tiré un bien-être. En septembre 2007, j’ai publié cette technique sur mon blogue.

Je pense qu’il existe une entropie spirituelle des civilisations : au fur et à mesure qu’elles s’élèvent matériellement, leur potentiel spirituel s’atrophie et redouble leur appétit de jouissance et leur emballement consumériste. J’ai été étonné en 2005 du sourire des gens très pauvres en Inde du Sud et de la tristesse des Français repus, quand je suis revenu en France six semaines après. La reconquête spirituelle est un des points clés de la transformation de l’humain, et par ricochet de celle des sociétés. Ce chapitre est également fait pour vous redonner la joie de vivre et le sourire.

Il y a toujours un risque de se discréditer en parlant de spiritualité dans un monde farouchement matérialiste, dominé par la peur, l’usage de la force et parfois de la terreur et qui a rejeté en général les dogmes religieux avec la spiritualité et la prière. La tâche que je me fixe ici n’est pas simple, d’autant plus que Gandhi* a le plus souvent été rejeté parce qu’il était hindou et de surcroît, interreligieux. Au début, j’avais baptisé cette méthode « prière laïque », j’ai remplacé cette expression parce qu’elle renvoie trop au dogme. J’ai gardé cependant l’expression commune de prière pour m’exprimer, car cette technique s’apparente plus à la prière qu’au yoga. Nous pourrions aussi appeler cette méthode psychophysiologique « satyayoga », corollaire du satyagraha de Gandhi*. Satyayoga est l’union (yoga) avec la vérité (satya) intime de notre être, qui émerge de la supraconscience.

Pour prier selon cette nouvelle méthode, il n’y a pas besoin de croire en un dieu ou des dieux, l’efficacité de la prière est la même, voire supérieure, car nous sollicitons les véritables ressources de notre cerveau sans nous méprendre sur leurs origines.

Dieu existe-t-il ? Je suis agnostique, c’est-à-dire que je me considère dans l’incapacité de savoir si Dieu ou des dieux existent. Je pense néanmoins que le concept de Dieu ou des dieux, au cours du processus d’humanisation, a été nécessaire à l’humanité première pour tenter d’expliquer les phénomènes naturels, en inventant des responsables imaginaires de forme animale, humaine ou hybride. C’est ainsi que sont nés les panthéons des Dieux, dans lesquels des divinités tutélaires gouvernaient les vents, la pluie, les sources, les montagnes, l’amour, la fécondité, la force physique, etc. La relation aux dieux consistait jadis à faire des offrandes à la divinité tutélaire pour obtenir ses faveurs, afin par exemple, de voir tomber la pluie, de devenir prolifique, fort et prospère. Ces offrandes étaient accompagnées de paroles ou de chants et de musique, afin de la flatter pour qu’elle interfère positivement dans nos affaires terrestres (voir les écrits de l’assyriologue Jean Bottéro). Nos connaissances scientifiques nous apprennent que l’univers est principalement peuplé de vide (la densité de l’univers observable est de deux atomes d’hydrogène par mètre cube), et que la vie sur terre et sur d’autres planètes à découvrir est très rare ; si des dieux existent, ils ont été très avares pour reproduire la vie dans l’univers. Je pense donc que tout cela n’est qu’invention et superstition. Sachons au moins reconnaître la très grande chance que nous avons d’être sur cette belle planète bleue.

Pourquoi prier ? Cette technique de méditation non dogmatique peut vous libérer de l’emprise de la matière et des pulsions incontrôlées de votre corps. C’est un passage obligé pour atteindre la parfaite maîtrise de soi dans toutes les circonstances de la vie. Elle vous permet de vaincre les obstacles et d’atteindre vos objectifs. Jusqu’à une époque récente avant 2003, je ne pratiquais pas la prière. Un jour j’ai lu Gandhi*, qui disait que la prière l’avait sauvé à des instants très durs de sa vie. Un homme aussi intelligent que Gandhi*, qui tenait de tels propos, m’a beaucoup intrigué. Je traversais moi-même une période difficile. Mais comment prier quand on ne croit pas en Dieu, me suis-je demandé. J’ai donc inventé et expérimenté ce mode de prière qui s’est avéré efficace.

Je connaissais la relaxation yogique ; j’ai ensuite couplé les techniques de respiration et de relaxation du hatha yoga à la demande d’une amélioration de ma condition ou de celle de mes semblables, demande adressée non pas à un dieu, mais à moi-même. Curieusement, les expériences ont été concluantes. Il y a eu des périodes difficiles dans lesquelles je ne voyais aucune issue à certains problèmes. Je me tournais en vain vers tout le monde pour chercher la solution, mais chacun semblait toujours me prendre sans rien me donner. Alors c’est à moi-même que j’ai demandé la solution par cette pratique journalière ; elle m’a été donnée et le résultat a suivi.

Pourquoi est-ce efficace ? La complexification croissante du monde moderne fait que nous vivons au quotidien dans une grande agitation mentale ou nerveuse. Cet état d’agitation entretient notre peur et altère notre perception et notre entendement. La méditation positive calme cette agitation intérieure, remet de l’ordre dans nos facultés raisonnantes et nous donne la vraie vision du monde. La prière est un besoin reconnu depuis toujours. Matthieu dit très justement dans son évangile : 6:6 « Mais toi, quand tu pries, entre dans ta chambre particulière, et, après avoir fermé la porte, prie ton Père qui est dans le secret… » 6:7 « Et quand tu pries, ne rabâche pas comme les gens des nations, car ils s’imaginent qu’en débitant beaucoup de paroles ils se feront écouter ». Il en va de même pour les offrandes : beaucoup d’offrandes ne permettent pas de se faire pardonner.

Celui qui croit en un dieu peut également pratiquer cette technique de prière, s’il ne se reconnaît dans aucune religion. Il s’adressera alors à son dieu et non à lui-même. Je mets en garde les personnes qui pratiquent une religion et qui restent habitées par le doute quant au bien-fondé des objectifs qu’elles poursuivent ou qui sont découragées par le manque de spiritualité des représentants du culte. Certaines religions ou croyances peuvent exercer une emprise destructrice, alors mieux vaut changer. Cette technique peut vous aider à vous libérer d’une emprise extérieure, gardez l’espoir.

Voici quelques propos de Gandhi* : « Trois des plus grands maîtres du monde – Bouddha, Jésus et Mahomet – nous ont laissé le témoignage irrécusable que l’illumination leur est venue de la prière et qu’il leur était impossible de se passer de prier » – « Les pensées agissent par elles-mêmes. Elles peuvent être douées de ce pouvoir. On peut dire de celui dont la pensée est en action que son apparente inaction est sa vraie manière d’agir… C’est dans ce sens que je dirige mes efforts » – « Chacun devrait rester à l’écoute de sa petite voix intérieure et agir en conséquence ; et, si l’on n’a pas d’oreilles pour écouter, il ne reste plus qu’à faire de son mieux » – « La prière m’a sauvé la vie. Si la prière ne m’avait pas secouru, depuis longtemps j’aurais perdu la raison ». (19p 118 100&101)

 

II-6-2- Présentation de la technique

Préparation : Le lieu de méditation doit être sain, aéré, silencieux et simplement agencé. Si toutes ces conditions ne sont pas remplies, les résultats seront juste un peu plus longs à obtenir. Si vous n’avez pas de pathologie physique ou mentale particulière, faites les premiers exercices seul, car rien ne vaut l’isolement pour se retrouver soi-même et progresser intérieurement. Coupez tous vos appareils, Internet, ordinateur, vos téléphones fixe et portable. Mettez des habits amples, rien ne doit entraver votre circulation sanguine et votre respiration. Enlevez ceinture, chaussures, montre et lunettes. Le mieux est de le faire dans votre chambre au calme en veillant à ne pas être dérangé.

Technique : Si vous pratiquez une religion, adressez une prière pour demander la réussite de votre évolution intérieure. Ensuite, allongez-vous sur le sol, et faites la posture du corps mort, qui a pour objectif de vous faire renaître à votre état vrai et à toutes vos potentialités. Étendez-vous sur le dos, la tête dans l’alignement du corps, les yeux fermés, les bras le long du corps et un peu écartés pour décoller les aisselles. Les jambes sont allongées et les pieds séparés. Détendez-vous et sentez la masse de votre corps sur le sol. Pour détendre complètement votre corps, suivez la progression suivante.

Sentez la présence de vos pieds en remuant doucement vos orteils, sentez vos talons et relâchez-les. Ensuite, sentez la présence de vos mollets et faites-les très mous. Idem pour vos genoux, vos cuisses et sentez vos fesses s’enfoncer dans le sol. Relâchez votre ventre et votre dos. Relaxez bien votre poitrine, sentez-là s’aplanir. Sentez la présence de vos bras inertes. Relaxez bien les mains en bougeant les doigts très lentement, relâchez les avant-bras, les coudes, les bras et les épaules.

Détendez votre cou, laissez tomber le menton. Décontractez les commissures des lèvres, desserrez les dents, détendez vos joues. Ensuite, relevez la pointe de la langue vers le fond du palais et laissez-la revenir doucement dans sa position. Sentez la présence de vos yeux, des globes oculaires, sentez vos paupières posées sur vos yeux et relâchez-les bien. Défroncez les sourcils, déplissez le front. Décontractez le cuir chevelu, puis la nuque. Prenez conscience de votre crâne, sentez-le complètement relaxé, et sentez l’état d’immobilité et de sérénité de votre visage, lâchez prise.

Constatez combien votre souffle est devenu tranquille et régulier. Si vous vous endormez, c’est que vous en aviez besoin. Ensuite, entamez la respiration yogique qui se divise en trois phases : ventrale, pectorale et claviculaire.

Vous allez faire les trois types de respiration uniquement par le nez trois fois en respectant un temps pour l’inspiration et deux fois plus de temps pour l’expiration. Ne bloquez jamais votre respiration, faites tous les gestes lentement en pensant à ce que vous faites et sans interrompre le mouvement. Relaxez-vous bien en inspirant et en ralentissant votre expiration qui doit être deux fois plus longue que l’inspiration. Vous allez faire trois respirations ventrales suivies de trois respirations pectorales et de trois respirations claviculaires pour prendre possession de votre souffle et de votre conscience par l’intermédiaire de vos cellules corporelles.

1- Inspirez profondément par le nez lentement et en un temps, en suivant mentalement l’air qui pénètre dans votre abdomen sans le dilater, puis relâchez doucement l’air en deux fois plus de temps. Répéter trois fois cette respiration abdominale. 2- Sentez l’air pénétrer dans votre poitrine toujours en vous concentrant sur l’air qui circule dans votre corps et répétez-le trois fois. 3- Respirez en laissant l’air pénétrer jusqu’à la partie supérieure des poumons, ce qui aura pour effet de soulever les clavicules. Répétez trois fois en respectant toujours le rapport un temps pour l’inspiration deux temps pour l’expiration et en vous concentrant sur l’air qui circule dans votre corps.

Ensuite, le processus se poursuit en expirant toujours par le nez, en enchaînant en un seul temps respiration pectorale, ventrale puis claviculaire. Vous expirez en suivant l’ordre inverse en deux fois plus de temps. Faites cet exercice trois fois, toujours en vous concentrant sur l’air qui circule. Ne pensez à rien d’autre.

Si vous vous sentez encore inquiet ou agité mentalement, faites-le autant de fois qu’il est nécessaire pour prendre possession de votre mental en vous aidant du souffle. Détendez-vous jusqu’à ce que vous trouviez la paix intérieure. Une fois que vous êtes parfaitement relaxé, revenez à une respiration normale, tranquille, pour faire votre vœu qui complète la médiation positive.

Concentrez-vous entre les deux yeux, vous verrez alors un point lumineux, qui peut s’accompagner d’un léger mal de tête passager. Continuez de respirer lentement en vous concentrant sur ce point. Ensuite, enchaînez respiration, concentration mentale et demandes. Les demandes doivent être exprimées le plus simplement possible, avec humilité et votre cœur : « Augmentez ma conscience » – «Libérez-moi de ma libido» — « Fortifiez ma volonté » — « Faites que madame X retrouve la santé » — « Donnez-moi la solution à ce problème… », etc. Vous devez réfléchir à votre vœu en le préparant avant l’exercice de méditation et vous ne devez faire qu’un seul vœu jusqu’à sa réalisation sans vous décourager. Sans les nommer, adressez-vous à vos cellules corporelles ou à la nature Mère. Les croyants peuvent s’adresser à leurs Saints ou leur Dieu.

Vous pouvez également exprimer des regrets sur des actes que vous avez manqués et des erreurs que vous avez commises : «Pardonnez-moi d’avoir dit du mal de monsieur X » — « Aidez-moi à chasser cette mauvaise pensée ». Vous verrez que votre concentration augmente chaque jour, que votre subconscient travaille, qu’il apporte les solutions aux problèmes les plus compliqués, que vous devenez subitement comme un chef d’orchestre. Le bien que vous avez demandé arrive comme par miracle.

La prière la plus profonde doit vous conduire aux larmes, parce que la conscience pure que vous traversez passagèrement vous révèle votre faiblesse et votre médiocrité, en vous aiguillonnant pour vous améliorer. L’humain a toujours rejeté dans l’occulte les phénomènes qu’il ne s’explique pas. Même la gravitation de Newton a été diabolisée par l’Église à ses débuts, parce que le graviton n’a jamais été découvert. Nous avons cependant exploité les équations de Newton avec succès pour conquérir l’espace. Devenez le conquérant de votre vie.

 

II-6-3- Technique simplifiée en position assise :

En pratique vous aurez rarement des conditions idéales pour vous relaxer et méditer selon la technique précédente ; gardez courage. La régularité quotidienne de la pratique est tout aussi importante que les conditions de la relaxation. Même au bureau vous pouvez rester assis sur une chaise ou un fauteuil pour vous concentrer. Desserrez votre ceinture, retirez vos lunettes et votre montre, coupez Internet et vos téléphones. Mettez vos mains les paumes tournées vers le ciel sur vos genoux. Vous contrôlez mieux votre respiration en la ralentissant et en suivant le mieux possible les recommandations précédentes. Vous retournez votre langue dans le palais et vous la relâchez lentement et vous vous concentrez entre les deux yeux où vous verrez toujours un point blanc. Une fois détendu, faites vos demandes. L’exercice peut être de courte durée, l’important est de le faire régulièrement, même de manière imparfaite. Il faut prendre du temps pour s’occuper de soi et de sa conscience. Répétez l’exercice et vous verrez qu’il deviendra de plus en plus facile de le faire. C’est peut-être pour cette raison que les religions ont des heures de prière journalières fixes.

J’ai réussi avec la méditation positive à supprimer le stress et les maux de dos, supprimer les crampes et les maux de tête. Plus étonnant encore, cette technique nous permet d’agir à distance pour les autres. Je pense que l’humain a des facultés supraconscientes, médiumniques, télépathiques, etc. (un mot nouveau est à inventer pour contourner les obstacles sémantiques qui renvoient au charlatanisme) et peut intervenir sur les choses à un niveau plus subtil que notre conscience l’envisage ordinairement. Ces pouvoirs sont plus présents chez les ascètes ou les saints. Si cette technique peut être employée à des fins thérapeutiques, n’oubliez pas de voir un médecin homéopathe.

 

II-6-4- Exemple de résultat

Voici le dernier exemple de résultat que j’ai obtenu par la méditation positive : au début du mois de mai 2007, en balayant, j’ai ressenti une douleur violente et persistante qui partait du bas du dos et irradiait dans la jambe et le bras, du côté droit. J’ai eu peur d’avoir une lombalgie et de rester cloué au lit, comme dans le passé. Trois jours de méditation positive ont suffi pour faire disparaître cette douleur et j’en suis resté étonné.

 

II-6-5- Le paradigme premier

La multiplicité des pratiques religieuses est due aux différentes cultures, mais ne prouve pas que chacune d’elle ait découvert un ou plusieurs dieux. Pourquoi ? L’humanité, comme toutes les espèces vivantes, a un comportement ou un raisonnement construits avec un nombre limité d’universaux ou d’archétypes, sortes de briques élémentaires de la pensée, qui engendrent les mêmes concepts chez tous les peuples de la terre : le temps circulaire ou linéaire, le patriarcat ou le matriarcat, le raisonnement analogique ou rationnel, etc. Pour être plus précis, voici un exemple concret : j’ai été stupéfait de la similitude symbolique et graphique du Zeus grec (500 av. J.-C.) et du dieu Tlaloc précolombien (900 à 1300 apr. J.-C.), tous les deux à la tête du panthéon personnifiaient les éclairs, la foudre, le tonnerre, la pluie, la fertilité, etc., alors que ces deux civilisations sont en décalage d’environ 1500 ans et issues de deux continents différents. Mais j’ai été moins surpris quand j’ai compris l’importance de la pluie dans les civilisations agricoles et constaté que la Grèce antique et les peuples précolombiens étaient essentiellement guerriers. Une différence toutefois apparaît dans la représentation du dieu lançant les éclairs ; la Grèce avait le culte de la beauté et les précolombiens le culte de ce qui correspond pour nous à la difformité ou la laideur.

Mais comment les croyances religieuses ou profanes sont-elles nées ? Prenons l’exemple de l’astrologie : la fin de l’ère glaciaire est marquée par le réchauffement de la terre, l’apparition (ou réapparition) de l’agriculture et la sédentarisation de certaines peuplades, qui ont commencé à observer la marche du soleil et de la lune et à dresser les premiers calendriers pour mesurer le temps et définir l’époque des semis, des récoltes, etc. Quand les prêtres de l’époque découvraient un astre, ils lui donnaient des attributs en fonction de son apparence sensible et de sa rapidité dans le ciel. C’est ainsi que Vénus qui est la planète et l’astre le plus brillant du ciel est devenue la divinité tutélaire des arts, de la beauté et de l’amour. Jupiter, astre très brillant aussi, est faste ; Mars, qui présente des aspects rougeâtres, est devenue la planète de l’énergie, du feu et de la guerre. Saturne, qui est la planète la plus lente connue des Anciens et de plus faible éclat, est devenue la planète du temps, des vieillards, de l’austérité et de la mort. Pour simplifier, disons que tout ce qui est beau était doté de vertus, et tout ce qui est laid, de défauts. Une pierre qui ressemblait à un poisson appartenait au totem poisson, la porter en amulette était censé apporter la protection du totem. C’est à l’intérieur de ce paradigme premier de pensée que sont nées les différentes religions polythéistes, le mysticisme, la magie, etc. Et il apparaît que des millions d’années de croyance première ont la vie dure. Nous raisonnons le plus souvent à l’intérieur de ce premier paradigme analogique, qui est celui des apparences. Ainsi, la publicité présente toujours les produits sous de belles apparences pour éveiller en nous le réflexe inconscient de la vertu. Et l’on n’hésite pas à montrer une jolie jeune femme, pour présenter l’efficacité d’une brosse à dents, d’une lessive ou d’un opérateur Internet. Et cela marche toujours.

Note n : Juste avant de mettre ce livre au tirage, j’apprends l’existence du sankalpa dans la tradition indienne et auquel ma méthode ressemble ; cela renforce la validité de ma démarche.

 

 

 CHAPITRE III – LE COMBAT

 

 

 III-1- LA CHARTE DU CONSOMMATEUR RESPONSABLE

Initialement charte du PIC (Parti International du Coeur ou du Citoyen)

 

« Tant que nous ne changerons pas de logique, rien ne changera ». Pierre Rabhi*

 

Introduction

Gandhi* demandait d’incarner les changements que l’on souhaite voir dans le monde ; la charte du PIC est une feuille de route citoyenne qui va dans ce sens. Son but est de faire un point sur la situation du monde, de se projeter dans le futur et la modernité avec l’expérience acquise par l’humanité jusqu’à nos jours, en mettant les savoirs, les techniques et la connaissance au service de la vie. Les idées politiques, religieuses ou philosophiques, qui ne se traduisent pas par des gestes quotidiens, ne sont pas sincères. La spiritualité, qui n’est pas obligatoirement dogmatique, est un facteur important pour sublimer ses envies et élever son degré de conscience au-dessus de l’avoir qui mine l’humanité. Un monde meilleur ne peut se faire qu’avec des personnes plus responsables.

Durant la longue préhistoire et les difficiles ères glaciaires qui se sont succédé, l’humanité a développé des habitus entretenus par la peur de manquer de nourriture. De ce fait, un esprit de capitalisation la mine ; l’hominisation n’est pas achevée. Aujourd’hui, l’activité humaine ne permet plus à la nature de se renouveler, l’humanité est menacée. Nous devons réagir en construisant ensemble un projet réaliste et lisible par tous les terriens. Cette charte, baptisée au début Eddem (Éveil au développement durable équitable mondial), a été écrite en 2003 avec la participation de plusieurs amis et mise à jour en 2006.

III-1-1- Un constat d’échec

La dernière guerre mondiale de 39-45 a fait 56 millions de morts (valeur haute) ou 2100 morts par jour environ et nous avions déjà dit    « plus jamais ça ! » en 1918. Or, ces dernières décennies, des dizaines de milliers de personnes sont mortes de soif, de faim ou du sous-développement, pendant que dans les pays développés certains meurent de surconsommation, de suralimentation, se tuent inutilement en automobile, etc.

Les famines ne sont pas une fatalité, mais plus souvent l’œuvre des mafias et des dictatures que de la nature. En 1993, chaque terrien disposait de 2,2 hectares (1,7 ha de terre arable et 0,5 ha d’espace marin de pêche) pour vivre. Mais l’empreinte écologique d’un habitant des États-Unis moyen était de 10,3 ha, et il aurait fallu 5 planètes terre ou biosphères pour produire les biens et absorber les déchets, si les 6 milliards de terriens avaient adopté le même mode de consommation. Non seulement notre mode de vie est injuste à l’égard du Sud, mais de plus il n’est pas durable, car au rythme actuel les ressources non renouvelables de la terre ainsi que les forêts tropicales seront épuisées dans quelques décennies.

Il est dit qu’en 1998 le commerce équitable était en mesure de fournir des emplois pour toute la planète, mais ne représentait que le dix millième des 6200 milliards de dollars que comptaient les échanges internationaux. Néanmoins, nous devons veiller à encourager les cultures vivrières locales et les échanges intersud, et non la production de denrées de luxe et de colifichets pour le Nord. Nous devons non seulement repenser nos rapports avec le Sud ou le Tiers-Monde, ce Tiers-état des nations développées, mais aussi avec la nature, avant que ces derniers ne nous imposent brutalement leurs lois. Ne négligeons pas la mortalité et le mal-être consécutifs au prétendu «progrès» des pays du Nord : morts dans les accidents de la route, suicides, cancers, obésité, abus en tout genre, etc.

Sur les plans politique et moral, il est inacceptable que la France qui a écrit les Droits de l’Homme importe des produits fabriqués dans des pays qui ne respectent pas ces droits, et que les consommateurs collaborent à l’esclavagisme en consommant des produits inéquitables. La résultante de ce comportement non citoyen est l’augmentation de la précarité des emplois, du chômage et aussi de la grande pauvreté en Occident. Ainsi, les États d’Occident encouragent la montée en puissance de pays dont l’idéologie totalitaire risque de dominer le monde de demain en balayant les Droits de l’Homme. Les capitaux et les savoir-faire, gagnés sur le dos des travailleurs qui ont lutté pour établir la démocratie et la justice sociale, se déplacent vers les pays esclavagistes. Les néolibéraux en France se rapprochent de plus en plus d’une idéologie totalitaire. Pour venir à bout de la violence engendrée par l’exclusion et la pauvreté, ils ont de plus en plus recours la répression policière et aux lois liberticides.

Je m’étonne aussi que les mafias et les dictatures, qui sont responsables pour une grande partie des guerres, des famines et de la grande misère sur Terre, ne soient pas éradiquées par l’ONU et les États considérés comme démocratiques. La démocratie deviendra-t-elle un jour un lointain souvenir de l’histoire de l’humanité ?

Les moyens d’information (télévision, presse, etc.) sont en majeure partie sous la coupe des lobbies ou de l’État qui sert des intérêts privés et non ceux de la communauté internationale. La manipulation mentale médiatique des populations est l’un des plus grands scandales de notre temps, qui doit mobiliser notre vigilance.

 

III-1-2-  Un programme citoyen

Les partisans de la croissance économique et de l’enrichissement illimité harcèlent les travailleurs pour toujours plus de productivité, matraquent les consommateurs avec la publicité pour consommer tout et n’importe quoi en gaspillant. Cette charte propose de moins et de mieux consommer, de moins travailler pour mieux partager et s’épanouir individuellement et collectivement. La liberté, l’égalité et la fraternité n’ont pas de frontières. Les ressources terrestres appartiennent à tous et doivent être réparties équitablement et raisonnablement entre les pays au prorata de leur surface. La survie de la nature, dont l’humanité fait partie, dépasse les clivages sociaux, générationnels, politiques, religieux, philosophiques et intellectuels. La prise de conscience passe par l’information objective sur la situation écologique et humanitaire au Sud comme au Nord. Il s’agit de sortir de l’illusion collective pour agir. Peut-on agir ? Oui et à plusieurs niveaux. Les consommateurs du Nord représentent environ 20 % de la population mondiale et consomment plus de 80 % des richesses planétaires, or le pouvoir d’achat est un pouvoir de décision et d’action. Voulons-nous continuer à servir les intérêts d’une minorité ou nos intérêts communs et ceux de la nature ? L’offre commerciale répond à la demande du consommateur : à lui de réorienter les marchés vers une économie écologique, durable, solidaire et qui respecte l’éthique.

Dans l’attente de l’augmentation des moyens de production artisanaux locaux, il faut exiger une traçabilité des modes d’obtention des produits de consommation pour connaître leur valeur qualitative, écologique, éthique et humanitaire. Leur empreinte écologique doit être calculée et étiquetée sur lesdits produits. Nous devons mieux produire et consommer plus intelligemment pour réduire notre empreinte écologique. L’objectivité de nos besoins doit l’emporter sur la subjectivité publicitaire. Cette charte propose de construire sa sagesse par des actes vertueux de consommateur et de citoyen responsable.

Pourquoi la charte du PIC parle-t-elle d’épanouissement intérieur ? Le PIC ne répond à aucun dogme et ne veut surtout pas en créer un nouveau. Cependant, sans l’éveil aux valeurs spirituelles par la pratique d’un mode de relaxation, de méditation ou de prière, l’humain n’arrive pas à se régénérer intérieurement et a du mal à se maîtriser. Il reste souvent voué au culte des objets, des apparences et de la jouissance immédiate ; prisonnier du temps court, il n’a plus de répit en ce monde. Par leur éveil, leur mode de consommation réduit et réformé, les partisans du PIC cessent d’être des collaborateurs de la dangereuse utopie moderne et entrent en résistance contre le totalitarisme économique, qui aliène les travailleurs et les consommateurs, agresse la nature, les animaux et l’humanité, et menace les démocraties. La révolution dans le silence grâce à l’éveil des consciences fera de la Terre le paradis que ses enfants méritent d’avoir. L’éveil et la sagesse s’obtiennent grâce aux actes vertueux, au langage du cœur, à la maîtrise et au don de soi.

En achetant des produits locaux, on peut favoriser l’artisanat et en achetant quelques produits du commerce équitable (café, chocolat, thé) on fait un effort de solidarité à l’égard du Sud ; mesure qui doit disparaître à terme. En achetant des aliments ou des vêtements issus de l’agrobiologie et en réduisant et recyclant ses déchets ménagers par le tri sélectif, on préserve la nature. Les actions qui permettent de réorienter l’économie en respectant la nature, l’éthique et l’équité sont nombreuses.

Pourquoi l’agrobiologie ? Une terre cultivée intensivement avec des méthodes chimiques perd sa richesse naturelle, il faut parfois la mettre en jachère pendant vingt ans pour reconstituer son humus. L’agrobiologie préserve la nature, la santé et écarte en grande partie les OGM.

Pourquoi le végétarisme ? D’abord pour le respect du règne animal. Les végétariens sont en meilleure santé à tous les âges de la vie et ont une espérance de vie supérieure aux omnivores. L’agriculture est l’activité qui consomme le plus d’eau dans le monde et les protéines végétales nécessitent moins de surface cultivée pour leur production que les protéines animales. Il faut dix protéines végétales pour obtenir une protéine animale et dix fois plus d’eau, d’où l’intérêt du végétarisme pour lutter contre la faim et la soif dans le monde.

Pourquoi l’homéopathie ? L’homéopathie est une médecine peu coûteuse qui consiste à soigner par les semblables, avec des doses infinitésimales de produits, d’où l’innocuité des traitements qui respectent notre corps. Rappelons qu’un médecin homéopathe a fait trois années de spécialisation après son diplôme de médecine générale.

La concurrence individuelle et celle des sociétés doivent se détourner de la capitalisation des biens ou des honneurs pour faire place à une culture de la vie respectueuse de la nature. Chacun de nous doit tirer sa fierté dans l’appartenance à un mouvement qui veut redresser la barre de l’humanité, en gagnant le vrai titre d’Humain. Un jour nos frères du Sud et nos petits-enfants sauront que nous avons espéré un monde meilleur et que nous avons eu le courage de le construire. Ceux qui viendront après nous n’auront plus à subir la honte de savoir que des milliers de personnes chaque jour meurent de faim dans le monde, que leurs biens de consommation sont fabriqués par des esclaves et des enfants exploités dans le Sud, plus l’angoisse d’une catastrophe écologique et que le langage des armes de guerre reste le seul triomphant sur la terre, etc. Il s’agit, disons-le, de donner un sens noble à notre vie en défendant les valeurs de la Nature et en devenant l’artisan de notre bonheur.

Ce programme adressé au citoyen responsable permettra de rétablir l’harmonie intérieure des humains, les équilibres entre l’humanité et la nature et entre le Nord et le Sud, s’il est appliqué à grande échelle. Il encourage la convivialité, la solidarité, l’entraide morale et matérielle , et milite pour la tolérance, le respect des peuples, des cultures, de la nature et des animaux. Dans les temps futurs, notre époque sera qualifiée d’âge barbare, qui aura gaspillé les ressources naturelles, sans respecter l’humanité ; informés, nous prenons le risque d’être assimilés à des barbares si nous ne bougeons pas.

La nature, l’éthique et l’équité dans le monde demandent dès aujourd’hui qu’une contre-culture gagne les pays du Nord, qui servent souvent de mauvais exemple aux pays en voie de développement, pour ce qu’ils consomment aveuglément. Le Sud doit savoir que notre modèle n’est pas le bon. La décroissance économique, progressive et nécessaire dans les pays du Nord permettra une meilleure répartition des richesses, et l’accès à l’autosuffisance des pays pauvres, où plus de quatre milliards d’enfants, de femmes et d’hommes attendent les vrais bienfaits de la civilisation de demain. Si les humains ne se réveillent pas, la croissance économique et démographique, la pollution et le réchauffement des climats feront que dans quelques décennies notre société prédatrice déclinera par manque de matières premières. Les guerres, les famines et un chaos inimaginable balaieront alors les sociétés occidentales. Des penseurs tireront peut-être alors un bilan des erreurs de l’humanité, mais un peu tard. Le PIC montre la voie de la réforme volontaire et réfléchie, porteuse d’une plus grande justice sur terre. Il ne s’agit pas d’un autosacrifice, mais de se réaliser pleinement en tant qu’être Humain.

 

 

III-1-3-  Quelques recommandations utiles

  1. Restez à l’écoute de vos semblables, des animaux et de la nature notre Mère.
  2. Tenez vous informé de la situation humanitaire, animale et écologique de la planète pour mieux agir.
  3. Cultivez votre épanouissement physique avec le travail manuel, la marche, le vélo, le sport, le yoga, etc.,
  4. Cultivez votre épanouissement intérieur avec la méditation, la prière, etc. pour vous maîtriser. Et évitez la violence mentale, verbale, physique.
  5. Luttez contre le harcèlement en tout genre et en tout lieu.
  6. Agissez avec amour et bienveillance sans céder à la peur.
  7. Ne cédez pas à la manipulation publicitaire et médiatique.
  8. Participez à des veillées en famille et entre amis.
  9. Assistez à des spectacles vivants et encouragez les artistes locaux.
  10. Invitez des personnes isolées et privilégiez la vie familiale ou communautaire.
  11. Alimentez-vous sans excès et sans gaspiller la nourriture par respect de la terre, du cultivateur et de ceux qui ont faim.
  12. Tendez vers une alimentation végétarienne et biologique.
  13. Soignez-vous avec les médecines naturelles et l’homéopathie, qui respectent notre corps et l’environnement.
  14. Utilisez les moyens de locomotion les moins polluants, les transports en commun, la marche, le vélo, des véhicules motorisés « propres » en réduisant votre vitesse, pratiquez le covoiturage.
  15. Privilégiez les produits locaux pour éviter le transport.
  16. Triez et recyclez vos déchets. Demandez des installations de récupération et de recyclage aux élus si elles n’existent pas.
  17. Limitez votre consommation d’énergie et d’eau. Choisissez le plus possible des énergies renouvelables (solaire, éolienne, géothermie, etc.).
  18. Limitez vos appareils et achetez des matériels qui consomment peu d’énergie.
  19. Faites réparer vos appareils pour éviter de les renouveler.
  20. Efforcez-vous de réduire votre consommation générale en éliminant le superflu (emballages et sacs en plastique, etc.).
  21. Achetez des produits qui respectent l’environnement, l’éthique humanitaire et l’équité (aliments, vêtements, matériaux, etc.)
  22. Achetez des produits du « commerce équitable » qui aident les populations déshéritées, pourvu qu’ils ne concurrencent pas les produits locaux.
  23. N’achetez pas de bois exotique pour lutter contre la déforestation des forêts tropicales.
  24. Ne consommez aucuns produits obtenus en exploitant des femmes et des enfants en Asie ou ailleurs.
  25. Exigez une traçabilité qualitative et éthique des produits de consommation.
  26. N’hésitez pas à produire localement et de manière artisanale pour relocaliser l’économie.
  27. Construisez des habitats écologiques, des écovillages, etc.
  28. Abonnez-vous à des revues alternatives comme : Les quatre saisons, La maison écologique, Silence, etc., et à des journaux comme Le Monde diplomatique, Politis, La Décroissance, Médiapart, et lisez la presse étrangère.
  29. Pratiquez le bénévolat et la solidarité envers les démunis en évitant les intermédiaires pour rétablir le lien social.
  30. Développez une culture de la vie et de protection de la nature, en ramassant par exemple les sacs et les bouteilles en plastique abandonnés pour montrer l’exemple.
  31. Utilisez le plus possible des moyens publics et collectifs : transport, téléphone, terminal Internet, etc.
  32. Pratiquez le plus possible le troc, les échanges non marchands (voir les SELS[1]) et le don.
  33. Dans l’espoir de la paix universelle, organisez des manifestations pacifiques pour faire pression sur l’ONU et les États, pour qu’ils éradiquent les paradis fiscaux, les mafias, les dictatures, les armements, la pollution, les guerres, les famines, etc.
  34. Ne collaborez pas à la fabrication d’armes, de jouets, de jeux et de livres éduquant à la violence.
  35. Pratiquez la désobéissance civile pour protester contre les injustices : la grève, le boycott, les manifestations et les marches silencieuses, etc.
  36. Évitez de trop vous endetter pour garder votre liberté de pensée et d’action. Confiez votre argent à la Nef (Nouvelle économie fraternelle).
  37. Évitez de capitaliser en faisant la confusion entre bonheur et possession de biens.
  38. Consacrez une part des économies faites en réduisant votre consommation à des œuvres humanitaires pour le Quart et le Tiers-Monde avec les ONG et les associations.
  39. Gardez la richesse de votre culture et de votre langue. L’espéranto doit l’emporter sur l’anglais ou le chinois comme future langue internationale.

      Cette charte ne peut pas être exhaustive ; restez imaginatifs.

Si vous avez compris l’intérêt de cette charte et que vous appliquez quelques-unes de ses recommandations, vous ne ferez pas seulement du bien à vos semblables, à la nature et aux générations futures, car le bien que vous ferez vous sera rendu au centuple et vous allez vous-même vous libérer et vous transformer. La méditation positive complétera votre perfectionnement intérieure, élargira votre conscience et vous changerez de dimension pour le plus grand bien de vous-même et de l’Humanité.

Après une longue régression spirituelle due à une exploitation religieuse, politique et économique sauvage, qui s’étale sur plusieurs millénaires, que j’explique en détail dans Politeia[2], l’humanité peut encore se sauver en travaillant sa spiritualité. Mais il nous reste peu de temps pour nous sauver, car le système économique consocapitaliste[3] mené tambour battant par les dirigeants des pays développés menace l’humanité en dépit des alertes lancées de manière répétée par les savants du monde entier.

L’emballement médiatique survenu en 2019 en France, concernant l’environnement et les climats n’a été qu’un leurre, car comme nous l’avons vécu encore avec la pandémie du Covid-19, il ne s’est pas traduit dans les comportements des politiques, des économistes, des industriels et la majorité des individus, pour éviter la sixième extinction de masse des espèces dont l’humanité fait partie. La situation environnementale n’a jamais été aussi mauvaise.

La solution politique à tous ces problèmes serait d’écarter les imposteurs en provoquant une nouvelle assemblée constituante placée sous l’autorité du peuple et de nouvelles académies, car les savoirs ne peuvent continuer à servir le diktat consocapitaliste. Je pense avoir suffisamment démontré dans Politeia que des solutions politiques existent et qu’il devient urgent de les mettre en œuvre pour sauver l’humanité d’une fin terrifiante.

J’ai écrit Pour la révolution intérieure pour compléter mon message sur le plan spirituel, car il se fait déjà bien tard pour que les populations changent de cap en se saisissant de la vérité pour survivre.

 

III-1-4-  Réponses à 19 questions

 

Question 1 : Le concept de « liberté » peut-il être avancé par ceux qui ne veulent pas limiter leur consommation ? Il s’agit de laisser à nos enfants un monde écologiquement durable et respectueux de l’humanité entière. Notre liberté n’est qu’une illusion, car le mode de consommation traditionnel des pays du Nord les condamne à disparaître ou à changer brutalement dès que la nature reprendra ses droits. Nous devons réformer notre mode de pensée et cette réforme fait appel à des composantes psychologiques et à un nouveau comportement social.

 

Question 2 : Que vient faire l’épanouissement intérieur dans la charte PIC ? Notre monde est en proie à une « religion de l’avoir » qui sera éphémère à cause de l’épuisement des richesses naturelles dans quelques décennies. L’alternative réside dans les valeurs du cœur et l’éveil spirituel au contact de la nature. En faisant l’essai d’une vie plus simple et naturelle, nos concitoyennes et concitoyens verront qu’ils y gagneront sur le plan de la paix et du bonheur intérieur, c’est le système des vases communicants.

 

Question 3 : En quoi consiste cette « économie alternative » évoquée en début de charte ? Cette expression est nouvelle. Les altermondialistes contestent la globalisation qui fait du monde une salle de marché boursier en bafouant la nature et l’humain et surtout le sud pillé et affamé. Le véritable contre-pouvoir réside dans notre façon de consommer. « L’économie alternative » résulte d’un mode d’achat orienté sur les produits respectueux de l’écologie et de l’éthique humanitaire. Elle fait de nous un citoyen-consommateur-responsable susceptible de refaçonner le paysage écologique, climatique, la situation humanitaire et « animalière ». À cette fin nous devons connaître la qualité (écologique, éthique) des produits que nous achetons. La traçabilité évoquée plus loin nous permet de mieux utiliser notre pouvoir d’achat. À qualité égale, nous devons toujours privilégier la consommation des produits locaux, pour éviter la pollution des transports.

 

Question 4 : Que signifie « Je n’utilise pas la violence (…) par omission » au 4e point ? (de l’ancienne charte)

Le consommateur du Nord qui achète des produits qui résultent du pillage des ressources du Sud, de l’exploitation outrancière des enfants, des femmes et des hommes du Sud, pratique une violence « par omission », car il néglige et cautionne ces tristes réalités. Idem pour les produits issus de la culture intensive qui épuise les terres arables. Dans les rapports humains de tous les jours, la violence par omission se rencontre aussi, par exemple, quand on peut venir en aide à une personne et qu’on s’y refuse par égoïsme.

 

Question 5 : La non-violence peut-elle répondre à une défense contre un envahisseur armé, comme les pays européens l’ont vécue durant la Seconde Guerre mondiale ? En théorie oui, des études ont été faites en France sur ce sujet. Aucun envahisseur ne peut soumettre un peuple qui refuse en bloc toute collaboration avec l’ennemi. Il faudrait que le peuple soit formé à la résistance civile non-violente. Sans cela, cette stratégie de défense n’est pas envisageable. La société civile doit faire pression sur les États qui ont des armées pour qu’ils confient leur défense nationale à l’ONU. Vingt-sept pays n’ont pas d’armée, tel le Costa Rica qui a résisté à deux invasions, et vingt-cinq d’entre eux ont rejoint l’ONU. On ne peut pas vouloir une paix universelle et continuer à entretenir des armées nationales, fabriquer et vendre des armes qui répandent la terreur, la misère, la faim et la mort. Nous devrions organiser des Jeux olympiques tous les ans pour assouvir la compétitivité des humains et des nations, avant que cette fausse valeur disparaisse également. Voir le site de l’APRED : demilitarisation.org.

 

Question 6 : Le concept de « commerce équitable » plusieurs fois évoqué n’est pas défini. Est-ce la traçabilité qui y contribue ?

Les produits du commerce équitable émanent d’une économie solidaire entre le Nord et le Sud qui aide les petits producteurs du Sud. La labellisation par exemple « Max Havelaar » du café équitable ou «AB» pour les aliments biologiques permet au citoyen de mieux savoir ce qu’il cautionne avec son argent. Grâce à la traçabilité, le pouvoir d’achat devient un pouvoir politique.

 

Question 7 : Le végétarisme me semble utopique. Qu’allons-nous faire des animaux qui produisent le lait et des métiers de la filière de la viande ? N’est-il pas plus sage de garder le régime omnivore de nos ancêtres ? Le végétarisme libérera une très grande partie des terres cultivables et de l’eau potable. Nous pourrons créer des lieux de retraite pour les animaux, comme nous le faisons pour les humains. Les mesures humanitaires ou « animalitaires » me choquent moins que les abattoirs. La fin de l’ère des supermarchés et des modèles concentrationnaires conçus sur le principe de l’usine, la priorité aux petits commerces, à l’artisanat et aux petites exploitations agricoles biologiques, etc., créera des emplois. Nous devons réhabiliter la civilisation de la main et du bel ouvrage.

 

Question 8 : À vrai dire, je crois que ces pratiques ne feront pas de mal, mais ne peuvent réussir que si une action politique permet de corriger des dérives et même d’imposer, dans les pays qui sont dotés d’un gouvernement « responsable », certaines de ces actions.

Comme le pouvoir politique est assujetti au pouvoir économique, le PIC propose une stratégie non-violente pour infléchir ce pouvoir avec ses propres armes, tout en redonnant sa dignité au consommateur qui ne veut pas cautionner un monde barbare et sans avenir. Il n’y aura plus rien à imposer dès lors que les médias feront un vrai travail d’information.

 

Question 9 : Je crois tout de même qu’un militant du PIC ne peut pas ignorer la nécessité d’un relais politique.

Seule la politique en actes des citoyens-responsables portera des fruits. Le PIC mise sur une révolution qui part de l’intérieur du cœur de chaque citoyen, suivie d’un mode de consommation responsable. Ensuite la nouvelle demande des consommateurs infléchira l’économie et sera répercutée dans l’opinion politique. Rappelons que Pierre Rabhi*, candidat à l’élection présidentielle de 2002, incarnait des valeurs assez proches du concept du PIC. Cependant, s’il avait obtenu les cinq cents signatures et qu’il avait été élu président de la République, il n’aurait pas pu mener sa politique sans se heurter au pouvoir économique dominant et aux réflexes des consommateurs, qui le cautionnent même involontairement. Le PIC veut faire un travail de fond sur les consciences pour modifier les comportements des consommateurs et aboutir à une société plus digne. Miser sur le politique sans avoir guéri les consommateurs du consumérisme ou des achats compulsifs reviendrait à mettre la charrue avant les bœufs. Aujourd’hui les citoyens en veulent toujours plus, car ils sont conditionnés par une culture boulimique, qui donne à entendre que la nature est inépuisable, et que nous n’avons aucune responsabilité sur les désastres humanitaires du Sud où cent mille personnes meurent du sous-développement chaque jour, un milliard souffrent de malnutrition et deux milliards manquent d’eau potable. Nous devons mieux informer nos concitoyens sur la vraie situation du monde pour les conscientiser, c’est la tâche que s’est fixée le PIC en dehors de toute considération politique politicienne.

 

Question 10 : Doit-on empêcher les pays du Sud d’accéder à notre mode de vie, qui les fait tant rêver ? Si oui, comment ? Et comment traiter les problèmes des flux migratoires Sud/Nord qui en résultent ?

Si les peuples du Sud n’étaient pas spoliés, affamés par ceux du Nord, ils auraient de quoi vivre, chez eux. 20 % de la population du globe au Nord accapare plus de 80 % des richesses mondiales. L’illusion que le matérialisme fait le bonheur de l’humanité entraîne les 80 % restant dans le Sud à vouloir posséder autant que les 20 %. Mais l’arithmétique montre l’inadéquation du problème, surtout si l’on prend en compte la démographie galopante et le fait que, dans quelques décennies, les stocks des richesses naturelles seront épuisés. Le bonheur des sociétés ne se pose pas en terme de niveau de vie : commençons d’abord par aider le Sud à être globalement autosuffisant sur le plan sanitaire, alimentaire et de l’éducation. Pour la liberté des flux migratoires, je réponds oui, à condition qu’ils se fassent dans les deux sens entre des sociétés humainement viables et durables.

 

Question 11 : N’y a-t-il pas dans la démarche PIC un caractère messianique ? Non ! On peut comparer les périls qui guettent l’humanité à l’apocalypse annoncée dans les écrits bibliques. Je pense que ces écrits et notre éducation religieuse nous ont plus conditionnés dans le mal que le bien. Rien n’arrive seul, le diable n’existe pas, seuls nos comportements, le paradigme accepté par le plus grand nombre, dans lequel nous évoluons, jouent sur l’échiquier mondial. L’humanité raisonne avec un nombre fini d’archétypes et de représentations du monde. Les symboles prennent le sens qu’on leur donne du dedans, rien n’arrive du dehors, aucune divinité ni dieu ne commande nos destinées, aucun écrit n’est sacré ; s’il le devient, c’est sur notre décision. Seule notre éducation entachée de faux préceptes est un danger pour nous et le monde. Le paradigme de la globalisation ou de la pensée unique occidentale, par opposition à la pensée plurielle première primitive ô combien tolérante, va de concert avec le monothéisme, le dieu unique, et l’intolérance envers les autres croyances – voire les autres paradigmes qu’ils veulent détruire. Les écrits bibliques passent du temps cyclique au temps linéaire et nous promettent la fin des temps, si nous ne suivons pas la loi divine. La domination des sciences et du pouvoir politique nous y conduit tout droit. C’est la folie furieuse consumériste, dictée par les lois du marché, qui nous conduit inconsciemment vers la réalisation possible d’une destruction totale de la vie sur terre, sinon de l’humanité. Si le Sud est converti à la consommation débridée, dans quelques décennies les matières premières viendront à manquer et les prix augmenteront de plus en plus. Dans les villes immenses où affluent les ruraux dépossédés de leur terre, de leur travail et de leur revenu, des émeutes éclateront, et notre civilisation sombrera dans sa propre violence. N’attendez aucun jugement dernier, aucun pardon parce que vous aurez assisté régulièrement aux offices et tout fait à l’envers par ailleurs ; n’attendez aucune résurrection. Nous rejoindrons tous la poussière et le paradis terrestre sera détruit.

 

Question 12 : Mettre la charte du PIC en pratique, en achetant des produits alimentaires biologiques ou des vêtements écologiques, est parfois difficile. Que choisir entre le litre de lait biologique emballé dans une bouteille plastique, et le lait de montagne dans une brique en carton ? Que choisir entre les pommes biologiques venant d’Italie, emballées dans du carton et du plastique, trouvées dans le rayon biologique d’une grande surface en Normandie, et les pommes produites sur place ? Que choisir entre le pain biologique cuit sur place dans une grande surface en Île-de-France et un autre pain biologique provenant entièrement de la région des Alpes vendu en magasin diététique ? Dois-je acheter des légumes biologiques en grande surface ou les produits sans label biologiques cultivés par les paysans du coin, sans usage de produits chimiques ; c’est à dire avec une terre enrichie au fumier et non traitée après récolte ?

Ce sont les problèmes auxquels sont confrontés les citadins, qui méritent une réponse dans l’attente d’un assainissement de l’agriculture et d’une relocalisation de la production et des échanges. Je donne ma préférence aux produits biologiques pour encourager la filière qui respecte l’écosystème et la santé humaine. Un produit biologique ne peut pas être condamné parce qu’il a fait des milliers de kilomètres avant d’arriver dans votre panier. Je me fixe cependant des limites à consommer des produits biologiques non écologiques. Je refuse d’acheter des produits biologiques qui viennent de pays au-delà de l’Europe ou du bassin méditerranéen. Il est toujours préférable d’acheter des produits locaux sans emballage pour éviter la pollution du transport, du traitement des déchets et afin de relocaliser l’économie. Il ne faut pas hésiter à lire les étiquettes pour sélectionner les produits. Posez des questions à vos producteurs du marché, il existe effectivement des petits paysans qui pratiquent l’agrobiologie sans avoir le label, vous pouvez leur apporter des informations pour les inciter à être labellisés « AB ». J’ai en 2007 convaincu un producteur de pommes et de poires du marché de Melun à demander le label. L’idéal est de développer des AMAP (association pour le maintien de l’agriculture paysanne) biologiques pour relocaliser la production. Je préfère l’eau du robinet potable et filtrée, à l’eau minérale en bouteille qui génère du transport et des déchets. Attention aux produits diététiques non biologiques, qui sont mélangés le plus souvent avec les produits biologiques dans les rayons des magasins ou des grandes surfaces.

 

Question 13 : Internet est-il un moyen de communication non-violent respectueux de la nature ? Le livre papier, l’informatique, la radio, la télévision sont des moyens de communication qui puisent dans les ressources naturelles de notre planète et dont les abus (ne pas recycler le papier, laisser ses appareils électriques allumés toute la journée, les jeter après usage dans la poubelle, etc.) sont violents, mais dont l’usage modéré est tolérable dans la limite autorisée par l’empreinte écologique de l’utilisateur. Internet est le meilleur média des dissidents du capitalisme. Mais il faut veiller toujours à sauvegarder ses fichiers, et à faire des publications papier de vos travaux.

 

Question 14 : J’ai appris que tu n’avais pas de réfrigérateur, ni de machine à laver le linge ? Ma consommation électrique est très faible depuis 2002 ; entre 150 et 230 kWh par an durant huit ans. Je rappelle que je suis végétarien, et que je n’ai pas de viande à stocker. Je jette très rarement un légume ou un fruit. Je pense que l’on est conditionné par ses outils et que finalement celui qui a un réfrigérateur jette bien plus, parce qu’il contrôle beaucoup moins que moi, qui fonctionne en flux tendu. Je lave le linge à la main depuis 2002. Je recycle l’eau de ma baignoire dans les w.c. ; une cuvette pour évacuer l’urine et un seau pour les excréments. Je ne réussis pas à me passer du bain tant que j’ai une baignoire, alors j’ai mis cette stratégie en œuvre. Je garde une cuvette dans l’évier pour récupérer l’eau du robinet de la salle de bain que je recycle aussi dans les w.c.. J’ai acheté un stylo à bille et à plume rechargeables, ce dernier est à pompe. Je me rase avec un sabre, au début on se coupe, puis très rapidement les gestes deviennent plus sûrs.

 

Question 15 : Tu recommandes d’acheter des vêtements écologiques, moi je n’ai pas les moyens.

Il est nécessaire d’encourager la filière écologique, même en achetant une seule paire de chaussettes par an. Tu peux compléter avec des habits d’occasion achetés chez Emmaüs par exemple, tu feras une belle œuvre et des économies en participant au recyclage par l’usage des textiles. Le recyclage c’est l’avenir.

 

Question 16 : Tu dis être objecteur de croissance et tu as acheté fin 2006 une voiture et un téléphone portable. Et tu as commencé des leçons de pilotage d’avion, ça ne fait pas un peu beaucoup ?

Je suis resté sans voiture pendant neuf ans, j’ai acheté une voiture pour secourir une personne. Le téléphone portable a été indispensable pour mettre toutes les chances à son service, je pense que sans ces outils elle serait encore dehors. Il est difficile de faire du social ou de l’humanitaire sans un minimum d’outils. Il est vrai que nous devons dès lors rester vigilants pour qu’ils ne nous conditionnent pas au-delà de nos besoins. J’ai suivi des cours d’aviation pour réaliser un rêve d’enfant, voler. Et aussi briser un affreux ennui résultant de la mise au placard durant plus d’un an par mon employeur, avant d’être licencié. Voler sur l’aérodrome historique de Melun-Villaroche, comblait aussi ce rêve. Les leçons étaient très étalées dans le temps, c’était aussi une manière de faire durer le plaisir de la découverte. Je n’ai pas repris les cours à la rentrée 2007 à Saintes. Mon empreinte écologique a augmenté, mais n’est pas supérieure à « un » pour autant pour les cinq dernières années, car j’étais très en dessous de la valeur tolérée de 2002 à fin 2006, même avec mon voyage en Inde effectué en avion en 2005. Je réponds souvent qu’on ne va pas condamner l’aviation légère de Saint-Exupéry parce qu’on est décroissant. Il faut respecter son empreinte écologique en faisant une moyenne sur plusieurs années. Nous pouvons avoir des pics qui doivent être nivelés. Nous jouissons chacun d’une part de la dot terrestre. Être décroissant ne veut pas dire s’empêcher de vivre, mais respecter les limites de la nature.

 

Question 17 : Ta vision du couple semble essentiellement hétérosexuelle. Tu considères la sexualité juste bonne pour faire des enfants, de plus tu encourages la chasteté. Alors que dis-tu des relations homosexuelles ?

Gandhi* n’était pas en faveur de l’homosexualité (19p201), contrairement à l’abbé Pierre* qui nous est plus contemporain, un paradoxe puisque l’Orient est généralement plus tolérant à ce sujet que l’Occident. La tolérance me demande de ne rien condamner. Je pense qu’un couple homosexuel devrait avoir le droit de se marier et d’adopter des enfants.

 

Question 18 : Ta théorie de la chasteté n’est-elle pas un peu égoïste et misogyne ? La femme n’est nullement en cause dans cette affaire, puisque mon discours d’abstinence ne s’adresse pas qu’aux hommes.

 

Question 19 : Tu es contre la compétition. Ne crains-tu pas de faire une société de gens avachis ? Je conçois l’effort, l’instruction, l’entretien du corps et de l’esprit, mais pas la performance affichée. Notre éducation, dès l’école et le système de la notation et des concours, est depuis toujours basée sur un concept subjectif, celui qu’une population sélectionnée sur quelques critères intellectuels ou physiques à un instant donné, vaut plus qu’une autre population dans le temps. Beaucoup de vocations sont contrariées par ce principe. Celui qui est plus intelligent et plus fort doit aider le moins intelligent et le plus faible, et en aucun cas le faire rêver en lui faisant convoiter ses capacités prétendues « supérieures ». La performance conduit parfois au dopage, à la tricherie, à l’appât du gain et de la popularité parce que son paradigme est pernicieux. Nous bâtissons des mythes dans lesquels on enferme des personnes. Mais bon nombre de grands champions finissent mal, dès lors qu’ils descendent en niveau et retrouvent l’anonymat. Vouloir être le meilleur, le champion, c’est aussi vouloir que les autres soient nos inférieurs. C’est faire aussi des idolâtres qui adulent des vedettes, et s’abandonnent plutôt que de s’occuper d’eux-mêmes.

 

 

 III-2- APPEL À LA RÉVOLUTION NON-VIOLENTE PLANETAIRE

 

« La goutte d’eau participe à la grandeur de l’océan, même si elle n’en a pas conscience. Mais aussitôt qu’elle veut s’en séparer, elle se dessèche complètement ». – « De l’instant où je suis devenu un satyagrahi, j’ai cessé d’être un sujet, mais je suis toujours resté un citoyen ». – « Quand un groupe d’hommes renie l’État sous l’autorité duquel il avait jusqu’alors vécu, il est bien près en fait d’établir son propre gouvernement ». Gandhi* (19p 143 250&252)

 

Introduction

La force du capital réside dans une manipulation mentale massive gérée par les médias et les appareils d’État. Nous pouvons toutefois encore accéder à l’information et nous affranchir de nos pulsions consuméristes en nous contrôlant. C’est pour cette raison, et comme l’aurait dit Gandhi* lui-même, qu’avant de vouloir libérer le monde de l’emprise capitaliste ou de la pensée unique, nous devons commencer par nous libérer nous-mêmes de la maladie débilitante de l’avoir qui nous assaille. La méthode de méditation positive le permet. Comme nous l’a rappelé Gandhi*, toute lutte nécessite « des chefs », des guides qui se sont réalisés spirituellement. Il est donc indispensable de les former pour avoir des référents. Ces guides de la Révolution non-violente doivent engager toute leur vie dans la lutte, comme l’a fait Gandhi*. La pensée unique de l’économie libérale capitaliste triomphe parce qu’elle est conçue sur le modèle de l’entreprise, qui est un centre de production et de profit. La compétition entre les individus fait que les moins forts sont éliminés systématiquement et la concurrence entre les entreprises élimine les moins performantes. Je vous propose un plan constructif en plusieurs étapes. L’union fait la force et la division affaiblit, sachons créer une vraie dynamique de terrain non-violente, qui soutient notre action politique non-violente interne et externe.

 

Première étape – se regrouper

Je propose que les partisans de la Révolution se réunissent pour vivre ensemble en différents points géographiques de la terre. Ainsi en France les altermondialistes et autres composantes amies, peuvent se regrouper dans les villages dépeuplés d’une région afin de gagner des mairies et les Conseils généraux et régionaux. Dans certains départements par exemple, il y a des villages de I00 à 200 habitants sur 1000 hectares de terre. L’idée est de disposer de terre et de lancer notre projet sur des fonds publics et privés. L’intelligence collective décuplera notre volonté et notre efficacité.

 

Seconde étape – S’organiser

Nous savons ce que nous voulons, pour y parvenir nous devons nous organiser afin de donner des moyens à notre projet. Nous devons avoir notre imprimerie, notre revue ou journal. L’idéal serait que les médias amis qui existent déjà rejoignent le mouvement. Une équipe peut travailler uniquement sur internet. Il ne faut pas négliger la presse classique pour relayer des opérations non-violentes de terrain, dont les techniques sont données dans ce livre. Notre modèle peut copier Auroville en Inde, mais avec un objectif différent et toujours présent : la Révolution non-violente planétaire ! Contrairement à Auroville qui se soucie peu du reste du monde et où l’on se fait assassiner pour avoir défendu la bonne cause (voir l’article de Catherine Mercier dans la revue « Silence » de février 2006, repris sur mon blogue), l’ordre sera respecté de l’intérieur. La pratique des escadrons de la mort par la France, depuis la guerre d’Algérie, et l’apparition des sociétés militaires privées (mercenaires légaux) au service des puissants doit attirer notre vigilance. Je rappelle que la non-violence est une stratégie de masse ou personnelle plus efficace que la violence quand un lien organique fort relie le mouvement non-violent à la communauté internationale, laquelle est forcée de respecter les droits de l’Homme dès qu’on l’y invite. L’isolement médiatique est le premier ennemi.

 

Troisième étape – gagner l’autonomie

Cela signifie gagner son autonomie personnelle et l’autonomie collective. Nous devons être productifs et autosuffisants pour atteindre l’autonomie complète, financière et en approvisionnement (éducation, énergie, alimentation, habillement, etc.).

 

Quatrième étape – former des guides de la Révolution non-violente

Une fois regroupés, nous pouvons créer un espace de vie, qui correspond à nos valeurs et qui sera porteur d’un meilleur équilibre pour tous. Nous disposerons de bonnes conditions de formation et de travail pour développer notre projet. Là nous formerons les guides de la Révolution.

 

Cinquième étape – faire du prosélytisme

Internet est un outil efficace pour véhiculer l’information, mais la plus grande partie des personnes sur terre n’a pas accès à cet outil, et les ordinateurs qui le pilotent sont dans les mains des sociétés privées et des nations dominantes. Par ailleurs, le rythme actuel du développement de la civilisation industrielle menace la pérennisation de cet outil à court terme. Nous devons utiliser Internet, mais sans oublier de faire des diffusions papier. Chacun de nous peut faire un à deux ans de service missionnaire dans le monde ou devenir représentant officiel de l’organisation auprès des nations étrangères.

 

Sixième étape – l’expansion

Nous développerons une économie locale solidaire qui donnera du travail à tous et rendra sa dignité à l’humain ; notre exemple attirera à nous les foules et s’implantera dans les autres territoires grâce à nos conseillers, qui parcourront les régions et le monde.

 

Septième étape – la déclaration de notre indépendance territoriale

Au nom du respect des Droits de l’Homme au Sud et du respect de la nature (principe de précaution) et des animaux, qui ne sont pas respectés par les États-nations du Nord, nous proclamerons notre région territoire indépendant. D’autres territoires déclareront leur ralliement à notre région.

 

Huitième étape – la création d’une internationale

Enfin nous créerons une internationale, et le capitalisme ayant fait son temps sur terre se ralliera à notre cause, parce qu’elle est juste et devenue incontournable.

 

Neuvième étape (ajoutée pour la présente édition)

Appliquer les recommandations politiques de Politeia, faites par l’auteur après onze années de travaux, et publiées en 2020 aux éditions arte-politeia.

 

« Vous pourriez, bien sûr, objecter qu’il ne peut pas y avoir de révolte non-violente et que l’histoire n’en rapporte aucun exemple. Eh bien ! J’ai pour ambition d’en fournir un exemple et je rêve de voir mon pays parvenir à l’indépendance au moyen de la non-violence. Je suis prêt à le redire des centaines de fois pour que tout le monde le sache ». Gandhi* (19p160). Gandhi* l’a fait en nous montrant la voie, alors faisons-le à notre tour.

 

FIN

 

Manuscrit achevé à Saintes (17) le 25 novembre 2008 ; revu en juillet 2020 – toujours à Saintes – pour la présente édition numérique.

 

 

Repères bibliographiques

1 La Bible, Émile Osty, Seuil, 1973

2 Autobiographie ou Mes expériences de vérité, Gandhi, réédition Albin Michel, 2003

3 La Bhagavad-Gita, Shrî Aurobindo, 1942, traduction de C. Rao & J. Herbert, Albin Michel, 1970

4 Le Dhamapada, traduit par Le Dong, Seuil, 2002

5 Histoire du socialisme, Jean-paul Brunet, PUF, 1989

6 La Commune de Paris (1871), William Sernan, Fayard, 1986

7 Histoire des grèves, G Adam, 1981

8 La Jeune Inde, Gandhi, stock, 1924

9 Stratégie de l’action non-violence, Jean-Marie Müller, Seuil, 1981

10 Discours de la servitude volontaire, Étienne de la Boétie, publication posthume en 1576, Mille et une nuits, 1995

11 La non-violence, Christian Mellon et Jacques Semelin, PUF, 1994

12 Le Coran, D. Masson, Gallimard, 1967 & Le Coran, Kasimirski, Maxi livre, 2002

13 L’Anarchisme, Henri Aryon, 10e édition PUF, 1961 & 1991

14 http://www.wikepedia.org (encyclopédie populaire) & http://www.evene.fr/celebre/biographie/  

15 http://www.quid.fr ; http://www.liberation.fr

16 http://www.juristudiant.com – http://fr.jurispedia.org

17 http://www.ecologie.gouv.fr

18 http://www.fao.org

19 Gandhi, Tous les hommes sont frères, Gallimard, Paris, 1990

20 http://www.forumsocialmundial.org

21 http://www.atheisme.free.fr

22 http://www.non-violence-mp.org

23 http://www.humanite.presse.fr

24 http://www.un.org ; http://www.icc-cpi.int ; http://www.diplomatie.gouv.fr – http://www.senat.fr – http://www.fse-esf.org

25 http://www.debarquement-normandie.com

26 http://www.medarus.org

27 L’ONU, Charles Chaumont et Frédéric Lafay, PUF, 2000

28 L’ONU, Le système institutionnel, La Documentation Française, 1996

29 La pensée de Gandhi, par Camille Drevet, Bordas 1954

30 Sagesse de Gandhi, Romain Rolland, Libraires Associés, 1955

31 Le cours d’une vie, auto-édition de Louis Lecoin Paris 10e, 1965

32 Lettres à l’ashram, Gandhi traduit par Jean Herbert, Albin Michel, 2005

33 La désobéissance civile, Henry-David Thoreau, Utovie 2007

34 Gandhi, Ramin Jahanbegloo, Félin, 1998

35 Gandhi et la non-violence, Suzanne Lassier, Seuil, 1983

36 Gandhi, La voie de la non-violence, Krishna Kripalani, Gallimard, 2004

37 Gandhi, Christine Jordis, Gallimard, 2006

38 Martin Luther King, Librio (Archives du Monde 2), 2006

39 Écrits pacifistes, Giono, Gallimard, 1978

40 Le Petit Robert dictionnaire, 2000

41 Gandhi ou la force de l’âme, Olivier Lacombe, Plon, 1964

42 La vérité de Gandhi, Erik H. Erikson, Flammarion, 1974

43 Gandhi, Guy Deleury, Pygmalion, 1997

44 Mention Prépa, français – lettres, Évelyne Amon, Michèle Branger, Philippe Lehu, Librairie Vuibert, 2002.

45 Érasme, œuvres choisies, Livre de poche, 1991

46 Gandhi, B.R. Nanda,, Marabout Université, 1968

47 Gandhi, Rajmohan Gandhi, Buchet Chastel, 2008

48 Gandhi, Non-violence actualité, 1991

49 Erasme, collection Bouquins, Laffont, 1992

50 http://www.infogm.org

Nota : les sources citées dans les pages du livre ne sont pas toutes reprises dans cette liste.

 

 

Remerciements

Je remercie Michèle pour ses relectures, ses suggestions, les auteurs qu’elle m’a fait découvrir, et la biographie de Gandhi qu’elle m’a offerte. Je remercie Joël, qui m’a documenté et a participé à l’écriture de la charte du consommateur responsable en 2003. Je remercie Jean-Pierre, pour m’avoir fait découvrir Louis Lecoin en m’offrant l’autobiographie de ce dernier. Je remercie Laurent pour ses suggestions et l’information sur le sankalpa. Je remercie Jean-Philippe pour sa relecture partielle et ses suggestions. Je remercie encore toutes celles et tous ceux qui, lors de mes ateliers ou de mes conférences-débats, ont enrichi mes connaissances. Enfin, je remercie Béatrice pour la relecture complète qu’elle a faite de ce livre pour la présente édition 2020.

 

 

 

Ce livre comprend hors couverture

139 pages

3 chapitres

12 sous chapitres

140 sous sous-chapitres (avec les introductions)

Environ 140 citations référencées d’auteurs, dont la moitié de Gandhi

Plus de 50 références bibliographiques

18 notes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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ISBN de l’édition papier parue en nov. 2008

978-2-9525139-1-3

 


[1]  – Systèmes d’échanges locaux qui fonctionnent sans argent.

[2] Politeia – Traité de politique – pour la démocratie et l’écologie (2020) est présent sur éditions-arte-politeia.com.

[3]  – Dans Politeia, le néologisme consocapitalisme qualifie un phénomène apparu au XXe siècle dans les sociétés occidentales, où le prolétariat a acquis des droits et un pouvoir d’achat avec les luttes sociales, mais qui collabore avec le patronat en achetant des produits à bas coût fabriqués dans les pays du Sud en contournant nos règles sociales et environnementales.